Une Afrique des vastes plaines vierges et du Roi Lion, intouchée depuis des millénaires, qu’il faudrait protéger des Africains eux-mêmes… Dans L’invention du colonialisme vert, l’historien de l’environnement Guillaume Blanc démonte des décennies de préjugés sur la protection de la nature dans le continent.
Au fil de 300 pages d’une rare clarté, l’universitaire se penche sur le cas de l’Éthiopie pour raconter cette histoire méconnue. Il y dénonce la vision romantique et foncièrement colonialiste qui a présidé à la création des parcs naturels. Héritiers directs des réserves de chasse coloniales, ceux-ci ont été créés non sans violence envers les agro-pasteurs qui y vivaient depuis des milliers d’années.
Se basant sur un travail d’archives inédit, Guillaume Blanc décrit le monde hors-sol des experts internationaux, prisonniers des représentations occidentales qui ont imprégné leurs rapports depuis des décennies. Pour protéger les zones naturelles supposément dégradées par leurs habitants, les consultants étrangers n’ont pas hésité à recommander l’interdiction de l’agriculture ou le déplacement des populations séculaires hors des parcs. Les gouvernements locaux, qui avaient dans le viseur le sacro-saint tampon « patrimoine mondial de l’Unesco » — et les revenus touristiques attendus, ont usé de zèle pour appliquer leurs conseils, au prix parfois d’une extrême brutalité.
Des institutions internationales au WWF, c’est toute une série d’acteurs de la protection de l’environnement qui en prend pour son grade. Et l’auteur d’énoncer, au sujet des occidentaux des années 1950 : « En faisant porter aux Africains la responsabilité des dégâts causés par les Européens, l’État et les colons peuvent continuer de nier l’évidence : pour sauver la nature, ils devraient la protéger du capitalisme, le leur ».
L’invention du colonialisme vert, Guillaume Blanc, éditions Flammarion, 2020, 21,90€.