Avocate de formation, Marine Calmet a défendu les peuples autochtones de Guyane dans leur combat contre l’immense projet minier Montagne d’or (notre article). Elle a ensuite fondé l’association Wild Legal, qui milite pour la reconnaissance des droits de la nature. Son nouveau livre, Décoloniser le droit (Éditions Wildproject, 2024), appelle à déconstruire le droit occidental moderne pour lutter contre l’exploitation de la nature.
La seizième conférence mondiale (COP16) sur la biodiversité, qui a lieu en Colombie, met en avant comme rarement l’importance des peuples autochtones. C’est quoi un «peuple autochtone» ?
C’est une catégorie juridique qui regroupe des personnes qui étaient là avant l’incursion d’un groupe devenu majoritaire, donc avant une colonisation venue de l’extérieur. Par exemple, les peuples autochtones de Guyane étaient là avant l’arrivée des colons français. Mais ça ne s’applique pas aux esclaves noirs, eux aussi victimes de la colonisation, mais qui ont été transportés vers d’autres territoires.
Pourquoi les peuples autochtones sont-ils si importants pour la biodiversité ?
Les peuples autochtones représentent 5% de la population mondiale et sont présents sur 25% de la surface terrestre, où l’on retrouve 80% de la biodiversité. Ils sont des gardiens de cette biodiversité, des acteurs clés de la protection des milieux naturels.
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Quand ils n’ont pas été détruits par la colonisation, leurs modes de vie traditionnels ont pour objectif la conservation et la transmission de la terre et non, contrairement à nous, son exploitation. On dit souvent qu’ils ont réussi à garder un mode de vie en harmonie avec la nature.
Pourtant, dans votre dernier livre, vous expliquez que les États occidentaux, notamment la France, oppriment encore ces peuples sur leurs territoires ancestraux pour exploiter des ressources naturelles. Quel rôle joue le droit dans cette forme de néocolonialisme ?
Le droit permet d’assoir un système qui rend illégale l’organisation traditionnelle des peuples autochtones. Cela se ressent sur la politique d’accès à la terre. En Guyane, l’État français s’est engagé à restituer 400 000 hectares de terres aux peuples autochtones de Guyane, mais ce processus est entièrement bloqué depuis 2017.
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Les peuples autochtones réclament l’accès à la propriété collective, ce qui est une grande différence avec le droit français. Ils rejettent toute forme de propriété individuelle sur la terre. Mais on leur refuse, en leur donnant uniquement des concessions de zones dans lesquelles ils n’ont des droits que très limités. On maintient un modèle juridique qui les empêche dans l’expression de leur être autochtone.
Alors que le droit occidental divise, accapare, détruit la nature, le droit autochtone – qu’on appelle le droit coutumier -, a des ambitions politiques parfaitement inverses. Il s’agit de conserver la terre, l’équilibre entre tous, humains et non-humains, et de favoriser le mieux-être des générations futures.
À la fin de votre livre, vous retranscrivez un discours marquant de Félix Tiouka, prononcé en décembre 1984. Alors président de l’Association des Amérindiens de Guyane française, il revendique les droits de ces peuples devant des représentants de l’État français. Quarante ans plus tard, peu de choses ont changé… Les peuples autochtones ont-ils toujours intérêt à négocier dans un cadre juridique défini par les États occidentaux ?
D’une part, on n’a pas vraiment le choix de s’émanciper de ce droit. On peut le contourner, essayer de le tordre pour faire en sorte que le droit français soit obligé de s’adapter au droit autochtone, mais si on va trop loin, on tombe dans l’illégalité.
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Si le rapport de force juridique échoue, il reste le rapport de force physique. C’est ce qui est en train de se passer en Nouvelle-Calédonie et dans d’autres territoires ultramarins français. À force de nier les droits des premiers habitants comme les Kanaks, l’État français force à une confrontation violente, car il est incapable de concevoir un modèle juridique qui intègre les droits des autres. Aujourd’hui, c’est difficile pour les peuples autochtones de rester dans le cadre de la légalité tout en obtenant des victoires.
Les représentants autochtones continuent pourtant à dialoguer avec les gouvernements, comme on le voit en ce moment en Colombie pour la COP16 sur la biodiversité…
À l’échelle internationale, les réseaux de soutien spécifiques aux peuples autochtones sont organisés au sein des Nations unies. Ils leur permettent d’avoir le soutien de différents acteurs sur la scène internationale. Dans le cadre de la COP, plusieurs représentants de peuples autochtones en Amérique du Sud font caisse de résonance pour faire valoir leur place spécifique dans la lutte pour la protection de la biodiversité.
Pensez-vous que ce soit efficace ?
Il faut intégrer ces structures pour donner un autre son de cloche, écrire des contre rapports, prendre la parole… Et oui, parfois ça marche ! En Guyane, Emmanuel Macron a annoncé le retrait du projet minier Montagne d’or à l’occasion d’un sommet international sur la situation en Amazonie, qui réunissait de nombreux chefs d’État. Grâce à la pression internationale, on peut au moins mettre en lumière des problématiques et obtenir des soutiens.
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