Le vert du faux

Signer une pétition en ligne, ça sert vraiment à quelque chose ?

Il suffira qu’un signe. Popularisées dans les années 2010, les pétitions pullulent sur les réseaux sociaux. Souvent décrédibilisées, elles peuvent être le premier pas vers des avancées concrètes dans la société.
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L’exemple incontournable : l’Affaire du siècle

Comment parler de l’impact des pétitions sans évoquer le cas de l’Affaire du siècle ? Lancée en décembre 2018, cette pétition a dépassé le million de signatures en 48 heures et rapidement atteint 2,3 millions de noms, décrochant le record de la plus signée de France. Elle visait à soutenir un recours en justice intenté par Greenpeace, Notre affaire à tous, Oxfam et la Fondation pour la nature et l’homme (qui a depuis quitté l’affaire) contre la France pour son inaction climatique. En 2021, ce procès historique a reconnu la responsabilité du gouvernement et condamné l’État à réparer sa faute (notre article).

Cet article est issu de notre rubrique Le Vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque semaine, nous répondons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Aujourd’hui, on se penche sur celle posée par Florent sur Instagram : «Signer une pétition en ligne sert-il vraiment à faire pression sur les gouvernements et les grosses entreprises ?». Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.

S’il est impossible d’affirmer que la pétition a permis la condamnation de la France, l’engouement qu’elle a généré a ouvert le débat sur la question de l’action politique environnementale. «Le soutien autour du contentieux montrait clairement les attentes des citoyens en matière d’engagement climatique, et on pense que ça a permis aux juges de s’autoriser à être ambitieux dans leur décision», évalue Justine Ripoll, responsable de campagne à Notre affaire à tous (NAAT). Elle souligne le rôle de la pétition dans cette lutte, qui a formé une communauté encore active six ans plus tard autour de ces enjeux : «La pétition a permis aux citoyens de s’approprier ce combat. Ils ont senti que c’était leur procès à eux aussi», ajoute-t-elle.

Les représentant·es des associations requérantes après leur victoire au tribunal, en 2021. © Emeric Fohlen/Greenpeace

La pétition peine à s’institutionnaliser

Le système politique français ne facilite pas la prise en compte des pétitions par les pouvoirs publics. «En France, on est dans une culture de la démocratie représentative, on veut bien du droit de pétition, seulement s’il laisse la main aux acteurs représentatifs», c’est-à-dire aux parlementaires, explique Jean-Gabriel Contamin, chercheur en sociologie des mobilisations et enseignant à l’université de Lille. Ce n’est pas le cas en Suisse ou en Italie, où un référendum est prévu pour les pétitions qui rassemblent un nombre suffisant de signatures.

Le système politique français, lui, prévoit un examen des revendications au Sénat dès qu’une pétition atteint les 100 000 participations. La chambre haute du Parlement a étudié la demande d’interdiction du déterrage des blaireaux, portée par l’Association de protection des animaux sauvages (ASPAS) en septembre 2022, ainsi que la demande de sécurisation de la chasse, lancée par le collectif «Un jour, un chasseur». Dans les deux cas, cela a permis de faire exister le débat parlementaire et d’accroître la couverture médiatique. Toutefois, les rapports des missions sénatoriales sur les sujets ont conclu qu’aucune mesure n’était requise.

Un fonctionnement semblable existe à l’échelle européenne, mais «la portée des pétitions y est limitée», indique Jean-Gabriel Contamin. Pour être reçues au Parlement européen, les pétitions d’initiatives citoyennes doivent récolter un million de signatures provenant d’au moins un quart des pays membres. Ce long processus «permet seulement au Parlement de discuter d’une question», note le chercheur, et ne garantit aucune mesure ou vote sur le sujet. En dix ans d’existence, seules 107 initiatives citoyennes européennes ont été enregistrées par la Commission européenne, dont vingt-trois ont été refusées. Dans l’ensemble, dix initiatives ont fait l’objet d’une réponse officielle. L’interdiction de l’élevage et l’abattage d’animaux à fourrure dans l’Union européenne a par exemple abouti à ce que la Commission intègre ces mesures dans une réforme qu’elle a présentée début décembre 2023 pour le bien-être des animaux lors du transport.

L’impact économique peut convaincre les entreprises

Les acteurs économiques sont-ils plus influençables que les politiques ? «Pour l’entreprise, ce n’est pas tant la pétition elle-même que l’impact économique qu’il peut y avoir derrière qui peut les convaincre», explique Jean-Gabriel Contamin. Elles sont nombreuses à craindre les effets des mobilisations citoyennes et tiennent à prévenir tout boycott.

Prendre en compte une revendication est une manière d’éviter de perdre des clients : «Les entreprises sont très sensibles à leur image de marque et à ce que pensent leurs clients. La pétition permet de leur montrer que beaucoup de gens tiennent à ce qu’ils agissent», jauge Marie Yared, responsable des campagnes pour Avaaz, une ONG spécialisée dans le cybermilitantisme. À l’automne dernier, grâce à une pétition, un client a ainsi obtenu la fin de la vente de poissons destinés à la pêche au vif, dans le magasin Décathlon de Foix (Ariège).

Un mode d’action, mais pas «une fin en soi»

«La pétition n’est jamais une fin en soi, c’est un outil qui va démarrer une mobilisation», observe Sarah Durieux, ancienne dirigeante de la plateforme de pétitions Change.org France et spécialiste de la mobilisation citoyenne. Pour qu’elle soit suivie d’effets, elle doit s’inscrire dans une stratégie beaucoup plus large, avec une palette variée de modes d’action : du plaidoyer auprès des pouvoirs publics, une couverture médiatique étendue, des actions coup de poing, des manifestations, etc.

La pétition est aussi un moyen efficace pour se compter. «L’Affaire du siècle a été lancée au moment de marches climat massives dans les rues, et il y avait un besoin de sentir qu’on était nombreux, qu’une force se créait sur ces sujets-là», relève Justine Ripoll, de NAAT. «C’est une manière de trouver des alliés pour faire campagne», abonde Sarah Durieux, autrice d’un ouvrage intitulé Changer le monde, manuel d’activisme pour reprendre le pouvoir. Cela permet enfin de créer un espace privilégié de mobilisation en ligne, «pour communiquer avec des personnes sensibles à ce combat ou structurer des actions collectives», ajoute la spécialiste de l’engagement citoyen.

La force du nombre qui accompagne les pétitions peut être extrêmement puissante. «C’est une manière d’arriver à la table des négociations avec une légitimité et un consensus autour des demandes établies, cela instaure un rapport de force différent», avance Justine Ripoll.

Le degré zéro de l’activisme ?

La signature de pétitions est souvent critiquée, considérée comme le «degré zéro de l’activisme» ou comme une façon de se donner bonne conscience. «C’est un mode d’action facile, rapide, efficace, à la portée de tous et démocratique, donc tant mieux», défend Marie Yared. C’est un outil inclusif, qui permet aux citoyen·nes qui n’ont ni le temps, ni les moyens, de s’engager à leur manière.

«L’idée de militer paraît lointaine pour beaucoup de monde, donc permettre cette entrée en matière est important», analyse Sarah Durieux. «Il faut penser l’engagement comme une échelle que les gens peuvent monter : d’abord signer une pétition, puis inviter leurs amis à la signer, témoigner sur les réseaux sociaux, ensuite s’engager physiquement, et ainsi de suite.»

Les ingrédients d’une pétition réussie

Plusieurs éléments semblent essentiels pour espérer obtenir des résultats à partir d’une pétition :

· Porter une demande crédible et réaliste. «Avaaz ne lance jamais de campagnes impossibles : cela ne sert à rien de se mobiliser s’il n’y a pas d’opportunité concrète d’obtenir un changement à la fin», souligne Marie Yared. «Il vaut mieux demander des repas gratuits aux restaurants universitaires que la fin de la faim dans le monde», illustre Sarah Durieux.

· Avoir une cible précise. «Il faut bien réfléchir au décideur visé et identifier celui qui pourra accéder à la demande. Parfois, cibler des personnes moins habituées à ces sollicitations peut faire la différence», mentionne Marie Yared. Une pétition adressée au maire d’une petite commune peut avoir bien plus de répercussions qu’une énième envoyée au président de la République.

· Être liée à un enjeu d’actualité. Une campagne lancée au moment d’un buzz politique ou d’une forte actualité a des chances d’être plus relayée, puisque le sentiment d’urgence est un puissant outil de mobilisation. «Elle est d’autant plus efficace quand un contexte politique la favorise», confirme Sarah Durieux. La pétition pour demander à Emmanuel Macron d’accorder la citoyenneté française à l’activiste Paul Watson a obtenu plus de 780 000 signatures – sans toutefois entraîner sa libération. Le journaliste Hugo Clément, à l’origine du texte, l’avait publiée le jour même de l’arrestation du défenseur des baleines par la police danoise.

· Parvenir à sortir des réseaux militants. La réussite d’une pétition tient souvent à sa capacité à toucher le grand public : «Plus on élargit le nombre de gens qui se sentent concernés, plus ça marche», explique Sarah Durieux. «Une pétition signée par une partie de la population dont on n’aurait pas douté qu’elle se mobilise sur ce sujet donne un impact supplémentaire à la mobilisation», évalue Jean-Gabriel Contamin. L’incarnation d’une lutte par des personnalités médiatiques (célébrités, influenceur·ses, etc.) peut aussi participer à cette dynamique – comme ce fut le cas lors de la campagne de l’Affaire du siècle, mais seulement si cet engagement est perçu comme étant sincère.

Pas de recette miracle

La réussite d’une pétition ne repose pas seulement sur celles et ceux qui la lancent. Elle dépend d’éléments extérieurs à la mobilisation. D’après Jean-Gabriel Contamin, elle aura plus de chances d’aboutir :

· si la couverture médiatique de la mobilisation est importante et si elle va dans le sens des revendications ;

· si le gouvernement auquel elle s’adresse est fragile et ne bénéficie pas d’une majorité unie.

«L’idée n’est pas que la pétition serve seulement à obtenir ce qui est demandé, mais qu’un acte qui peut sembler minimal permette de mobiliser, de discuter et de sensibiliser sur le long terme», note le chercheur. «Il ne faut pas se dire que c’est parce qu’on n’a pas remporté un succès tout de suite qu’on a raté, estime Marie Yared, d’Avaaz. Il faut souvent que l’idée fasse son chemin.»

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