Décryptage

Social, agriculture, droits des femmes, environnement… quel est le bilan du RN après deux ans à l’Assemblée nationale ?

«Absents», «inconstants» et «pas très au clair sur leurs idées», les élu·es du Rassemblement national (RN) déconcertent au Palais Bourbon. En dehors de quelques obsessions bien connues, leur politique de vote est difficilement lisible. Illustration en six dossiers.
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Depuis leur arrivée en force aux lég­isla­tives de 2022, les 89 député·es du Rassem­ble­ment nation­al sont en opéra­tion séduc­tion à l’Assemblée : «ils créent peu d’incidents de séance et restent affa­bles la plu­part du temps», recon­naît auprès de Vert un haut fonc­tion­naire de l’hémicycle. Mal­gré le passé trou­ble de cer­tains, «ils ont man­i­feste­ment des con­signes très claires pour se tenir le mieux pos­si­ble», con­fie-t-il.

Con­crète­ment, «la plu­part sont muets, tan­dis que seule­ment quelques-uns s’expriment», relève le cen­triste (Liot) Ben­jamin Saint-Huile. Il n’empêche, «quand ils s’adressent à moi de façon tout à fait sym­pa, ça peut être désta­bil­isant», con­fie à Vert l’écologiste San­drine Rousseau, pas dupe pour autant.

Mais après deux ans à vot­er des lois, le groupe RN s’est aus­si démar­qué par ses absences chroniques. «Ils ne sont pas vrai­ment là en com­mis­sion et ce n’est claire­ment pas eux qui déposent le plus d’amendements», plaisante notre haut fonc­tion­naire.

Surtout, le groupe est unanime­ment pointé du doigt pour son incon­stance. «Ce sont des girou­ettes per­ma­nentes», se désole l’élu insoumis Maxime Lais­ney. «Hors des sujets sécu­rité et immi­gra­tion, ils ne sont pas très au clair sur leurs idées», explique de son côté Ben­jamin Saint-Huile. «En général, sur chaque sujet, ils optent pour l’idée la plus facile à ven­dre, mais cela se heurte sou­vent au réel et le tout ne tient pas la route», tacle-t-il.

Un coup d’œil à leur tra­vail par­lemen­taire révèle en effet d’embarrassantes con­tra­dic­tions. Seules la lutte con­tre les dis­crim­i­na­tions et la pro­tec­tion de l’environnement font l’objet d’une con­stante hos­til­ité du par­ti.

Énergie

Le RN a voté pour l’accélération du nucléaire et con­tre celle des éner­gies renou­ve­lables. Le par­ti ne jure plus aujourd’hui que par l’atome – après avoir plusieurs fois changé de pied sur la ques­tion. Il promet le déman­tèle­ment des instal­la­tions solaires et éoli­ennes en cas d’accession au pou­voir, ce qui plongerait le pays dans une grave crise énergé­tique, puisqu’elles ont représen­té près de 15% de la pro­duc­tion élec­trique en 2023.

Au moment du vote du pro­jet de loi sur la réforme de la sûreté du nucléaire (Vert), le par­ti a bafouil­lé comme rarement. «Entre l’examen du texte en com­mis­sion et son adop­tion finale, le RN a changé cinq fois d’avis», se sou­vient Ben­jamin Saint-Huile (le détail ici). En votant alter­na­tive­ment pour, puis con­tre la réforme, le par­ti «a eu une atti­tude com­plète­ment irre­spon­s­able sur un sujet pour­tant sérieux», estime Maxime Lais­ney.

Agriculture

Le RN cul­tive sur le sujet «une ambiguïté toute par­ti­c­ulière puisqu’il pré­tend pro­téger les petits agricul­teurs tout en votant pour le tout-marché et l’agro-industrie», estime la députée insoumise Manon Meu­nier, spé­cial­iste de ces ques­tions.

Un exem­ple de va-et-vient per­tur­bant : le RN a d’abord voté pour l’instauration de prix planch­ers sur les pro­duits agri­coles en novem­bre 2023, puis s’est abstenu en avril 2024. En recen­sant les inter­ven­tions médi­a­tiques de Jor­dan Bardel­la, le quo­ti­di­en Le Monde a repéré un change­ment de doc­trine entre le 25 et le 27 févri­er dernier. Le 26 févri­er, le prési­dent du RN a juste­ment ren­con­tré Arnaud Gail­lot, le patron du très libéral syn­di­cat des Jeunes Agricul­teurs, très hos­tile à cette mesure.

Lors de l’examen du pro­jet de loi d’orientation agri­cole (ren­du caduc par la dis­so­lu­tion de l’Assemblée), le RN a déposé des amende­ments (tous rejetés) pour accélér­er la con­struc­tion de mégabassines, pro­longer l’utilisation des pes­ti­cides, s’opposer à la diminu­tion de l’élevage et sup­primer les objec­tifs de décar­bon­a­tion du secteur agri­cole.

Marine Le Pen à l’Assemblée Nationale. © Xose Bouzash/Hans Lucas/AFP

Social

Sur cette ques­tion, c’est tou­jours l’hésitation qui domine. Si le RN a voté con­tre la réforme con­testée du chô­mage, il a en revanche voté pour la loi Kas­bar­ian sur le loge­ment – qui facilite les expul­sions et crim­i­nalise les locataires en impayés de loy­ers ; et aus­si con­tre l’accélération de la réno­va­tion de l’habitat dégradé.

Après avoir voté à plusieurs repris­es con­tre la reval­ori­sa­tion du SMIC (portée par la Nupes), il a prof­ité en jan­vi­er 2023 de sa niche par­lemen­taire pour faire une propo­si­tion de loi visant à «inciter les entre­pris­es à aug­menter les salaires nets de 10%». Le texte a été rejeté.

San­drine Rousseau rap­pelle en out­re que «le RN s’est tou­jours opposé à toute tax­a­tion des plus rich­es et des sur­prof­its, notam­ment lors des dif­férents pro­jets de loi de finance».

Discrimination

Il y a des domaines où le RN fait toute­fois preuve de con­stance : le refus de lut­ter con­tre les dis­crim­i­na­tions en fait par­tie. Le groupe a par exem­ple voté con­tre la propo­si­tion de loi por­tant recon­nais­sance et con­damna­tion du mas­sacre d’Algériens le 17 octo­bre 1961 ; il s’est aus­si abstenu sur le ren­force­ment des sanc­tions con­tre les infrac­tions à car­ac­tère raciste, anti­sémite ou dis­crim­i­na­toire. Il a voté con­tre les sanc­tions à la dis­crim­i­na­tion capil­laire (subie notam­ment par les per­son­nes aux cheveux cré­pus). Il a soutenu la très con­testée loi Asile et immi­gra­tion du gou­verne­ment, qui a sévère­ment «dégradé les droits des per­son­nes exilées en France», selon Amnesty inter­na­tion­al.

Droits des femmes

Sur les dis­crim­i­na­tions faites aux femmes, le RN a voté con­tre la propo­si­tion de loi visant à ren­forcer leur accès aux respon­s­abil­ités dans la fonc­tion publique. Mais il s’est divisé sur l’in­scrip­tion de l’Interruption volon­taire de grossesse (IVG) dans la Con­sti­tu­tion. Seule une moitié des député·es RN a voté pour le texte et «tous ont eu con­signe de ne pas pren­dre la parole dans l’hémicycle», assure San­drine Rousseau. Étaient notam­ment appelés à la réserve l’élue du Pas-De-Calais Car­o­line Par­men­tier, le député de Haute-Marne Christophe Bentz ou encore l’élu du Vau­cluse Hervé de Lep­in­au, qui ont com­paré l’avortement à un géno­cide.

Environnement

L’en­vi­ron­nement fait par­tie des sujets sur lesquels le RN souf­fre peu de ter­giver­sa­tion. Le groupe est par exem­ple farouche­ment opposé à la lutte con­tre l’ar­ti­fi­cial­i­sa­tion des sols. Non sans humour, le par­ti a ain­si pro­posé d’ex­clure les com­munes de moins de 10 000 habi­tants de l’ob­jec­tif ZAN (zéro arti­fi­cial­i­sa­tion nette), soit… 98% d’en­tre elles !

Il a égale­ment voté con­tre un mora­toire sur l’ex­ploita­tion minière des fonds marins et a ten­té de faire sup­primer les zones à faible émis­sion, qui visent à exclure pro­gres­sive­ment les véhicules les plus pol­lu­ants des cen­tres-villes. Il a toute­fois soutenu la loi sur la fast fash­ion, visant à réduire l’im­pact envi­ron­nemen­tal de l’in­dus­trie tex­tile.