Décryptage

L’écologie sous un régime d’extrême droite : en Italie, la Première ministre Giorgia Meloni a «tiré le frein à main» sur la transition

Giorgia rien à faire. Depuis son accession au pouvoir à la fin 2022, la Première ministre italienne d’extrême droite ralentit la transition écologique. On observe même de nets reculs sur la biodiversité ou l’énergie. Décryptage.
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Un an et demi après l’arrivée au pou­voir en Ital­ie de Gior­gia Mel­oni, «j’ai du mal à trou­ver une chose pos­i­tive que le gou­verne­ment a pu faire pour l’environnement», réflé­chit tout haut Dante Caser­ta, respon­s­able des affaires juridiques et insti­tu­tion­nelles du WWF Ital­ie.

Certes, avant elle, «beau­coup d’actions n’avaient pas été réal­isées ou très lente­ment», con­cède Mau­ro Albrizio, respon­s­able du bureau Europe de l’association envi­ron­nemen­tale Legam­bi­ente. Mais à l’approche des échéances européennes de 2030 (visant la réduc­tion de 55% des émis­sions de gaz à effet de serre par rap­port à 1990) et 2050 (où l’objectif est d’atteindre la neu­tral­ité car­bone), «il n’y a pas eu d’accélération», con­tin­ue l’écologiste. Au con­traire.

Si la Pre­mière min­istre d’extrême droite ne nie pas les objec­tifs de tran­si­tion écologique, elle s’attaque régulière­ment à un écol­o­gisme soi-dis­ant «idéologique». Et prône «des solu­tions prag­ma­tiques. Ce qui veut dire en d’autres ter­mes : tir­er le frein à main», résume Mau­ro Albrizio.

Énergie et climat

C’est au nom de la sécu­rité énergé­tique que Gior­gia Mel­oni con­tin­ue de miser sur le gaz. Dès son arrivée au pou­voir, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine (déclenchée en févri­er 2022), elle s’est attelée à libér­er l’Italie de sa dépen­dance au gaz russe, cher­chant à diver­si­fi­er les sources d’approvisionnement.

Résul­tat : le gou­verne­ment mul­ti­plie les accords avec des pays comme l’Algérie ou encore la Libye, et investit dans des infra­struc­tures pour stock­er et trans­porter le gaz. Une stratégie qui nour­rit aus­si son ambi­tion de faire de l’Italie un «hub énergé­tique» entre l’Europe et l’Afrique.

La Pre­mière min­istre veut, par exem­ple, installer plusieurs unités de stock­age et de regazéi­fi­ca­tion de gaz naturel liqué­fié (GNL) importé d’Algérie ou encore du Qatar, comme celle qui flotte depuis mars 2023 au large de la Toscane, ou celle atten­due à Ravenne (Émi­lie-Romagne). Ces infra­struc­tures «devaient servir de back­up [au lende­main de l’invasion russe, NDLR] et sont main­tenant pen­sées de manière struc­turelle», déplore Mau­ro Albrizio.

Avec l’acquisition de ces navires, l’Italie risque de ralen­tir sa sor­tie des éner­gies fos­siles, puisque ce sont des investisse­ments qu’elle devra amor­tir, s’inquiète l’écologiste. Par ailleurs, le groupe de réflex­ion sur le cli­mat Ecco a jugé ces infra­struc­tures «injus­ti­fiées», par rap­port aux besoins de gaz en Europe et en Ital­ie. En 2023, 71% de l’énergie con­som­mée dans le pays prove­nait de sources fos­siles (dont plus de 35% de gaz, soit une baisse de 10% par rap­port à 2022), 22% de renou­ve­lables et le reste d’électricité importée.

Gior­gia Mel­oni, au club de golf San Domeni­co lors de la pre­mière journée du som­met du G7, le 13 juin 2024 à Fasano, en Ital­ie. © Anto­nio Masiello/Getty Images via AFP

Quant aux éner­gies renou­ve­lables, le gou­verne­ment s’engage à ce qu’elles représen­tent 40,5% de la con­som­ma­tion finale brute d’én­ergie en 2030, selon son plan nation­al inté­gré pour l’énergie et le cli­mat, dont la ver­sion défini­tive sera présen­tée à la Com­mis­sion européenne d’i­ci au 30 juin.

Ce doc­u­ment prévoit aus­si le retour au nucléaire, que l’Italie a aban­don­né depuis un référen­dum en 1987. Le min­istre de l’Environnement, Gilber­to Pichet­to Fratin, par­le d’un «com­plé­ment» aux renou­ve­lables. Irréal­is­able à l’horizon 2030/2050, jugent les écol­o­gistes. «Surtout dans un pays où on n’arrive tou­jours pas à iden­ti­fi­er un lieu pour stock­er les déchets nucléaires», martèle Dante Caser­ta. Le but, selon lui, est de détourn­er l’attention des actions qui devraient être menées pour attein­dre les objec­tifs en matière d’énergies renou­ve­lables.

Adaptation au changement climatique

Après des années d’attente, le plan nation­al d’adaptation au change­ment cli­ma­tique a été approu­vé fin 2023. Ce doc­u­ment, qui liste 361 mesures dans près de 20 domaines (dont le tourisme, la san­té et l’eau), fait «une bonne analyse de la sit­u­a­tion», com­mente Dante Caser­ta. Prob­lème : l’exécutif «n’a pas mis un cen­time dans le bud­get» pour réalis­er ces actions, regrette Mau­ro Albrizio.

En par­al­lèle, pour lut­ter con­tre la sécher­esse qui a frap­pé le nord du pays en 2022 et 2023, et qui touche la Sicile et les Pouilles cette année, le gou­verne­ment a créé l’an passé une cel­lule de con­trôle cha­peautée par le min­istre des Infra­struc­tures, et leader du par­ti d’extrême droite la Lega, Mat­teo Salvi­ni. Un an plus tard, ce dernier promet un mil­liard d’euros pour lancer la pre­mière phase d’un plan de ges­tion de l’eau, sans en pré­cis­er encore la teneur. «On ne peut pas se con­tenter de quelques com­mu­niqués de presse. Il faut des mesures et des déci­sions poli­tiques qui néces­si­tent des investisse­ments», urge Mau­ro Albrizio. Pour lui, cela passe aus­si bien par une réduc­tion des fuites d’eau dans le sys­tème nation­al, qu’une plan­i­fi­ca­tion de l’utilisation de la ressource par le secteur agri­cole.

Biodiversité

En Europe, l’Italie est l’un des six pays qui se sont opposés à la loi sur la restau­ra­tion de la nature, approu­vée par le Con­seil européen le 17 juin. Cette dernière impose aux États de restau­r­er au moins 30% des habi­tats en mau­vais état d’i­ci à 2030.

Mais «la pre­mière attaque à la bio­di­ver­sité est arrivée à peine quelques mois après la mise en place du gou­verne­ment», souligne Dante Caser­ta. Fin 2022, l’exécutif a autorisé les régions à activ­er des plans pour con­trôler la faune sauvage (dont le loup, le san­gli­er, ou encore le lynx) à tra­vers la cap­ture ou l’abattage. Et ce, même dans les zones pro­tégées, les zones urbaines et en dehors des péri­odes de chas­se. Ce texte a sus­cité une lev­ée de boucliers de la part de l’opposition et des écol­o­gistes. «Et, dans les faits, il n’a jamais vrai­ment été appliqué», observe Dante Caser­ta.

Agriculture

Avec l’argent du plan de relance européen post-Covid dont a large­ment béné­fi­cié Rome en 2020, la Pre­mière min­istre Gior­gia Mel­oni a aug­men­té un fonds visant à aider les agricul­teurs à amélior­er leurs proces­sus de pro­duc­tion et à réduire les émis­sions à effet de serre.

Mais c’est une autre déci­sion qui a fait du bruit. Fin 2023, le gou­verne­ment a inter­dit la pro­duc­tion et la vente de viande cul­tivée en lab­o­ra­toire. Une pre­mière dans le monde, alors même que la com­mer­cial­i­sa­tion n’est pas autorisée en Europe.

Et si d’un côté l’Italie freine sur la viande de syn­thèse, de l’autre elle autorise depuis juin 2023, mais unique­ment à des fins sci­en­tifiques et expéri­men­tales, la cul­ture de plantes dévelop­pées à par­tir de nou­velles tech­niques génomiques (NTG), cen­sées pro­duire des céréales ou des légumes plus résis­tants aux mal­adies. En févri­er dernier, le Par­lement européen a emboité le pas à l’Italie en assou­plis­sant les règles sur les NTG. Une déci­sion décriée par les écol­o­gistes, jugeant que les risques sur la san­té et l’environnement sont encore trop mal éval­ués.

Transports

Sur les trans­ports, le min­istre des Infra­struc­tures Mat­teo Salvi­ni «s’oppose de manière nette et évi­dente à l’électrification», con­state Ser­gio Cos­ta, vice-prési­dent de la Cham­bre et ancien min­istre de l’Environnement (2018–2021).

En mai dernier, le leader d’extrême droite appelait à «repenser» le mécan­isme des primes inci­tant à pass­er aux voitures élec­triques, que son min­istère venait pour­tant d’approuver. Sa crainte? Que l’argent prof­ite à la Chine qui pro­duit davan­tage ces véhicules que l’Italie. Même refrain quant à la déci­sion européenne d’interdire la vente de voitures à moteur ther­mique d’ici 2035 : «C’est un énorme cadeau aux Chi­nois. Une folie», s’était indigné Mat­teo Salvi­ni au lende­main du vote au Par­lement européen en févri­er 2023.

Par ailleurs, si le min­istre défend avoir investi des dizaines de mil­liards d’investissements pour le rail, un site de fact check­ing ital­ien met en lumière une grande con­fu­sion à ce sujet : ni Mat­teo Salvi­ni, ni son min­istère, ni l’entreprise publique fer­rovi­aire ne don­nent le même chiffre.

Sobriété énergétique

Gior­gia Mel­oni a mis fin à une prime à la réno­va­tion, lancée en 2020 par son prédécesseur Giuseppe Con­te. Ce dis­posi­tif — qui per­me­t­tait aux Ital­iens de réalis­er des travaux amélio­rant l’efficacité énergé­tique de leur habi­ta­tion, entière­ment payés par l’État — a très vite mon­tré des failles : explo­sion des coûts des travaux, fraudes, etc.

L’exécutif «s’est opposé à cette prime sans pro­pos­er d’alternative. Plutôt que de tout arrêter, il aurait fal­lu la relancer avec des con­di­tions dif­férentes», pointe Ser­gio Cos­ta, dont le par­ti, le Mou­ve­ment Cinq Étoiles, est à l’origine de la mesure. D’autant plus que le pays devra se pli­er à la direc­tive européenne visant à réduire la con­som­ma­tion énergé­tique des bâti­ments d’i­ci à 2030, rap­pelle l’ancien min­istre. Une mesure que Mat­teo Salvi­ni a encore une fois qual­i­fié de «folie européenne».

La pêche

Enfin, lorsqu’il était encore min­istre, Ser­gio Cos­ta a porté une loi per­me­t­tant aux pêcheurs de rap­porter sur terre le plas­tique ramassé dans leurs filets, plutôt que de le rejeter dans la mer, sans ris­quer d’être accusés de trans­port illicite de déchets. Mais deux ans après son entrée en vigueur, le texte attend tou­jours les décrets d’application. «C’est une belle loi, mais qui reste comme un beau tableau accroché au mur», déplore-t-il.

En résumé, la poli­tique envi­ron­nemen­tale menée depuis moins de deux ans par le gou­verne­ment de Gior­gia Mel­oni ne con­va­inc pas les écol­o­gistes. Ces derniers lui reprochent notam­ment de ralen­tir la sor­tie des éner­gies fos­siles et de reculer sur la bio­di­ver­sité. Et alors que le man­dat de la Pre­mière min­istre devrait finir en 2027, ils craig­nent qu’elle mette en péril les engage­ments cli­ma­tiques pris par Rome auprès de l’Union européenne. Un hori­zon d’autant plus inquié­tant que l’Italie est frap­pée par des événe­ments extrêmes liés au change­ment cli­ma­tique tou­jours plus intens­es et plus fréquents. Seule­ment en 2023, l’association Legam­bi­ente en a comp­té 378, soit 22% en plus que l’année précé­dente.