Un an et demi après l’arrivée au pouvoir en Italie de Giorgia Meloni, «j’ai du mal à trouver une chose positive que le gouvernement a pu faire pour l’environnement», réfléchit tout haut Dante Caserta, responsable des affaires juridiques et institutionnelles du WWF Italie.
Certes, avant elle, «beaucoup d’actions n’avaient pas été réalisées ou très lentement», concède Mauro Albrizio, responsable du bureau Europe de l’association environnementale Legambiente. Mais à l’approche des échéances européennes de 2030 (visant la réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990) et 2050 (où l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone), «il n’y a pas eu d’accélération», continue l’écologiste. Au contraire.
Si la Première ministre d’extrême droite ne nie pas les objectifs de transition écologique, elle s’attaque régulièrement à un écologisme soi-disant «idéologique». Et prône «des solutions pragmatiques. Ce qui veut dire en d’autres termes : tirer le frein à main», résume Mauro Albrizio.
Énergie et climat
C’est au nom de la sécurité énergétique que Giorgia Meloni continue de miser sur le gaz. Dès son arrivée au pouvoir, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine (déclenchée en février 2022), elle s’est attelée à libérer l’Italie de sa dépendance au gaz russe, cherchant à diversifier les sources d’approvisionnement.
Résultat : le gouvernement multiplie les accords avec des pays comme l’Algérie ou encore la Libye, et investit dans des infrastructures pour stocker et transporter le gaz. Une stratégie qui nourrit aussi son ambition de faire de l’Italie un «hub énergétique» entre l’Europe et l’Afrique.
La Première ministre veut, par exemple, installer plusieurs unités de stockage et de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL) importé d’Algérie ou encore du Qatar, comme celle qui flotte depuis mars 2023 au large de la Toscane, ou celle attendue à Ravenne (Émilie-Romagne). Ces infrastructures «devaient servir de backup [au lendemain de l’invasion russe, NDLR] et sont maintenant pensées de manière structurelle», déplore Mauro Albrizio.
Avec l’acquisition de ces navires, l’Italie risque de ralentir sa sortie des énergies fossiles, puisque ce sont des investissements qu’elle devra amortir, s’inquiète l’écologiste. Par ailleurs, le groupe de réflexion sur le climat Ecco a jugé ces infrastructures «injustifiées», par rapport aux besoins de gaz en Europe et en Italie. En 2023, 71% de l’énergie consommée dans le pays provenait de sources fossiles (dont plus de 35% de gaz, soit une baisse de 10% par rapport à 2022), 22% de renouvelables et le reste d’électricité importée.
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Quant aux énergies renouvelables, le gouvernement s’engage à ce qu’elles représentent 40,5% de la consommation finale brute d’énergie en 2030, selon son plan national intégré pour l’énergie et le climat, dont la version définitive sera présentée à la Commission européenne d’ici au 30 juin.
Ce document prévoit aussi le retour au nucléaire, que l’Italie a abandonné depuis un référendum en 1987. Le ministre de l’Environnement, Gilberto Pichetto Fratin, parle d’un «complément» aux renouvelables. Irréalisable à l’horizon 2030/2050, jugent les écologistes. «Surtout dans un pays où on n’arrive toujours pas à identifier un lieu pour stocker les déchets nucléaires», martèle Dante Caserta. Le but, selon lui, est de détourner l’attention des actions qui devraient être menées pour atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables.
Adaptation au changement climatique
Après des années d’attente, le plan national d’adaptation au changement climatique a été approuvé fin 2023. Ce document, qui liste 361 mesures dans près de 20 domaines (dont le tourisme, la santé et l’eau), fait «une bonne analyse de la situation», commente Dante Caserta. Problème : l’exécutif «n’a pas mis un centime dans le budget» pour réaliser ces actions, regrette Mauro Albrizio.
En parallèle, pour lutter contre la sécheresse qui a frappé le nord du pays en 2022 et 2023, et qui touche la Sicile et les Pouilles cette année, le gouvernement a créé l’an passé une cellule de contrôle chapeautée par le ministre des Infrastructures, et leader du parti d’extrême droite la Lega, Matteo Salvini. Un an plus tard, ce dernier promet un milliard d’euros pour lancer la première phase d’un plan de gestion de l’eau, sans en préciser encore la teneur. «On ne peut pas se contenter de quelques communiqués de presse. Il faut des mesures et des décisions politiques qui nécessitent des investissements», urge Mauro Albrizio. Pour lui, cela passe aussi bien par une réduction des fuites d’eau dans le système national, qu’une planification de l’utilisation de la ressource par le secteur agricole.
Biodiversité
En Europe, l’Italie est l’un des six pays qui se sont opposés à la loi sur la restauration de la nature, approuvée par le Conseil européen le 17 juin. Cette dernière impose aux États de restaurer au moins 30% des habitats en mauvais état d’ici à 2030.
Mais «la première attaque à la biodiversité est arrivée à peine quelques mois après la mise en place du gouvernement», souligne Dante Caserta. Fin 2022, l’exécutif a autorisé les régions à activer des plans pour contrôler la faune sauvage (dont le loup, le sanglier, ou encore le lynx) à travers la capture ou l’abattage. Et ce, même dans les zones protégées, les zones urbaines et en dehors des périodes de chasse. Ce texte a suscité une levée de boucliers de la part de l’opposition et des écologistes. «Et, dans les faits, il n’a jamais vraiment été appliqué», observe Dante Caserta.
Agriculture
Avec l’argent du plan de relance européen post-Covid dont a largement bénéficié Rome en 2020, la Première ministre Giorgia Meloni a augmenté un fonds visant à aider les agriculteurs à améliorer leurs processus de production et à réduire les émissions à effet de serre.
Mais c’est une autre décision qui a fait du bruit. Fin 2023, le gouvernement a interdit la production et la vente de viande cultivée en laboratoire. Une première dans le monde, alors même que la commercialisation n’est pas autorisée en Europe.
Et si d’un côté l’Italie freine sur la viande de synthèse, de l’autre elle autorise depuis juin 2023, mais uniquement à des fins scientifiques et expérimentales, la culture de plantes développées à partir de nouvelles techniques génomiques (NTG), censées produire des céréales ou des légumes plus résistants aux maladies. En février dernier, le Parlement européen a emboité le pas à l’Italie en assouplissant les règles sur les NTG. Une décision décriée par les écologistes, jugeant que les risques sur la santé et l’environnement sont encore trop mal évalués.
Transports
Sur les transports, le ministre des Infrastructures Matteo Salvini «s’oppose de manière nette et évidente à l’électrification», constate Sergio Costa, vice-président de la Chambre et ancien ministre de l’Environnement (2018–2021).
En mai dernier, le leader d’extrême droite appelait à «repenser» le mécanisme des primes incitant à passer aux voitures électriques, que son ministère venait pourtant d’approuver. Sa crainte? Que l’argent profite à la Chine qui produit davantage ces véhicules que l’Italie. Même refrain quant à la décision européenne d’interdire la vente de voitures à moteur thermique d’ici 2035 : «C’est un énorme cadeau aux Chinois. Une folie», s’était indigné Matteo Salvini au lendemain du vote au Parlement européen en février 2023.
Par ailleurs, si le ministre défend avoir investi des dizaines de milliards d’investissements pour le rail, un site de fact checking italien met en lumière une grande confusion à ce sujet : ni Matteo Salvini, ni son ministère, ni l’entreprise publique ferroviaire ne donnent le même chiffre.
Sobriété énergétique
Giorgia Meloni a mis fin à une prime à la rénovation, lancée en 2020 par son prédécesseur Giuseppe Conte. Ce dispositif – qui permettait aux Italiens de réaliser des travaux améliorant l’efficacité énergétique de leur habitation, entièrement payés par l’État – a très vite montré des failles : explosion des coûts des travaux, fraudes, etc.
L’exécutif «s’est opposé à cette prime sans proposer d’alternative. Plutôt que de tout arrêter, il aurait fallu la relancer avec des conditions différentes», pointe Sergio Costa, dont le parti, le Mouvement Cinq Étoiles, est à l’origine de la mesure. D’autant plus que le pays devra se plier à la directive européenne visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments d’ici à 2030, rappelle l’ancien ministre. Une mesure que Matteo Salvini a encore une fois qualifié de «folie européenne».
La pêche
Enfin, lorsqu’il était encore ministre, Sergio Costa a porté une loi permettant aux pêcheurs de rapporter sur terre le plastique ramassé dans leurs filets, plutôt que de le rejeter dans la mer, sans risquer d’être accusés de transport illicite de déchets. Mais deux ans après son entrée en vigueur, le texte attend toujours les décrets d’application. «C’est une belle loi, mais qui reste comme un beau tableau accroché au mur», déplore-t-il.
En résumé, la politique environnementale menée depuis moins de deux ans par le gouvernement de Giorgia Meloni ne convainc pas les écologistes. Ces derniers lui reprochent notamment de ralentir la sortie des énergies fossiles et de reculer sur la biodiversité. Et alors que le mandat de la Première ministre devrait finir en 2027, ils craignent qu’elle mette en péril les engagements climatiques pris par Rome auprès de l’Union européenne. Un horizon d’autant plus inquiétant que l’Italie est frappée par des événements extrêmes liés au changement climatique toujours plus intenses et plus fréquents. Seulement en 2023, l’association Legambiente en a compté 378, soit 22% en plus que l’année précédente.
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