«En France, la femme est libre et elle le restera». C’est par ces mots que débute une vidéo de Jordan Bardella diffusée sur les réseaux sociaux ce lundi 17 juin. Face caméra, accoudé à son bureau, entouré d’un drapeau français et de la devise républicaine «Liberté, égalité, fraternité», l’aspirant à Matignon déroule ses arguments pour s’attirer le vote de l’électorat féminin. Il répond aussi à «l’extrême gauche [qui] cherche à s’arroger le monopole de la défense des droits des femmes».
Jordan Bardella vante le bilan des député·es Rassemblement national à l’Assemblée : «meilleure prise en charge des femmes atteintes d’endométriose», «renforcement de la lutte contre les pratiques de mutilations sexuelles», «prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein». La première proposition, du député RN Jean-Philippe Tanguy a été retirée en octobre 2023, les deux autres proviennent des groupes Renaissance et Communiste. L’ensemble représente de maigres avancées, principalement dans le domaine de la santé, qui ne doivent pas masquer l’héritage «antiféministe» du parti.
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«L’association Rassemblement national et droits des femmes constitue une antinomie totale, juge auprès de Vert la philosophe féministe et professeure de sciences politiques, Camille Froidevaux-Metterie. Ce parti ne les a jamais défendues, bien évidemment pas dans sa version viriliste, lorsqu’il était dirigé par Jean-Marie Le Pen, mais pas davantage depuis que sa fille en a pris la direction.» Un avis très largement partagé par les associations engagées pour les droits des femmes comme le Planning familial, pour qui «les partis d’extrême droite nuisent aux droits des femmes, des personnes LGBTQIA+, à l’égalité de genre et aux droits des personnes migrantes. Leur projet politique anti-choix [qui s’oppose au droit des femmes de décider si elles subiront ou non un avortement, NDLR], anti-féministe, raciste et haineux met en danger les actions des associations du Planning familial». Le 23 mai dernier, le collectif Grève féministe expliquait dans une tribune à Libération que le RN était «l’ennemi des femmes».
L’histoire des votes et des programmes du RN dépeint un parti qui n’a jamais fait des femmes une priorité. Comme l’avait analysé Mediapart, le programme de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle de 2022 n’avait jugé bon de consacrer aux femmes aucun de ses 16 livrets thématiques. Celles-ci n’étaient mentionnées qu’à deux reprises : au chapitre «famille» à travers le prisme de la natalité, et au chapitre «sécurité» à travers celui de l’immigration. Tout un symbole.
L’avortement, toujours pas acquis
Dans la vidéo de ce lundi, Jordan Bardella avance que «Marine Le Pen a soutenu l’inscription de l’Interruption volontaire de grossesse dans la Constitution». La cheffe du parti a certes bien voté pour, mais 23 de ses député·es s’y sont opposés et 13 se sont abstenu·es, soit la moitié du groupe. En 2022, les député·es RN avaient voté contre (ou étaient absent·es) l’allongement du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines.
Plusieurs sont d’ailleurs des militant·es «pro-vie» comme Caroline Parmentier, ex-élue du Pas-de-Calais, qui avait comparé l’avortement à un «génocide des enfants» dans son journal catholique traditionaliste Présent en 2018. Tout comme son collègue Christophe Bentz, ex-député de la Haute-Marne, qui soutenait en 2011, que l’IVG était un «génocide de masse». Jusqu’en 2012, Marine Le Pen voulait abroger le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale afin d’éviter les «avortements de confort».
Une position nataliste, souvent teintée de racisme, de xénophobie et d’homophobie. Les député·es RN se sont ainsi opposé·es à l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes. Par ailleurs, plusieurs député·es ont aussi avancé que l’avortement encourageait l’immigration, suivant la théorie conspirationniste du «grand remplacement».
Sur la question du port du voile, «l’extrême droite présente son refus du port du voile sous les traits d’une défense de la liberté des femmes, décortique Camille Froidevaux-Metterie. Ce n’est rien d’autre qu’une instrumentalisation des idéaux féministes au service d’une idéologie raciste».
Les violences au prisme de l’immigration
Jordan Bardella soutient que son camp a voté «l’augmentation de places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences». Une référence à la proposition de loi, déposée par la sénatrice centriste Valérie Létard et promulguée en février 2023, qui met sur pied une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales. En 2018 cependant, cinq des six député·es Rassemblement national avaient choisi de s’abstenir lors du vote de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, proposée par l’ex-secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. À l’échelle européenne, les eurodéputé·es RN se sont aussi opposé·es à la résolution de 2021 contre le harcèlement au sein des institutions européennes.
Le programme du RN se contente d’un très vague renforcement des «sanctions faites contre les violences faites aux femmes», sans plus de précisions. Jordan Bardella pointe l’insécurité «qui fait régresser la liberté de chaque femme de France de se déplacer dans les rues et dans l’espace public». «Nous expulserons les délinquants et criminels étrangers», promet-il encore. Une des marottes de ce parti : les responsables de violences sexistes et sexuelles (VSS) seraient forcément des étrangers et tous les étrangers feraient planer un danger sur les «femmes françaises». Or, «91% des agresseurs sont connus des femmes victimes de violences», reprend Camille Froidevaux-Metterie. Et les VSS concernent toutes les catégories sociales, sans exception.
Représentation, égalité salariale… aux abonnés absents
Le RN a voté contre la proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique et s’est abstenu lors du vote de la loi dite «Rixain» sur l’égalité professionnelle, qui visait par exemple à mettre en place une représentation des femmes dans les conseils d’administration des entreprises. À l’échelle européenne, Jordan Bardella et ses collègues se sont opposés à plusieurs reprises à des résolutions qui constatent un «recul de l’égalité hommes-femmes et des droits des femmes».
Pourtant, les femmes votent volontiers RN
Historiquement, les femmes votaient moins pour l’extrême droite. Mais ce gender gap a progressivement disparu avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti. «Elle a rompu avec l’héritage sexiste de son père, détaille Camille Froidevaux-Metterie. Il y a une stratégie féminine de Marine Le Pen qui consiste à se présenter comme une femme moderne, divorcée, mère de famille, qui travaille, affichant sa sensibilité à la “cause féminine”».
«Quand les réactionnaires gouvernent, les droits des femmes et des minorités reculent», a réagi le Planning familial face au résultat du RN aux élections européennes, dimanche 9 juin. Au soir de la dissolution, de nombreuses associations féministes ont mis en garde contre le risque que ferait peser sur les femmes l’accession au pouvoir du RN. Le Planning familial, le mouvement #NousToutes et des centaines d’autres associations féministes ont appelé à se mobiliser pour le Nouveau Front populaire.
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