Animal profond. Depuis la nuit des temps, l’animalisation de l’Autre – humain ou non-humain – a justifié les pires atrocités. Dans son dernier livre, la sociologue Kaoutar Harchi porte un regard nouveau sur l’histoire de ces êtres vivants que l’on infériorise. Glaçant, mais nécessaire.
Au commencement, il y a un souvenir. Celui de l’autrice, enfant, qui voit son ami Mustapha attaqué par un chien policier. Les habitant·es du quartier accourent et réclament l’euthanasie de l’animal. La tension monte, la police envoie des renforts et se met à crier, à son tour : «c’est vous les chiens, c’est vous qu’on va crever». «Tout allait se confondant. Qui étaient les animaux ? Qui étaient les humains ?», se rappelle Kaoutar Harchi.
De ce traumatisme qui la hante, l’écrivaine déploie une pensée nouvelle de l’asservissement des corps. En «animalisant» les animaux, nous les mettons à distance et en faisons nos choses, nos produits.
«Porcs», «chiennes», «vermines»… nous avons répliqué ces catégories sur notre propre espèce, inventant des groupes, des races, des «sous-hommes». Dans l’histoire, ce qui est expérimenté sur les animaux retombe toujours sur des humain·es, des dominé·es.
«La distinction moderne opérée par l’Occident entre les « humains » et les « animaux » est artificielle et masque la frontière réelle, celle qui sépare les êtres humanisés reconnus comme égaux des êtres animalisés reconnus comme inégaux», analyse l’autrice.
De la chasse aux Amérindiens par les premiers colons, aux esclaves africaines exposées dans les cirques, en passant par l’exploitation des ouvriers des abattoirs de Chicago à l’aube du capitalisme, Kaoutar Harchi tisse une histoire nouvelle des dominations. Celle d’hommes occidentaux qui classent, dissèquent, mutilent, violent, humilient. Et, parfois, exterminent.
Sociologue de formation, Kaoutar Harchi a rigoureusement documenté chacun de ses exemples. Pourtant, son livre n’a rien d’un pavé théorique, puisque l’écrivaine a opté pour un style aéré, parfois poétique, parfois autobiographique.
«Ainsi l’Animal et nous» se veut aussi un appel à «défaire tout ce qui a été fait». À rappeler l’histoire des résistances, de ces femmes qui dénoncèrent les vivisections au XIXe siècle, de celles qui refusèrent de manger des animaux. Aussi, de ces voix qui s’élevèrent contre les tueries de peuples animalisés et qui, aujourd’hui, sont plus que jamais d’actualité.
Ainsi l’Animal et nous, Kaoutar Harchi, Actes Sud, septembre 2024, 320 p., 22,50€
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