Entretien

Laetitia Dosch, réalisatrice du «Procès du chien» : «J’ai beaucoup de copains chiens et chats»

Au poil. Un toutou à la canine un peu trop facile et une avocate qui se cherche : c’est le couple improbable que l’on découvre dans «Le Procès du chien», en salle ce mercredi. Une comédie surréaliste, mêlant satire sociale et conte interspéciste, réalisée et interprétée par la comédienne franco-suisse Laetitia Dosch, rejointe au casting par Jean-Pascal Zadi et François Damiens. Vert l’a rencontrée quelques jours avant la sortie du film.
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On retrou­ve Laeti­tia Dosch dans un café du quarti­er Télé­graphe, dans le 20ème arrondisse­ment de Paris, à deux pas de chez elle. À peine assise, elle fait défil­er sur son télé­phone des pho­tos de chiens au ciné­ma. Pas des chiens sur grand écran, non, des chiens venus au ciné­ma avec leurs maîtres et maîtress­es pour voir un film. Ça s’est passé dimanche soir en Suisse, à Gimel, où 40 toutous et 130 spectateur·ices ont assisté à une pro­jec­tion du Procès du chien, que Laeti­tia Dosch a réal­isé et dans lequel elle joue une avo­cate décidée à sauver de l’euthanasie un canidé qui mord des femmes. Une manière de ques­tion­ner le statut des ani­maux, assim­ilés dans le droit à des «choses».

Laeti­tia Dosch à Paris, le 9 sep­tem­bre 2024. © Yann Cas­tanier / Vert

D’où est venue cette idée de faire des séances ciné pour chiens ?

Quand je fai­sais les pro­jec­tions-test pour Le Procès du chien, je suis allée chez ma copine Judith. Yova, son chien, était là. Pen­dant le film, il réagis­sait. C’é­tait hyper touchant de le voir regarder le film, répon­dre aux sons. À Gimel, en Suisse, la manière dont les chiens s’observaient, se répondaient, c’était mag­nifique.

Cette histoire d’une avocate suisse qui décide de défendre en justice un chien qu’on veut faire euthanasier pour avoir mordu des femmes repose sur des faits réels. Ça semble assez surréaliste !

Oui, mais c’est vrai­ment inspiré de plusieurs his­toires vraies et assez récentes. Dans mes recherch­es, je suis même tombée sur un cas qui a été jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Dans Le Procès du chien, il y a une scène très surprenante, où on te voit te battre avec Cosmos, le chien du film… Ça ne doit pas être simple à tourner, non ?

Kodi, le chien qui joue le per­son­nage de Cos­mos dans le film, a gran­di dans la rue avant d’être adop­té par ses dresseurs actuels. Ce que tu vois dans le film, c’est ce qu’il aime faire avec sa dresseuse quand il joue. C’est quelque chose qui fait peur de l’ex­térieur, mais pour eux, c’est du jeu. Sa dresseuse, elle ne se pro­tège même pas ! Moi, j’avais assez con­fi­ance pour cette scène, j’ai seule­ment mis des pro­tec­tions sur mes avant-bras. C’est une des scènes où le chien est le plus moteur et où, lui et moi, on est le plus à égal­ité.

À Gimel (Suisse), le 8 sep­tem­bre 2024, lors de la pro­jec­tion ouverte aux canidés du film Le Procès du chien. © Shan­ju

Comment travaille-t-on avec un chien au cinéma ?

Les dresseurs de Kodi ont listé toutes les actions du chien qu’il y avait dans le scé­nario ; en gros, une cen­taine. Ils ont mis des étoiles sur ce qu’ils pen­saient que le chien ferait facile­ment, et d’autres sur ce qui leur parais­sait com­plète­ment impos­si­ble.

Impossible, comme quoi ?

Comme quand le chien hurle à la manière d’un loup dans la forêt, qui est un moment essen­tiel du film. Je ne pou­vais pas l’enlever. On a regardé ce qu’on pou­vait faire avec des effets spé­ci­aux, mais ça ne mar­chait pas. Les dresseurs ont essayé plein de trucs pour déclencher le hurlement, sachant que Kodi aime bien chanter au son de la gui­tare… Et puis, tout d’un coup, ils ont réus­si en imi­tant des petits cris de cha­tons !

Ça doit être stressant pour un chien d’être sur un tournage…

Kodi est habitué aux spec­ta­cles de rue. Pen­dant le tour­nage, il y avait plein de règles à respecter pour qu’il aille bien. Il avait son petit coin avec son panier, il bos­sait par tranch­es d’une heure et demie, deux fois par jour. Entre ces ses­sions, il allait faire des balades avec tous ses potes chiens. Per­son­ne n’avait trop le droit de le touch­er ou de le caress­er, sauf les acteurs qui jouaient avec lui, comme Jean-Pas­cal Zadi dans le rôle d’un spé­cial­iste canin et François Damiens dans celui du pro­prié­taire hand­i­capé visuel du chien, pour éviter trop de stim­u­la­tions. Après, c’était la mas­cotte du tour­nage. Dans les scènes au tri­bunal, dès qu’il fai­sait un truc génial, tout le monde se met­tait à applaudir !

Cos­mos, à la barre du tri­bunal où se joue son avenir. © The Jok­ers films

Est-ce que tourner avec un chien, ça a rallongé le temps de tournage ?

Au con­traire, ça nous a vache­ment struc­turés. On a pris quelques heures en plus, autant dire rien du tout.

Tu as casté combien de chiens pour ton film ?

J’ai ren­du vis­ite à une cen­taine de dresseurs et leurs chiens, je dirais. Ce qui a guidé mon choix, c’est la rela­tion entre le chien et son dresseur, sa dresseuse. Je les fai­sais tra­vailler ensem­ble, je regar­dais le chien bouger.

Ce chien qui se met à hurler comme un loup, c’était pour dire quoi ?

Il y a quelque chose qui m’a tou­jours inter­pel­lée : ça fait 15 000 ans qu’on a domes­tiqué les chiens. On les a croisés pour qu’ils aient une tête comme ça, une taille spé­ciale, des poils plus ou moins longs… On leur coupe les couilles pour qu’ils soient plus tran­quilles ! En fait, on les sculpte comme des bon­saïs. Alors un chien qui, tout d’un coup, entend un cri de loup, c’est vrai­ment émou­vant. Ça rap­pelle quelque chose d’ances­tral. Je sais que pas mal de gens vont trou­ver ça sim­pliste, mais le grand pub­lic com­pren­dra sans doute ce mou­ve­ment pour retrou­ver sa nature pro­fonde, aller au-delà de tous ces siè­cles de domes­ti­ca­tion.

Laeti­tia Dosch, Cos­mos et François Damiens. © The Jok­ers Films

En 2018, on te découvrait seule au théâtre avec un grand cheval blanc pour ta pièce Hate. Tu as aussi lancé un projet audio, Radio arbres, où tu invites les gens à se mettre à la place de végétaux. Et maintenant ce film sur le procès d’un chien… Tu fais de l’art interspéciste ?

Pour moi, c’est une manière d’explorer com­ment l’art, la cul­ture, peu­vent éveiller la curiosité, pos­er des ques­tions d’une nou­velle façon. Inter­roger les rela­tions avec les autres espèces, ça en fait par­tie. Dans Le Procès du chien, comme dans Hate, ce qui m’intéresse c’est de par­ler du rap­port d’ex­ploita­tion et de dom­i­na­tion.

Ce souci des autres espèces et de notre relation à elles, c’est quelque chose d’ancien chez toi ?

Il y a encore une décen­nie, je ne par­lais pas d’é­colo­gie dans mes pièces. En voy­ant les dégâts mon­ter, l’ir­ré­para­bil­ité des choses, ça m’a pris. Je me suis dit : qu’est-ce que je peux apporter ? Pour moi, c’est vrai­ment ce thème de l’ex­ploita­tion, de la dom­i­na­tion, de se servir des autres qui me ques­tionne. J’ai appris récem­ment que les humains représen­taient moins d’un pour cent des êtres vivants sur Terre… Pour­tant, on se com­porte comme si tout était à notre ser­vice.

Laeti­tia Dosch à Paris, le 9 sep­tem­bre 2024. © Yann Cas­tanier / Vert

Il y a autre chose : j’ai gran­di à Paris avec plein d’animaux. Mon grand-père était ornitho­logue, chez lui, il y avait des ani­maux vivants, morts, empail­lés. Il y avait des chiens, des chats, des chin­chillas, et même un fen­nec, à un moment ! Mon grand-père pos­sé­dait la plus grande bib­lio­thèque d’œufs d’oiseaux d’Eu­rope, qui est main­tenant à Toulouse au musée d’or­nitholo­gie. Il allait dans les arbres, pre­nait les œufs, les vidait, les con­ser­vait. C’é­tait une autre époque. Pour lui, c’é­tait une forme d’amour, de faire ça.

C’est quoi le film qui t’a particulièrement inspirée sur les rapports hommes-animaux ?

Le doc­u­men­taire de Bar­bet Schroed­er, Koko, le gorille qui par­le. Incroy­able.

Et toi, tu as un chien ?

Non, je n’ai pas d’an­i­maux à moi. Être pro­prié­taire d’un ani­mal, j’ai du mal avec ça. Il ne faut pas le voir comme ça, je sais, mais je ne peux pas m’en empêch­er. Par con­tre, j’ai beau­coup de copains chiens et chats. Comme Jean-Paul, le chat des voisins, qui vivait dans le sous-sol d’une boulan­gerie de mon quarti­er. Il n’é­tait pas nour­ri pour bouf­fer les souris et pro­téger la farine. Il s’est échap­pé. Depuis, il va et vient comme il veut… Des fois, tu le vois débar­quer par un Velux. Il vient dormir avec toi, puis il se rebarre ! Ça, c’est par­fait pour moi.