On retrouve Laetitia Dosch dans un café du quartier Télégraphe, dans le 20ème arrondissement de Paris, à deux pas de chez elle. À peine assise, elle fait défiler sur son téléphone des photos de chiens au cinéma. Pas des chiens sur grand écran, non, des chiens venus au cinéma avec leurs maîtres et maîtresses pour voir un film. Ça s’est passé dimanche soir en Suisse, à Gimel, où 40 toutous et 130 spectateur·ices ont assisté à une projection du Procès du chien, que Laetitia Dosch a réalisé et dans lequel elle joue une avocate décidée à sauver de l’euthanasie un canidé qui mord des femmes. Une manière de questionner le statut des animaux, assimilés dans le droit à des «choses».
D’où est venue cette idée de faire des séances ciné pour chiens ?
Quand je faisais les projections-test pour Le Procès du chien, je suis allée chez ma copine Judith. Yova, son chien, était là. Pendant le film, il réagissait. C’était hyper touchant de le voir regarder le film, répondre aux sons. À Gimel, en Suisse, la manière dont les chiens s’observaient, se répondaient, c’était magnifique.
Cette histoire d’une avocate suisse qui décide de défendre en justice un chien qu’on veut faire euthanasier pour avoir mordu des femmes repose sur des faits réels. Ça semble assez surréaliste !
Oui, mais c’est vraiment inspiré de plusieurs histoires vraies et assez récentes. Dans mes recherches, je suis même tombée sur un cas qui a été jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme.
Dans Le Procès du chien, il y a une scène très surprenante, où on te voit te battre avec Cosmos, le chien du film… Ça ne doit pas être simple à tourner, non ?
Kodi, le chien qui joue le personnage de Cosmos dans le film, a grandi dans la rue avant d’être adopté par ses dresseurs actuels. Ce que tu vois dans le film, c’est ce qu’il aime faire avec sa dresseuse quand il joue. C’est quelque chose qui fait peur de l’extérieur, mais pour eux, c’est du jeu. Sa dresseuse, elle ne se protège même pas ! Moi, j’avais assez confiance pour cette scène, j’ai seulement mis des protections sur mes avant-bras. C’est une des scènes où le chien est le plus moteur et où, lui et moi, on est le plus à égalité.
Comment travaille-t-on avec un chien au cinéma ?
Les dresseurs de Kodi ont listé toutes les actions du chien qu’il y avait dans le scénario ; en gros, une centaine. Ils ont mis des étoiles sur ce qu’ils pensaient que le chien ferait facilement, et d’autres sur ce qui leur paraissait complètement impossible.
Impossible, comme quoi ?
Comme quand le chien hurle à la manière d’un loup dans la forêt, qui est un moment essentiel du film. Je ne pouvais pas l’enlever. On a regardé ce qu’on pouvait faire avec des effets spéciaux, mais ça ne marchait pas. Les dresseurs ont essayé plein de trucs pour déclencher le hurlement, sachant que Kodi aime bien chanter au son de la guitare… Et puis, tout d’un coup, ils ont réussi en imitant des petits cris de chatons !
Ça doit être stressant pour un chien d’être sur un tournage…
Kodi est habitué aux spectacles de rue. Pendant le tournage, il y avait plein de règles à respecter pour qu’il aille bien. Il avait son petit coin avec son panier, il bossait par tranches d’une heure et demie, deux fois par jour. Entre ces sessions, il allait faire des balades avec tous ses potes chiens. Personne n’avait trop le droit de le toucher ou de le caresser, sauf les acteurs qui jouaient avec lui, comme Jean-Pascal Zadi dans le rôle d’un spécialiste canin et François Damiens dans celui du propriétaire handicapé visuel du chien, pour éviter trop de stimulations. Après, c’était la mascotte du tournage. Dans les scènes au tribunal, dès qu’il faisait un truc génial, tout le monde se mettait à applaudir !
Est-ce que tourner avec un chien, ça a rallongé le temps de tournage ?
Au contraire, ça nous a vachement structurés. On a pris quelques heures en plus, autant dire rien du tout.
Tu as casté combien de chiens pour ton film ?
J’ai rendu visite à une centaine de dresseurs et leurs chiens, je dirais. Ce qui a guidé mon choix, c’est la relation entre le chien et son dresseur, sa dresseuse. Je les faisais travailler ensemble, je regardais le chien bouger.
Ce chien qui se met à hurler comme un loup, c’était pour dire quoi ?
Il y a quelque chose qui m’a toujours interpellée : ça fait 15 000 ans qu’on a domestiqué les chiens. On les a croisés pour qu’ils aient une tête comme ça, une taille spéciale, des poils plus ou moins longs… On leur coupe les couilles pour qu’ils soient plus tranquilles ! En fait, on les sculpte comme des bonsaïs. Alors un chien qui, tout d’un coup, entend un cri de loup, c’est vraiment émouvant. Ça rappelle quelque chose d’ancestral. Je sais que pas mal de gens vont trouver ça simpliste, mais le grand public comprendra sans doute ce mouvement pour retrouver sa nature profonde, aller au-delà de tous ces siècles de domestication.
En 2018, on te découvrait seule au théâtre avec un grand cheval blanc pour ta pièce Hate. Tu as aussi lancé un projet audio, Radio arbres, où tu invites les gens à se mettre à la place de végétaux. Et maintenant ce film sur le procès d’un chien… Tu fais de l’art interspéciste ?
Pour moi, c’est une manière d’explorer comment l’art, la culture, peuvent éveiller la curiosité, poser des questions d’une nouvelle façon. Interroger les relations avec les autres espèces, ça en fait partie. Dans Le Procès du chien, comme dans Hate, ce qui m’intéresse c’est de parler du rapport d’exploitation et de domination.
Ce souci des autres espèces et de notre relation à elles, c’est quelque chose d’ancien chez toi ?
Il y a encore une décennie, je ne parlais pas d’écologie dans mes pièces. En voyant les dégâts monter, l’irréparabilité des choses, ça m’a pris. Je me suis dit : qu’est-ce que je peux apporter ? Pour moi, c’est vraiment ce thème de l’exploitation, de la domination, de se servir des autres qui me questionne. J’ai appris récemment que les humains représentaient moins d’un pour cent des êtres vivants sur Terre… Pourtant, on se comporte comme si tout était à notre service.
Il y a autre chose : j’ai grandi à Paris avec plein d’animaux. Mon grand-père était ornithologue, chez lui, il y avait des animaux vivants, morts, empaillés. Il y avait des chiens, des chats, des chinchillas, et même un fennec, à un moment ! Mon grand-père possédait la plus grande bibliothèque d’œufs d’oiseaux d’Europe, qui est maintenant à Toulouse au musée d’ornithologie. Il allait dans les arbres, prenait les œufs, les vidait, les conservait. C’était une autre époque. Pour lui, c’était une forme d’amour, de faire ça.
C’est quoi le film qui t’a particulièrement inspirée sur les rapports hommes-animaux ?
Le documentaire de Barbet Schroeder, Koko, le gorille qui parle. Incroyable.
Et toi, tu as un chien ?
Non, je n’ai pas d’animaux à moi. Être propriétaire d’un animal, j’ai du mal avec ça. Il ne faut pas le voir comme ça, je sais, mais je ne peux pas m’en empêcher. Par contre, j’ai beaucoup de copains chiens et chats. Comme Jean-Paul, le chat des voisins, qui vivait dans le sous-sol d’une boulangerie de mon quartier. Il n’était pas nourri pour bouffer les souris et protéger la farine. Il s’est échappé. Depuis, il va et vient comme il veut… Des fois, tu le vois débarquer par un Velux. Il vient dormir avec toi, puis il se rebarre ! Ça, c’est parfait pour moi.