Entretien

Tout savoir sur le TFA, «le plus problématique de tous les PFAS» : l’un des plus grands spécialistes au monde répond à Vert

Pile tu gagnes, PFAS tu perds. Eau du robinet, céréales, pain… le TFA, le plus petit et le plus mobile des PFAS, est partout. Il représente une menace pour notre santé, alerte auprès de Vert Hans Peter Arp, spécialiste mondialement reconnu de la substance. Le chercheur appelle à son interdiction dans les procédés industriels.
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C’est le plus petit des PFAS – ces substances chimiques qui entrent dans la composition de plusieurs pesticides et de nombreux objets du quotidien (poêles, tissus imperméables…), réputées pour leur toxicité et leur persistance dans le corps humain et l’environnement. L’acide trifluoroacétique, ou TFA, fait parler de lui ces derniers jours. Mercredi 3 décembre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a révélé son omniprésence dans l’eau potable consommée par les Français·es.

Au lendemain de cette première publication, une étude du Réseau d’action contre les pesticides (PAN Europe) a montré que les céréales du petit-déjeuner, le pain ou les pâtes constituaient aussi une importante source d’exposition au TFA. 66 produits à base de céréales, y compris estampillés bio, provenant de 16 pays européens, ont été analysés par un laboratoire indépendant autrichien. Et, dans près de 82% d’entre eux, la présence de TFA a été détectée avec des niveaux de concentration importants – la teneur moyenne en TFA a atteint 78 900 nanogrammes par kilogramme (c’est largement supérieur au niveau moyen mesuré dans l’eau par l’Anses : 1 000 nanogrammes par litre).

Comment expliquer la contamination généralisée de notre environnement au TFA ? Que sait-on de la toxicité de ce «polluant éternel» et comment s’en protéger ? Pour tout comprendre, Vert a interrogé Hans Peter Arp, chimiste de l’environnement à l’Institut géotechnique norvégien (NGI) et professeur à l’université norvégienne des sciences et technologies. Il est l’un des plus grands spécialistes au monde du TFA.

Pour commencer, qu’est-ce que le TFA ?

Le TFA a la même structure chimique que le vinaigre, que tout le monde connaît. La différence, c’est que l’un de ses atomes de carbone est attaché à trois atomes de fluor. C’est une structure extrêmement stable, car ces liaisons carbone-fluor sont très difficiles à casser ! Il est classé parmi les PFAS, cette grande famille de substances chimiques qui ne se dégradent pas.

Hans Peter Arp, chimiste de l’environnement à l’Institut géotechnique norvégien (NGI). © Ilir Tsouko/Documentary Film Photography

En quoi le TFA est-il différent des autres PFAS ?

C’est tout simplement le plus petit des PFAS, et donc le plus mobile. Il est extrêmement soluble dans l’eau, peut se déplacer très rapidement dans le sol et les eaux souterraines et pénétrer dans les plantes. Aucun autre PFAS ne circule aussi rapidement dans l’environnement.

Où le retrouve-t-on aujourd’hui ?

On le retrouve partout. Le TFA est considéré comme une substance issue de sources multiples car une grande variété de produits chimiques – apparus pour la plupart ces 30 dernières années – contribuent à son accumulation dans l’environnement. L’une des principales raisons de l’augmentation de ses concentrations à l’échelle mondiale est qu’il est désormais formé à partir de nombreux gaz dits frigorigènes, c’est-à-dire utilisés dans les systèmes de refroidissement et de chauffage.

Lorsque ces gaz s’échappent d’un climatiseur ou d’une pompe à chaleur, ils se dispersent dans l’atmosphère, s’y dégradent en TFA, puis retombent sous forme de pluie pratiquement partout sur la planète. Comme l’usage de ces gaz augmente très rapidement, on observe une hausse généralisée du TFA : dans la neige arctique, dans les forêts les plus isolées, dans les végétaux… Bref, partout.

Les pesticides contribuent aussi à cette pollution, c’est exact ?

Oui, certains pesticides, que l’on appelle les pesticides-PFAS. Ce sont des produits qui étaient peu répandus il y a plus de trente ans, introduits récemment sur le marché. Lorsqu’ils se dégradent, sous l’action de microbes, de la lumière du soleil ou d’autres processus, ils ne vont pas jusqu’à la biodégradation complète : ils se dégradent jusqu’à ce qu’il ne reste que du TFA. On a constaté au Danemark, et dans d’autres régions, que les concentrations de TFA sont très élevées dans les zones agricoles où ces pesticides sont utilisés.

Quelle est la source principale d’exposition pour les humains ?

Il y a quatre ans, si vous m’aviez posé la question, j’aurais répondu l’eau. Mais aujourd’hui je suis convaincu que l’alimentation d’origine végétale – céréales, légumes, jus, vin – est la principale voie d’exposition. Les données récentes montrent que n’importe quel aliment d’origine végétale que nous mangeons ou buvons en contient. Même le vin ! Des analyses sur des millésimes français ont montré une augmentation régulière du TFA depuis les années 1970.

Quels risques le TFA représente-t-il pour la santé ?

À ce jour, tous les risques potentiels du TFA ne sont pas encore pleinement caractérisés, mais plusieurs études soulèvent des signaux préoccupants. En Allemagne, la substance a été classée reprotoxique [toxique pour la reproduction, NDLR] – non pas en raison d’un effet avéré sur la fertilité, mais parce que des lapereaux exposés in utero présentaient des malformations de l’œil et de la rétine à la naissance. Cette observation nourrit la crainte d’éventuels effets oculaires sur les générations futures.

Aux Pays-Bas, ce sont surtout les effets sur le foie qui suscitent l’inquiétude. Les autorités sanitaires y ont d’ailleurs considérablement abaissé le seuil à partir duquel des effets sont jugés possibles. Elles ont fixé une valeur de référence pour l’eau potable à 2,2 microgrammes par litre (en France elle est de 60 microgrammes par litre) en raison d’un risque suspecté de toxicité hépatique dans la population générale. Or, la récente étude française montre qu’environ 10% des échantillons d’eau analysés dépassent ce seuil – sans même prendre en compte l’exposition alimentaire –, ce qui renforce encore les préoccupations.

La question de la neurotoxicité se pose également. Des anesthésistes ont montré qu’un gaz anesthésiant autrefois utilisé, l’halothane, se dégradait en TFA dans l’organisme. Certains patients, après l’anesthésie, présentaient ensuite des problèmes au foie mais aussi une récupération cognitive incomplète. Ces observations ont contribué à l’abandon progressif de l’halothane.

Quelles sont les limites de sécurité aujourd’hui ?

Pour l’alimentation, il n’y en a pas. Quant à l’eau, elles varient. La France a calqué la sienne sur l’Allemagne, qui est de 60 microgrammes par litre – mais qui est en partie arbitraire. Les Pays-Bas recommandent désormais 2,2 microgrammes par litre, la valeur la plus stricte au monde. L’Union européenne est actuellement en train de discuter de l’adoption d’une valeur toxicologique de référence pour le TFA au niveau européen.

Existe-t-il des méthodes pour éliminer le TFA ?

Dans les aliments, on ne peut rien faire. Pour l’eau, c’est techniquement possible. Mais seulement grâce à l’osmose inverse, un procédé extrêmement coûteux, énergivore, et… qui déminéralise totalement l’eau. On pourrait imaginer, ensuite, une reminéralisation artificielle, mais cela comporte aussi des risques.

De manière générale, imaginer un déploiement massif de cette technologie serait un désastre, selon moi. D’autant plus que si l’on retirait le TFA de l’eau, on en consommerait toujours via les aliments !

Donc la seule solution serait d’arrêter d’en produire ?

Exactement. Le TFA n’existait quasiment pas dans l’environnement il y a trente ans. Nous devons abandonner les gaz fluorés qui en génèrent – des technologies alternatives existent déjà. Elles coûtent plus cher, ce qui explique les résistances de certains secteurs, notamment l’automobile. Mais c’est la condition pour une fin réellement positive. Il faut aussi repenser l’usage des pesticides et de certaines molécules pharmaceutiques qui se dégradent en TFA.

Les citoyens peuvent-ils faire quelque chose pour réduire leur exposition ?

Ils ne peuvent pas grand-chose, honnêtement. Les sources industrielles sont trop importantes. Je ne recommanderais pas d’éviter certains aliments, comme le blé, même si on y observe du TFA. En revanche, un étiquetage des appareils qui utilisent des gaz produisant du TFA pourrait aider, à terme, à orienter le marché.

Enfin, le TFA est-il le PFAS le plus dangereux ?

Il n’est pas le plus toxique. Mais c’est celui auquel nous sommes et serons le plus exposés. À ce titre, il est probablement le plus problématique. Et contrairement à d’autres PFAS, il est quasiment impossible à éviter…

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