La France accueille à partir de ce lundi la conférence mondiale sur l’océan à Nice (Alpes-Maritimes). Fondatrice et directrice générale de l’association de défense de l’océan Bloom, Claire Nouvian compte mettre le sujet des destructions marines liées à la pêche industrielle à l’agenda diplomatique de cette semaine cruciale pour l’écologie.
La France accueille l’Unoc3, un grand sommet international sur l’océan. Qu’en attendez-vous ?
La France est la deuxième puissance maritime mondiale, derrière les États-Unis. Nous sommes dans un contexte d’effondrement mondial de la biodiversité et d’instabilité climatique. L’océan est le principal régulateur du climat, notre thermostat planétaire : c’est maintenant que tout devrait se jouer pour assurer la stabilité et la sécurité des sociétés humaines. Malheureusement, c’est mal parti, puisque cette conférence est organisée par la France, et que l’objectif est d’éviter de parler des deux éléphants dans la pièce : les pêches industrielles, qui sont la première cause de destruction de l’océan, et les émissions de CO2 [dioxyde de carbone, principal gaz responsable du réchauffement climatique, NDLR].
Il y aura forcément des annonces du président de la République, mais celles-ci seront gardées secrètes jusqu’au dernier moment… Quelle est selon vous la meilleure nouvelle que pourrait annoncer Emmanuel Macron à Nice ?
C’est très clair : il faut d’abord qu’il écoute la science. Aujourd’hui, si on veut prendre des mesures aptes à sauver l’océan, la biodiversité marine et le climat, on sait quoi faire.
La première mesure qu’Emmanuel Macron pourrait annoncer, ce sont des aires marines réellement protégées. Il pourrait interdire à l’intérieur de ces zones toutes les méthodes de pêche destructrices, comme le chalutage pélagique ou le chalutage de fond (notre article). Cela aurait dû être mis à l’agenda des négociations pour que l’accord de Nice soit autre chose qu’une coquille vide.

Deuxième annonce, qui serait vraiment du bon sens social, écologique et économique : interdire au niveau mondial tous les bateaux industriels de plus de 25 mètres des eaux côtières, dans la bande des douze miles nautiques [22 kilomètres depuis les plages, NDLR]. On a le droit de le faire dans le cadre de la politique commune de la pêche. Les navires de plus de 25 mètres représentent 3% des flottes de pêche, mais ils capturent la moitié des poissons. On est face à une pure lutte des classes dans le secteur de la pêche : les petits se battent contre les gros, et les pouvoirs politiques prennent toujours parti pour les gros.
Comment allez-vous pousser ce sujet dans les négociations ?
Pour gagner contre les pêches industrielles destructrices dans le cadre d’une conférence internationale comme celle-ci, on doit demander que ces questions soient mises à l’agenda : il faut le montrer, le démontrer, apporter des faits, porter des dossiers sous le nez des dirigeants…
«Il faut que les citoyens et citoyennes qui écoutent la science se mettent ensemble avec les ONG sur place pour faire pression sur les leaders politiques.»
Tout cela, on l’a fait avant, et ça n’a servi à rien, car il y a un cap très clair : ce sommet est une grande opération de communication. Je signale au passage que Mediapart a révélé dans une enquête que cette conférence des Nations unies va nous coûter au moins 50 millions de plus que la dernière, qui s’est tenue il y a trois ans à Lisbonne. C’est un scandale financier, en plus d’être un scandale par le vide intersidéral proposé pour l’instant par l’accord de Nice.
Mais tout peut encore changer, et ça va se jouer dans les cinq jours qui viennent. Pour gagner, il faut que les citoyens et citoyennes qui écoutent la science se mettent ensemble avec les ONG sur place pour faire pression sur les leaders politiques, et notamment Emmanuel Macron.
Ces dernières années, la France a pris des positions fortes concernant la préservation des fonds marins, et à propos du traité à venir sur la pollution plastique. Comment expliquer ce décalage d’ambition selon les enjeux qui touchent l’océan ?
La spécialité de la France, c’est d’éviter de se confronter aux intérêts économiques en place. Pour l’exploitation des minerais en profondeur, rappelons que c’est grâce à la mobilisation citoyenne que nous avons gagné le retournement de veste d’Emmanuel Macron à la dernière conférence des Nations unies sur l’océan à Lisbonne en 2022. Du jour au lendemain, il a décidé l’inverse de ce que tous les diplomates français disaient jusqu’à son arrivée, en annonçant que la France soutenait le moratoire international sur l’exploitation et l’extraction des minerais en profondeur. Des retournements sont donc possibles, il faut rappeler qu’il n’y a pas de lobby de l’extraction minière des fonds marins, puisque les entreprises ne se sont pas encore engagées dans cette activité économique (notre article).
«Si la France avait le courage de s’intéresser aux intérêts économiques en place, alors elle s’occuperait de la pêche industrielle.»
Sur le plastique, on voit bien que la France porte au niveau international des positions globalement assez ambitieuses par rapport à l’obstruction des pays pétroliers producteurs de plastique (notre article). Mais, une fois de plus, si nos dirigeants avait le courage de s’intéresser aux intérêts économiques en place, alors elle s’occuperait de la pêche industrielle, qui est l’une des principales sources de pollution plastique en mer. On sait aujourd’hui qu’un filet perdu au large est capable de faire 18 fois le tour de la planète.
Concrètement, pourquoi la France manque-t-elle d’ambition sur la question de la pêche ?
C’est tout simplement parce que les lobbys de la pêche industrielle sont à l’intérieur même de l’appareil d’État. Ils travaillent en collusion avec l’administration centrale et ont pris le contrôle de tous les organes de représentation de la pêche en France, devenus des organes de représentation de la pêche industrielle. Tous les élus du littoral, notamment en Bretagne, répètent leurs éléments de langage et ne s’intéressent pas aux petits pêcheurs artisans, qui ne sont pas constitués en force politique.
Le pouvoir fait le choix d’écouter les industriels et de marcher main dans la main avec eux. Même s’ils ne représentent que 3% des flottes, la France choisit toujours leur camp et trahit les pêcheurs français. Ça a été le cas sur la senne démersale, une méthode de pêche absolument inacceptable qui est surtout pratiquée par des navires néerlandais dans les eaux françaises de la Manche [Elle consiste à utiliser des câbles vibrants formant un mur de sédiments qui dissuade les poissons de fuir, NDLR]. Avec les pêcheurs, nous avons gagné son interdiction au Parlement européen. Mais la France a abandonné ses propres pêcheurs lors des négociations finales, qui étaient très opaques [En 2022, les autorités européennes ont finalement décidé de renoncer à interdire la senne démersale, NDLR].
La France se contrefiche des emplois et de la vitalité du littoral français : son sujet n’est pas les ports de pêche, mais les grandes entreprises capitalisées qui gagnent des centaines de millions d’euros, qui font de l’évasion fiscale et sont souvent impliquées dans des crimes écologiques et des violations de droits humains. Voilà le choix de la France. On va le dire : ça s’appelle de la corruption.
Vous accusez justement ces «lobbys de la pêche» d’être à l’origine de la dégradation de votre entrée d’appartement la semaine dernière. Que révèle cette attaque ?
Avec ce qui s’est passé à mon domicile privé, on voit bien que les pêches industrielles n’ont pas seulement des impacts négatifs sur l’environnement, le climat, la justice sociale ou les pêcheurs artisans : elles dégradent aussi la démocratie et mettent en péril la paix sociale. Ils sont en panique parce qu’ils savent que notre travail en tant qu’ONG scientifique est de quantifier l’impact de leurs activités sur l’environnement, les finances publiques, les emplois…
S’ils vont sur le terrain des faits, ils perdent. Ils n’ont aucun argument pour défendre leurs activités mortifères. C’est pour cette raison qu’ils attaquent les personnes avec des techniques diffamatoires, et maintenant des techniques de harcèlement physique, avec des méthodes de barbouzes poutino-trumpistes. Ils ont peur qu’Emmanuel Macron se dissocie enfin de ces brigands. Ils ont essayé de nous faire peur, c’est raté.