Parlevliet & van der Plas, Cornelis Vrolijk, Van der Zwan, Alda Seafood et De Boer. À eux cinq, ces énormes groupes industriels contrôlent la majorité de la pêche industrielle en Europe et jouent un rôle central dans l’épuisement des ressources marines (notre article).
Ce big five forme «un oligopole extrêmement puissant qui domine la pêche européenne, capte les quotas de pêche au détriment des pêcheurs artisans et pose de graves problèmes au bon fonctionnement des démocraties par le contrôle qu’il exerce sur les décisions publiques», dévoile ce mardi une enquête menée par le consortium de journalistes d’investigation néerlandais Spit et l’association de défense des océans Bloom.
Plus de 400 filières et 230 navires en Europe
«Ils contrôlent toute la chaîne de valeur, de la pêche jusqu’à l’assiette, en passant par la transformation du poisson, le commerce et même, pour certains, des restaurants de fish and chips», décrypte Laetitia Bisiaux, responsable de la campagne pêche industrielle à Bloom. Son enquête collaborative a identifié plus de 400 filiales et 230 navires liés par des intérêts financiers à ces cinq mastodontes : «Derrière une façade de concurrence, ces entreprises coopèrent étroitement : elles s’allient pour écraser les autres acteurs du secteur.»
Avec 24 navires industriels sous pavillon français, ces géants néerlandais ne sont pas en reste dans l’Hexagone. Parleviet & Van der Plas (aussi connu sous le nom de P&P) a par exemple racheté en 2011 la Compagnie des pêches de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) et l’entreprise de pêche Euronor, basée à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).

L’emprise croissante de ces géants néerlandais se fait sentir depuis le début des années 2010, rappelle Laetitia Bisiaux : «On voit une grogne constante chez les pêcheurs qui voient leurs quotas grignotés par ces entreprises étrangères.» Mais c’est la première fois que cette hégémonie est aussi finement documentée : l’enquête de Bloom et Spit a identifié quinze organisations de lobbying reliées à ce big five, qui militent au sein de l’Union européenne pour infléchir les orientations des États membres.
Plus inquiétant encore : certains de leurs représentants ont intégré des instances officielles, comme le puissant Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), syndicat censé représenter les intérêts de l’ensemble des pêcheurs français.
«Pour eux, il faut juste pêcher le plus vite possible pour faire du capital»
Cette influence permet à ces géants néerlandais et leurs nombreuses filiales de se partager les quotas de pêche, soit le nombre maximal de captures de poissons fixé au niveau européen et réparti entre les États membres, puis entre les représentants de la pêche. «La transparence s’arrête au niveau de ces organisations de producteurs, déplore Laetitia Bisiaux, de l’association Bloom. Cela pose un vrai problème de démocratie et de justice sociale pour les pêcheurs.»
La militante rappelle la logique générale de ces quotas : «Plus vous avez pêché par le passé, plus vous avez le droit de pêcher. On donne ces quotas à ceux qui sont responsables de la surpêche.» La quasi-totalité des 230 bateaux reliés au big five néerlandais utilise ainsi des techniques de pêche controversées, comme le chalutage de fond (qui racle les fonds marins) ou la senne démersale (un immense filet avec des câbles vibrants, qui encercle des quantités massives de poissons, notre article).
L’Annelies-Ilena, navire de 145 mètres de long codétenu par P&P et Alda Seafood, est par exemple capable de capturer 400 tonnes de poisson par jour, soit autant qu’un millier de petits bateaux de pêche artisanale, selon Bloom. «Ils n’ont pas cette philosophie de vouloir maintenir une pêche sociale et écologique. Pour eux, il faut juste pêcher le plus vite possible pour faire du capital», accuse Laetitia Bisiaux.
Déboires financiers et course à l’extractivisme
Autre révélation : une partie de ces géants néerlandais de la pêche industrielle se dirige vers de nouvelles activités. La famille Van der Plas a par exemple cédé ses parts à la famille Parlevliet pour investir dans… l’immobilier. «C’est le signe qu’il y a un risque de perte de profits avec la surpêche et les dommages liés au changement climatique : ils cherchent à se diversifier pour partir là où les investissements sont plus sûrs», analyse Laetitia Bisiaux.
Une deuxième enquête publiée ce mardi par Bloom et Spit dévoile aussi que ce big five a largement profité des subventions européennes accordées aux pêcheur·ses en difficulté dans le cadre du Brexit (notre article). Les cinq majors néerlandaises ont reçu 53 millions d’euros, soit 40% de ces aides publiques.
Mais ces navires, souvent des chalutiers de fond, étaient déjà «structurellement condamnés» avant le Brexit, à cause de la surpêche de certains poissons et des fortes dépenses d’énergie de ces gros bateaux. Leurs pertes financières sont aussi liées à la fin de la pêche électrique, une pratique visant à étourdir les poissons avec du courant, interdite en Europe depuis 2021, rappelle Laetitia Bisiaux, qui dénonce des «aides déguisées au renouvellement de ces flottes». L’association Bloom est d’autant plus inquiète que plusieurs député·es néerlandais·es, ainsi que le commissaire européen à la pêche et aux océans, envisagent de réintroduire la pêche électrique.
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