Ce n’est pas un hasard si elle cristallise les tensions depuis plus de deux ans. Encore moins si elle a été le point de rendez-vous de milliers de manifestant·es, écologistes et agriculteur·ices de la Confédération paysanne, lors de la mobilisation du 25 mars 2023 (notre article). «Sainte-Soline est la plus grande des seize mégabassines du Marais poitevin», expose à Vert Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci.
Ces infrastructures puisent de l’eau dans les nappes phréatiques en hiver pour les utiliser dans l’agriculture l’été, quand les précipitations sont moindres (notre article). Les opposant·es dénoncent ce qu’elles et ils considèrent comme une appropriation de la ressource en eau.
En moyenne, la surface d’une bassine est de huit hectares, mais les plus grandes atteignent jusqu’à 18 hectares et peuvent contenir l’équivalent de 300 piscines olympiques. Sainte-Soline vise 628 000 mètres cubes d’eau – environ 250 bassins olympiques.

«Elle a toutes les caractéristiques que l’on reproche aux mégabassines, explique Julien Le Guet. Elle ne sert qu’à quelques exploitants, coûte des millions, et les porteurs du projet ont cru qu’ils pouvaient s’affranchir d’une dérogation d’espèce protégée pour la construire.»
L’exploitation de Sainte-Soline toujours suspendue
Vert vous le racontait en décembre dernier, le tribunal administratif de Bordeaux (Gironde) a suspendu l’autorisation environnementale de quatre réserves d’eau – dont celle de Sainte-Soline – parce qu’elles représentent une menace pour l’outarde canepetière, une espèce d’oiseau en voie de disparition. L’autorisation qui avait été délivrée aux porteurs du projet ne prévoyait pas de «dérogation espèce protégée» comportant des mesures de protection du volatile.
Alors, le juge a ordonné la suspension de l’exploitation de Sainte-Soline, déjà construite, et la suspension des travaux de trois autres retenues (celles de Saint-Sauvant dans la Vienne, de Messé et de Mougon dans les Deux-Sèvres). À Sainte-Soline, les agriculteur·ices raccordé·es peuvent utiliser l’eau déjà présente dans la réserve, mais n’ont pas pu la remplir les mois d’hiver qui ont suivi le jugement.
Depuis, la coopérative de l’eau a lancé le processus pour obtenir la fameuse «dérogation espèce protégée» pour la bassine de Sainte-Soline. L’obtiendra-t-elle avant la période de remplissage de la bassine, en novembre prochain ? Le préfet doit valider le dossier, et si tel est le cas, son décret devrait ensuite être attaqué en justice par les associations de protection de l’environnement.
«Pour obtenir cette dérogation, les porteurs de projets doivent prouver que ceux-ci sont dits d’intérêt public majeur. Le chantier de l’A69 [entre Toulouse et Castres, NDLR] a par exemple été [pour l’instant] stoppé, parce qu’Atosca [le concessionnaire de l’autoroute] n’a pas réussi à montrer un tel intérêt public majeur», explique Julien Le Guet. De quoi donner de l’espoir aux opposant·es, même si elles et ils souhaitent «qu’il n’y ait pas un feuilleton juridique aussi ubuesque que pour l’A69».
Des retenues d’eau contestées partout en France
Les retenues gigantesques du Marais poitevin ne sont pas les seules contestées. Opposé à ces réserves, le collectif Les soulèvements de la Terre en recense près de 230 sur sa carte interactive, dont 55 existantes (neuf sont illégales, c’est-à-dire que leur autorisation environnementale a été annulée par un tribunal administratif).
Deux projets de méga réserves sont suspendus dans le Puy-de-Dôme (notre article), trente autres sont prévus la Vienne. Des associations environnementales comme Vienne nature, la Ligue de protection des oiseaux ou le syndicat agricole Confédération paysanne ont déposé des recours juridiques contre ceux-ci. Elles attendent toujours la réponse du tribunal administratif de Poitiers (Vienne).
«Nous n’avons pas constaté de nouveau chantier depuis cet été, note Julien Le Guet, mais on a remarqué un changement de stratégie qui semble être la prochaine étape des services de l’État, à savoir la multiplication d’ouvrages de moindre taille qui puiseraient quand même des milliers de mètres cubes d’eau. C’est le cas de projets dans le Berry [au sud de la région Centre-Val de Loire, NDLR] par exemple.»
La construction de ces infrastructures devrait être facilitée par l’article 15 de la loi d’orientation agricole (LOA), votée en février dernier (notre article). Celui-ci prévoit de réduire les délais de recours lorsque la construction de mégabassines ou de bâtiments d’élevage provoque un contentieux. Ils devront être purgés en deux ans.
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