Reportage

«C’est devenu impossible de faire notre travail» : à Marseille, des scientifiques américains cherchent à fuir l’administration Trump

À science unique. En mars dernier, l’université d’Aix-Marseille a lancé un programme d’accueil de scientifiques américains victimes des attaques contre la recherche depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Vert est allé à la rencontre de certain·es candidat·es, qui attendent une réponse définitive dans les prochaines semaines.
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Harvard, Stanford, Columbia ou encore la Nasa… Des chercheur·ses venant d’institutions de renom font partie des postulant·es au programme Safe space for science (Un espace sûr pour la science), initié en mars dernier par l’université d’Aix-Marseille (AMU) pour accueillir des Américain·es.

Elles et ils travaillent dans les sciences du climat ou les sciences humaines, la santé ou encore l’astrophysique, et souhaitent quitter les États-Unis à cause des nombreuses attaques menées par l’administration Trump contre la science ces derniers mois : coupes budgétaires, licenciements, censures de thèmes de recherche, disparition de bases de données… Après quelque 500 prises de contact avec l’université et 300 candidatures enregistrées, 39 ont été pré-sélectionné·es pour intégrer divers instituts et laboratoires d’AMU pendant trois ans.

Brian et James, qui sont respectivement historien et climatologue, font partie des candidat·es au programme Safe space for science. © Justine Prados/Vert

Cette semaine, la plupart sont présent·es à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour rencontrer leur potentielle future équipe et mener les derniers entretiens, avant des réponses définitives attendues d’ici à la mi-juillet. Au final, 20 seront accueilli·es par l’université grâce à une enveloppe de 15 millions d’euros sur trois ans, débloquée sur le budget dédié à l’attractivité de l’établissement.

«La liberté scientifique n’est jamais acquise»

«Cette situation nous rappelle que la liberté scientifique n’est jamais acquise et qu’elle doit être protégée, a rappelé avec gravité Éric Berton, président de l’université. La recherche est interdépendante, et les attaques contre la science dans un pays concernent tous les autres.» En parallèle de ce programme d’accueil, qu’il espère voir abondé par l’État pour accueillir davantage de chercheur·ses, Éric Berton a travaillé avec François Hollande pour déposer une proposition de loi visant à reconnaître le statut de «réfugié scientifique», et ainsi faciliter leur arrivée en France.

Pour beaucoup de scientifiques, il n’a pas été simple d’admettre que quitter les États-Unis devenait une alternative sérieuse, voire nécessaire. «On a toujours eu l’impression d’être en sécurité dans le cadre de nos recherches, comme si ces choses pouvaient arriver ailleurs, mais pas dans notre pays», témoigne Amy (le prénom a été modifié), chercheuse en sciences biomédicales (c’est-à-dire l’application de la biologie humaine à la médecine) dans l’ouest des États-Unis. «C’est devenu impossible pour les scientifiques de faire leur travail», poursuit celle dont personne ne sait encore qu’elle cherche à émigrer en France, par crainte de représailles.

Pour Brian Sandberg, professeur d’histoire qui étudie les liens entre les guerres de religion et le changement climatique en Europe, la décision a été plus facile. Il travaille de longue date avec l’université d’Aix-Marseille, depuis les États-Unis, et la perspective de devoir mettre un terme à ses collaborations internationales l’a poussée à candidater. «Si je reste aux États-Unis, je pourrai continuer à enseigner, mais pas à mener mes travaux de recherche pendant les quatre prochaines années, fustige-t-il. Le système académique américain est en train d’être complètement détruit et cette incertitude pour l’avenir est très dure à vivre.»

Un changement de vie total

Le choix de quitter leur vie et leur pays d’origine, en embarquant le plus souvent conjoint·es et enfants, est un énorme bouleversement pour ces scientifiques. James est climatologue, un champ de recherche particulièrement ciblé par le gouvernement de Donald Trump. Il candidate au programme aux côtés de sa femme, chercheuse en sciences politiques : «Venir ici me procure des émotions complexes. Cela me réjouit d’être accueilli pour poursuivre mes travaux de manière fiable, mais c’est aussi très triste, admet-il. J’ai du mal à trouver les mots et à réaliser que la situation est devenue si compliquée que nous sommes obligés d’en arriver là.»

«J’ai deux enfants et je ne veux pas qu’ils grandissent dans le contexte actuel aux États-Unis», tranche Lisa (le prénom a été modifié), chercheuse en anthropobiologie – elle étudie plus spécifiquement les migrations et régimes alimentaires durant la période médiévale (du Vème au XVème siècle). Elle collabore depuis plusieurs années avec des scientifiques français·es et a commencé à postuler à l’étranger dès la réélection de Donald Trump. «Je n’ai pas encore subi de coupes budgétaires, mais je sais qu’il sera très difficile pour moi d’obtenir des financements à l’avenir, puisque je travaille notamment sur la question du genre, qui fait partie des mots censurés par Trump», complète celle qui espère déjà rester en France au terme du programme de trois ans.

À l’issue des derniers entretiens, 20 chercheur·ses se verront offrir une place pour travailler à AMU pendant trois ans, et seront accompagné·es pour faciliter leur installation dans la région marseillaise. Le sort des 20 derniers candidat·es dépendra du déblocage, ou non, des moyens promis par l’État il y a quelques mois.

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