Il s’agit du premier texte que vous déposez depuis que vous êtes redevenu député en juillet 2024 : pourquoi ce sujet en particulier ?
Ce n’est pas forcément mon rôle de déposer des propositions de loi, compte tenu de la fonction que j’ai occupée et de mon ancienneté en tant que député. Mais, sur ce sujet, je considère qu’il y a une certaine solennité à faire une telle proposition – même si elle a vocation à être transpartisane et reprise au-delà de mon groupe. J’ai souhaité déposer ce texte moi-même pour lui donner une portée importante et qu’il soit entendu au-delà de nos frontières.

Je veux que les scientifiques américains sachent qu’il y a en France une volonté forte de les accueillir – qui a d’ailleurs aussi été exprimée par Emmanuel Macron –, de mettre à leur disposition des ressources accordées par des universités, et de faciliter les procédures pour leur permettre de venir dans des conditions qui ne soient pas précaires.
Qu’est-ce qu’un «réfugié scientifique» ?
Un réfugié scientifique est un chercheur qui est empêché de mener les travaux entamés dans son pays, car une décision publique viendrait l’entraver, comme on peut l’observer aux États-Unis depuis le mois de janvier. Cela concerne surtout les scientifiques dans des universités ou des laboratoires publics – ou subventionnés par l’État –, qui sont licenciés ou entravés dans leurs recherches.
En quoi consiste cette proposition de loi ?
Cette proposition est très simple, et c’est d’ailleurs pour ça qu’elle ne compte qu’un seul article : elle vise à créer un statut de réfugié scientifique de sorte que, lorsqu’une demande de visa est enregistrée à ce titre-là, elle puisse être validée pour les scientifiques qui ne disposeraient d’aucune restriction pour travailler en France.
Un visa, c’est assez facile à obtenir. Mais là, il ne s’agit pas seulement de pouvoir sortir d’un pays comme les États-Unis, ou même de réussir à venir en France. Il s’agit de pouvoir rester sur le territoire sans difficulté et de faciliter l’intégration dans des universités ou des laboratoires. C’est ce que l’on cherche à simplifier avec cette proposition de loi.
Qu’est-ce qui justifie l’urgence de cette proposition, que vous avez détaillée dans une tribune dans Libération la semaine dernière ?
Il y a une double urgence. La première, c’est que des scientifiques ne peuvent plus exercer leur métier ou poursuivre leurs recherches à cause de coupures de crédit brutales ou de licenciements dans certains laboratoires. Il faut que ces chercheurs puissent mener à bien leurs travaux, car la chaîne internationale de fabrication de la recherche risque d’être interrompue.
La deuxième urgence, c’est que si nous ne le faisons pas en France, d’autres pays le feront. Je sais à quel point la Chine tient à devenir une terre d’accueil, par exemple, et il me semble important que les recherches menées aux États-Unis jusqu’à présent – notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de traitement contre un certain nombre de maladies – puissent être poursuivies prioritairement en Europe.
Pourquoi la France doit-elle être une terre d’accueil pour ces scientifiques ?
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la France est plus sollicitée que d’autres. Mais aussi car nous disposons d’un réseau important d’universitaires qui travaillent avec des chercheurs étrangers – et y compris aux États-Unis, ce qui facilite leur arrivée. C’est également l’histoire de la France et sa tradition en matière d’accueil d’artistes, d’intellectuels et de chercheurs de se montrer disponible face à une telle situation d’urgence. Et c’est aussi dans notre intérêt. C’est un acte de générosité, mais c’est aussi important que ces travaux soient poursuivis chez nous.
De nombreuses universités françaises ont des difficultés financières. Comment accueillir ces scientifiques réfugiés dans de bonnes conditions ?
C’est la grande question. Il y a un enjeu matériel important. On peut fournir toutes les facilités juridiques du monde, mais cela ne suffira pas s’il n’y a pas, pour ces chercheurs là – qui sont souvent de haut niveau –, des moyens pour poursuivre leurs travaux. Il ne faut pas non plus que cela se fasse au détriment de scientifiques déjà en France. Il faut que des moyens supplémentaires, facilités par le gouvernement, soient débloqués par l’État pour les universités qui auront organisé ces accueils. Sinon, les universités, bien que très bienveillantes, ne pourront pas fournir à ces scientifiques les conditions de travail qu’ils demandent. C’est à la communauté universitaire de se mobiliser, ce qu’elle fait déjà, mais surtout aux pouvoirs publics de leur donner les moyens de le faire.
Ce texte a-t-il des chances d’aboutir ?
C’est une proposition de loi, ce qui peut mettre des mois, voire des années, à aboutir. Si cette proposition est inscrite à l’agenda en juin, elle ne sera pas débattue à l’Assemblée nationale avant octobre. Quant aux débats au Sénat, ce sera encore plus tard, ce qui nous amène rapidement en 2026. D’ici là, je pense que ces chercheurs auront trouvé un autre lieu d’accueil, ou seront restés aux États-Unis à défaut d’autre chose. Je préférerais que cette proposition fasse l’objet d’une procédure d’urgence [décrétée par le gouvernement, qui permet d’accélérer le processus d’adoption du texte, NDLR], voire qu’elle soit directement reprise par le gouvernement. Je n’ai pas encore eu d’écho à ce sujet pour le moment, pour cause : la proposition est très récente.
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