Vagues de licenciements au sein d’organismes de recherche, censure de certains mots ou sujets (climat, inclusion, diversité…) dans des travaux scientifiques, disparition de données ou de pages dédiées à certains propos (notre article), coupes budgétaires, interruption de collaborations internationales : depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les coups pleuvent sur le monde académique.
«De nombreux chercheurs ne savent pas à quoi va ressembler leur avenir», explique à Vert Emma Courtney, doctorante en biologie au Cold spring harbor laboratory (New York, États-Unis). Face à la peur et la colère qui découlent de la situation politique, elle chapeaute un mouvement intitulé Stand up for science («Debout pour la science»).
Avec quatre autres scientifiques, toutes et tous en début de carrière, elle appelle à une mobilisation générale vendredi 7 mars. Une grande manifestation est prévue dans la capitale américaine, Washington D.C., tandis que des événements locaux sont attendus dans une trentaine d’États à travers le pays – et à l’international, dont en France.
La science, «un bien commun»
L’objectif est simple : rappeler l’importance de la science et de la recherche, et dénoncer l’impact des politiques de l’administration Trump. «La science est un bien commun, qui génère de grands bénéfices économiques et sociaux, et beaucoup d’espoir pour la société. Nous devrions nous battre pour la préserver, pas la détruire», martèle Emma Courtney.
Les chercheur·ses à la manœuvre se sont inspiré·es d’une mobilisation similaire en 2017, lors du premier mandat du milliardaire américain. Cette «Marche pour la science» avait alors rassemblé plus d’un million de participant·es dans quelque 600 villes du monde, mais le mouvement n’avait pas réussi à s’installer dans le temps pour influencer durablement le débat public.

La situation actuelle, jugée encore plus urgente et dangereuse par les scientifiques, appelle à une forte mobilisation. «Le plus fou, c’est la vitesse à laquelle les choses ont commencé à changer cette fois-ci. C’est difficile de tout suivre au quotidien, car le paysage est très mouvant en ce moment. Un mois seulement après l’investiture, on sent une différence palpable dans la communauté scientifique», témoigne Emma Courtney.
«Il y a un sentiment d’urgence bien plus fort qu’il y a huit ans. Les attaques sont beaucoup plus systématiques et organisées», analyse Emmanuelle Perez-Tisserant, historienne spécialiste des États-Unis et co-initiatrice du mouvement Stand up for science en France. Plus larges, aussi : «Les instances gouvernementales ciblent tout ce qui est “woke”, cela dépasse le seul changement climatique pour toucher aux questions de genre, d’inégalités socio-raciales, et débouche vers une certaine réécriture de l’Histoire. Tout cela s’appuie sur une idéologie bien plus robuste, selon laquelle les scientifiques ne servent à rien pour l’État», décrypte l’historienne.
Un mouvement plus large
Aux États-Unis, l’équipe de Stand up for science espère dépasser la sphère du 7 mars. «Nous voulons lancer une discussion sur l’importance de la science dans la société avec ces manifestations, mais nous souhaitons surtout créer un mouvement qui prévoit des choses concrètes pour l’après», comme du lobbying auprès des élu·es ou des actions locales, raconte Emma Courtney. Parmi les mesures réclamées, les organisateur·ices listent l’expansion des financements de recherche, la fin de la censure politique ou la défense d’une science inclusive et accessible à toutes et tous.
La communauté scientifique internationale a répondu à l’appel. Des manifestations Stand up for science sont attendues en France, en Autriche ou au Canada. «L’Université et la recherche font aujourd’hui l’objet d’attaques d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. L’offensive est particulièrement alarmante aux États-Unis, détaille Stand up for science France. La solidarité internationale est d’autant plus indispensable que des menaces semblables pèsent sur l’Europe.»
«Conserver l’indépendance de la science»
«Nous souhaitons soutenir nos confrères et consœurs qui se sentent menacés, mais aussi alerter ici sur ce qu’un gouvernement anti-science peut produire. Nous avons besoin de rappeler continuellement à nos concitoyens que ce que nous faisons est utile et important pour une démocratie», affirme Emmanuelle Perez-Tisserant.
L’équipe française promet des actions dans une dizaine de villes universitaires (Paris, Toulouse, Nantes, Montpellier, Marseille, Strasbourg, Tours…) vendredi – le détail des événements n’est pas encore disponible. Marches, colloques, rassemblements : elle appelle à la défense de la science et de la liberté académique, «piliers de notre société démocratique».
La mobilisation se veut aussi une alerte face à la montée de l’extrême droite en Europe. «Nous l’avons vu au Brésil avec Jair Bolsonaro, en Argentine avec Javier Milei, et nous savons que quand l’extrême droite arrive au pouvoir, elle dénonce les voix critiques des scientifiques, sous couvert d’une politisation de la science. Nous tenons donc à être vigilants», insiste Emmanuelle Perez-Tisserant. Pour l’historienne, un seul mot d’ordre : «Garder un dialogue ouvert avec la société. Mais il faut absolument conserver une indépendance des instances de validation de la science par rapport au pouvoir politique.»
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