Décryptage

Aires marines protégées, haute mer, autosatisfaction… Ce qu’il faut retenir de l’interview d’Emmanuel Macron sur France 2

Filet de Macron. Mardi soir, à l’occasion du sommet mondial sur l’océan qui se tient à Nice, le président a été longuement interrogé sur son action écologique. Il a défendu mordicus son bilan, en s’affranchissant plusieurs fois du réel. Décryptage.
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Ce devait être une émission «historique» : une longue interview d’Emmanuel Macron, en prime time sur France 2, depuis Nice où se tient le sommet mondial sur les océans (Unoc). Face aux journalistes Léa Salamé et Hugo Clément, le président de la République n’a fait aucune annonce concrète pour la protection des océans et s’est livré à un numéro d’autosatisfaction sur l’écologie. Une émission assez brouillon, qui a tout de même eu le mérite de mettre l’environnement à la Une durant toute une soirée.

Le bilan écologique sans faute d’Emmanuel Macron, selon lui-même

Emmanuel Macron s’est livré d’emblée à un exercice d’autocongratulation sur son bilan en matière d’environnement, dans la même veine que son interview à la presse régionale quelques jours plus tôt, à qui il déclarait : «Je n’ai pas de leçon d’écologie à recevoir.»

Emmanuel Macron, mardi, sur le plateau de France 2. © Sébastien Bozon/AFP

Interrogé par le journaliste Hugo Clément sur le glyphosate, pesticide cancérogène que le président avait promis de bannir avant d’œuvrer à sa réautorisation au niveau européen, il a juré qu’il n’y avait pas d’alternative. Leur interdire ce pesticide ferait mettre aux agriculteur·ices «la clef sous la porte» et nous irions «manger des choses qui sont produites avec du glyphosate par nos voisins».

En matière de climat, il a assuré que la France était passée d’une baisse de ses émissions de gaz à effet de serre de 1% par an avant 2018 à -4,5% entre 2022 et 2024. Ce qui est faux à plusieurs titres : les données provisoires montrent une baisse de seulement 1,4% en 2024 (-3,4% en moyenne sur la période) des émissions territoriales ; et ce chiffre masque le fait que les puits de carbone (forêts et zones humides) stockent de moins en moins nos rejets. La baisse nette est donc encore moindre, et son bilan peu flatteur.

Le plastique, pas fantastique

Alors que le plastique est un fléau qui met en danger la santé de la planète et des humains, Emmanuel Macron s’est réjoui de l’action de la France en la matière, et a enjoint à «réduire l’utilisation de plastique partout où c’est possible, secteur par secteur».

Interpelé par le photographe et biologiste Laurent Ballesta, le président n’a pas dit comment éviter que les granulés de plastique industriel ne se retrouvent dans la nature. «Pourquoi ne pas classer le plastique comme un produit dangereux ?», a demandé Laurent Ballesta. Là encore, réponse vague.

La glaciologue Heidi Sevestre a montré la photo de deux oursons polaires jouant avec un détritus plastique sur la banquise. Qu’est-ce que cela inspire au président ? «On est une planète, donc on est interdépendants.» Pas un mot sur le rôle des industriels.

Shein et Castaner : «C’est un peu nul ce que vous faites»

Du plastique, on en retrouve aussi dans les vêtements, notamment de la fast fashion. Hugo Clément a demandé à Emmanuel Macron ce qu’il pensait de la trajectoire de son ancien ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, devenu conseiller stratégique du géant de l’ultra-fast fashion Shein – un détail que la marque avait oublié de déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (notre article).

Emmanuel Macron s’est emporté : «C’est un peu nul ce que vous faites. C’est un homme libre ; vous le clouez au pilori. C’est pas parce qu’il est à Shein que ça changera quelque chose au schmilblick.» Pour Shein, comme pour les aires marines protégées, le problème, c’est «la mondialisation».

La faute aux consommateurs

Cette séquence a donné l’occasion au président de mettre un lourd fardeau sur le dos des consommateur·ices, en matière de vêtements comme d’alimentation. La pêche industrielle vide l’océan ? «Vous mangez de la coquille Saint-Jacques, vous mangez de la sole, de la langoustine […] vous êtes contente d’acheter votre poisson […] à un prix abordable», lance-t-il à Léa Salamé. La faute aux consommateur·ices s’ils ne veulent pas s’acquitter du prix du poisson issu de pêches plus responsables.

«On est tous des consommateurs, changeons de gestes», a-t-il prié. «Il ne faut pas qu’on devienne collectivement fous en disant “on va passer des normes”». Ce serait fou, en effet.

«La science comme guide, les activistes comme aiguillon»

À plusieurs reprises, face à la glaciologue Heïdi Sevestre, l’astronaute Thomas Pesquet, et la militante Anne-Sophie Roux, le président a assuré avoir «la science comme guide, les activistes comme aiguillon». Tant pis si le budget de la recherche fond d’année en année et si l’État français, dans ce dernier mandat, s’est mis à réprimer plus durement les activistes : quelques jours plus tôt, l’État faisait appel de la relaxe du militant Thomas Brail, qui s’était perché dans un arbre pour lutter contre le projet d’autoroute A69.

Emmanuel Macron a défendu de manière brouillonne la recherche, dont il s’est fait le défenseur face aux assauts de Donald Trump.

La surpêche, ça pêche

«La surpêche, c’est un désastre pour la planète», a déploré Léa Salamé, sur fond d’images issues du film du célèbre documentariste David Attenborough (notre chronique) qui a pour la première fois capturé le chalutage de fond vu depuis les fonds marins.

Tergiversation du président : le chalutage, c’est principalement la faute des navires étrangers, «notre pêche est très loin d’être la plus agressive.» Il a qualifié la France de «bonne élève» par rapport aux «copains» et le pays serait même aux «avant-garde de la protection». Or, en France, un poisson sur cinq est issu de la surpêche – de captures trop nombreuses qui empêchent les populations de se renouveler, révélait l’Ifremer en février dernier.

Les aires marines, vraiment protégées ?

Sur ce sujet, Emmanuel Macron s’est encore écarté des avis des scientifiques et militant·es. Le président s’est vanté des efforts de la France en matière d’aires marines protégées (AMP) : elles représentent 33% de notre domaine maritime actuellement – bientôt 78% grâce aux annonces de la Polynésie. 4% sont placées en «protection forte» – bientôt 14%. Et de conclure : «Nous respectons nos obligations internationales d’aires marines protégées et de protection forte.»

Il se trouve que la très destructrice pêche au chalut de fond n’est pas interdite dans ces AMP. Or, une aire marine protégée suppose l’interdiction de toutes les activités de pêche industrielle – des navires de plus de douze mètres qui utilisent du chalut ou de la senne. C’est la définition qu’a rappelé l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) dans sa résolution adoptée lors du congrès de Marseille de 2021… qu’Emmanuel Macron se félicitait d’avoir accueilli.

La «protection forte» est un concept flou créé par la France en 2022, qui est beaucoup plus faible que la «protection stricte», recommandée par les scientifiques (et même l’Union européenne), qui suppose l’interdiction de la quasi-totalité des activités extractives, ce que ne fait pas la France.

Le traité sur la haute mer en bonne voie

Le traité sur la haute mer, qui doit encadrer le «far west» situé au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des États et qui représente 60% de l’océan, a pris un coup d’accélérateur depuis lundi. 51 États se sont engagés à le ratifier – 60 ratifications sont nécessaires pour qu’il entre en vigueur. Ce pourrait être le cas dès le 1er janvier 2026. «La France est aux avant-postes, comme pour l’accord de Paris», sourit Emmanuel Macron.

Drill, baby, drill

Même engagement du côté du deep sea mining – l’extraction minière des fonds marins. Alors que le président américain Donald Trump a signé un décret le 24 avril dernier autorisant la délivrance de permis d’exploration et d’extraction de minerai dans l’océan, Emmanuel Macron a réagi : «Nous serions fous d’aller exploiter ce que nous ne connaissons pas.»