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Cinq questions pour tout comprendre aux aires marines protégées, au cœur de la conférence mondiale sur l’océan à Nice

De quoi t’as l’aire ? La question de la réelle protection de ces espaces essentiels pour préserver les écosystèmes marins s’invite dans les discussions de la conférence mondiale sur l’océan qui se tient cette semaine à Nice. Si la France revendique désormais la protection d’un tiers de son territoire maritime, l’immense majorité de ces zones autorise quand même des pratiques de pêche destructrices pour la biodiversité.
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En ouverture de la conférence mondiale sur l’océan, la France a dévoilé un plan ambitieux pour augmenter la surface de ses aires marines protégées… aussitôt critiqué par plusieurs associations environnementales, qui appellent à interdire l’ensemble des activités de pêche industrielle dans ces zones (notre article).

Souvent désignée par leur sigle «AMP», les aires marines protégées et leurs différents niveaux de protection cristallisent les tensions autour de l’action du gouvernement en matière de préservation des écosystèmes marins.

Une aire marine protégée, c’est quoi ?

Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une aire marine protégée est «un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré», qui a pour but «d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associées». En résumé, ce sont des zones naturelles en mer qui visent à préserver la biodiversité locale.

En France, cette appellation recouvre un millefeuille d’espaces de différentes tailles et niveaux de protection : parcs nationaux (Port-Cros, Guadeloupe et Calanques), parcs naturels marins (la France en compte neuf : bassin d’Arcachon, Martinique, mer de Corail…), réserves naturelles, sites Natura 2000…

Les aires marines protégées existent depuis des décennies : en France, la plus ancienne est le parc national de Port-Cros, créé en 1963. Mais leur nombre explose depuis les années 2000, avec les engagements pris par les pays du monde entier pour enrayer l’effondrement de la biodiversité. Le total d’AMP françaises a été multiplié par quinze depuis l’entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique en 1993.

Est-ce que ça marche vraiment ?

L’efficacité des aires marines protégées dépend en grande partie des règles mises en place concernant la pêche, explique Charles Loiseau, chercheur en écologie marine au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) : «Quand la plupart des activités extractives sont interdites [dans les AMP en protection dite «stricte», NDLR], on observe des bénéfices pour la biodiversité.»

«Enlever la pêche à grande échelle permet aux stocks de poissons et à l’ensemble du réseau trophique [Toutes les chaînes alimentaires d’un écosystème, NDLR] de se reconstituer, ce qui bénéficie aussi aux zones alentour», complète le scientifique. Sans pêche intensive, il est documenté que les poissons peuvent grandir, se reproduire, et s’étendre en dehors de la zone protégée, profitant donc aux pêcheur·ses de la région.

Combien en compte-t-on actuellement ?

Lors de la 15ème conférence mondiale (COP15) sur la biodiversité en 2022, 196 États se sont engagés à protéger 30% des mers d’ici à 2030 (notre article). Le compte en est aujourd’hui à un peu plus de 8%, et l’objectif de la conférence de Nice sera «de poursuivre la mobilisation» pour passer à plus de 10%, selon l’Élysée.

Un dauphin de Commerson, une espèce emblématique de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises. © Miguel Vieira/Animalia

La quasi-totalité de ces espaces protégés se trouve dans les eaux nationales des États. Le traité sur la haute mer, qui est en passe d’être ratifié (notre article), doit permettre de créer des AMP supplémentaires dans les eaux internationales (qui ne sont sous la juridiction d’aucun pays et qui représentent plus de 60% de l’océan).

Détentrice du deuxième espace maritime au monde, la France n’est pas en reste puisqu’elle protège aujourd’hui 33% de ses mers. Elle promet même de passer la barre des 70% avant fin 2026, a annoncé ce dimanche la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher.

Pourquoi sont-elles critiquées ?

Ces données officielles cachent une réalité moins glorieuse : d’après une étude scientifique publiée en 2021, seul 1,6% du territoire marin français était à l’époque strictement protégé (un statut qui interdit la plupart des activités de pêche). «Avec l’extension de la réserve des Terres australes françaises en 2022, on est aujourd’hui autour de 4%», précise Charles Loiseau, qui a participé aux travaux. Un chiffre qui devrait encore progresser avec la création, annoncée ce week-end, de nouvelles zones de restrictions dans l’aire marine de Polynésie française.

Et les 33% d’aires marines protégées actuelles en France cachent de grandes disparités, puisque la majorité se trouve dans les territoires d’outre-mer. «Si on regarde juste la France métropolitaine, on passe à 0,03%, pointe Raphael Seguin, doctorant en écologie marine à l’université de Montpellier et auprès de l’association de défense des océans Bloom. On fait des effets d’annonce avec de grosses AMP au large, là où il y a très peu de pêche industrielle.»

Si quelques rares zones sont reconnues pour leur protection stricte, à l’image de la petite réserve nationale de Cerbère-Banyuls (créée en 1974 au large des Pyrénées-Orientales, elle a permis le retour du mérou), l’immense majorité des AMP n’empêche pas les activités de pêche industrielle. «Le Talus du golfe de Gascogne, une immense AMP qui couvre 70 000 kilomètres carrés, est l’une des zones les plus chalutées en France», illustre Raphaël Seguin.

Une partie de la réserve nationale de Cerbère-Banyuls. © Luc Viatour/ Wikimedia

Certaines sont même des «AMP de papier», à l’image de la plupart des zones Natura 2000 : «Elles ont été mises en place pour répondre aux directives européennes mais, derrière, il ne se passe rien, il n’y a aucune surveillance, aucun suivi», regrette Charles Loiseau.

Le problème est loin de concerner uniquement la France : selon une autre étude publiée en 2020, 95% de la surface recouverte à l’époque par les 1 062 AMP sur l’ensemble de la Méditerranée «manque de réglementations suffisantes pour réduire les impacts humains sur la biodiversité».

Comment faire pour mieux les protéger ?

Le gouvernement a annoncé ce week-end placer plus de 10% du territoire maritime français en «protection forte» : «Nous serons dès la fin 2026 à 4% de protection forte dans les eaux hexagonales, et plus de 14% dans l’ensemble des eaux françaises», a précisé Agnès Pannier-Runacher lors d’un échange avec la presse.

Une «escroquerie écologique», selon l’ONG Bloom. Cette notion créée en 2022 n’est pas alignée sur la définition scientifique officielle de la «protection stricte», pourtant utilisée par l’Union européenne, qui exclut la quasi-totalité des activités économiques sur ces zones. D’après les précisions du ministère de la transition écologique, la «protection forte» interdira les pratiques délétères pour les fonds marins, comme le chalutage de fond (qui racle les sols océaniques)… mais pas d’autres pratiques néfastes pour la biodiversité comme le chalutage pélagique (qui capture de grandes masses de poissons sans distinction dans la colonne d’eau).

Le chalutage de fond et d’autres pratiques de pêche industrielle restent par ailleurs en partie autorisées dans le reste des aires marines protégées qui ne sont pas en «protection forte». «La France ne veut pas exclure les activités extractives de ses AMP, elle préfère faire au cas par cas, à l’échelle locale», déplore Raphael Seguin.

Interdire toutes les pratiques de pêche industrielle dans les aires marines protégées, c’est pourtant possible : dans un rapport publié en avril 2025 avec l’aide de deux scientifiques de référence sur la question, Greenpeace France propose deux scénarios permettant de placer 10% du territoire marin métropolitain sous protection stricte.

Quand bien même la France et le monde arriveraient à réellement protéger 30% de l’océan ces prochaines années, est-ce bien raisonnable de laisser les deux tiers restants libres de toute exploitation industrielle ? «Les AMP ne sont pas le seul outil pour protéger les écosystèmes», tient à souligner Charles Loiseau. Quotas de pêche, moratoires sur certaines espèces, régulation du trafic maritime… d’autres solutions existent pour sauver la biodiversité marine partout dans le monde.