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Deux ONG saisissent la justice pour interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées françaises

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Planche de chalut. Ce mardi, deux organisations de défense de l’environnement engagent une action en justice pour obtenir la fin des techniques de pêche destructrices dans les aires marines protégées. Alors que la loi impose à l’État de veiller à la conservation de la biodiversité dans ces zones, ce type de chalutage y a toujours cours.

«Avec cette action en justice, on veut juste faire appliquer les lois existantes», explique à Vert Matéo Vigné, chargé de communication de l’ONG Environmental justice foundation (EJF). L’organisation, accompagnée de Défense des milieux aquatiques (DMA), engage ce mardi une action en justice pour interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées du réseau Natura 2000. Ce statut est censé protéger la faune et la flore des zones classées, pourtant cette pratique de pêche concerne encore 77% des sites français.

Les deux ONG ont déposé un recours pour exiger son interdiction dans deux réserves en particulier : elles ont saisi le Conseil d’État pour l’aire marine protégée de Chausey (Manche) et le tribunal administratif de Rouen pour celle des Bancs de Flandres (au large de Dunkerque).

Des roches entourées de poissons près de La Ciotat (Bouches-du-Rhône). © Arnaud Abadie

Des données satellitaires en libre accès indiquent qu’une moyenne de 83 navires qui utilisent des chaluts de fond (de grands filets remorqués près du fond marin) ou des sennes démersales ont opéré chaque année dans les Bancs de Flandres, entre 2022 et 2024. La technique des sennes démersales consiste à déposer au fond de la mer un immense filet et des câbles qui émettent des vibrations. Cette méthode industrielle prive l’océan de toute vie en quelques minutes, sur une zone de trois kilomètres carrés (notre article). Elle libère également le carbone stocké dans les sédiments (ces particules en suspension qui se déposent en couche au fond de la mer) au fond de l’océan.

Ces pratiques industrielles représentent plus de 6 800 heures de pêche par an en moyenne, selon les associations. Leur risque pour la biodiversité marine et la pêche locale est pourtant bien connu. Le raclage des fonds marins par les filets n’est pas sélectif, car il rafle tous les poissons sur son passage, y compris les juvéniles, qui ne se sont pas encore reproduits. Les espèces ne peuvent alors pas se renouveler.

Il menace aussi les invertébrés qui vivent dans les sédiments et constituent la base de la chaîne alimentaire de la faune océanique. Début janvier 2025, l’association de protection des océans Bloom a lancé un radar du chalutage dans les aires marines protégées françaises, pour mieux rendre compte de son impact.

Les zones Natura 2000 insuffisamment protectrices

Raphaëlle Jeannel est avocate au sein du cabinet Huglo Lepage avocats, en charge de l’action en justice. Elle souligne que «le chalutage de fond est en contradiction avec les engagements juridiques de la France en matière de conservation de la biodiversité et de protection des aires marines protégées». Le statut Natura 2000 de ces zones protégées impose à la France, selon la législation européenne, d’évaluer les conséquences des activités humaines sur la biodiversité avant de les autoriser. Or, «dans la plupart des réserves, il n’y a pas d’analyse risque-pêche», rappelle Matéo Vigné.

«Les aires marines protégées du réseau Natura 2000, qui couvrent 35% du territoire maritime français, n’offrent souvent rien de plus qu’une protection de façade. La réalité est que 90% des espèces et des habitats censés être protégés dans ces zones restent menacés», déplore Marie Colombier, chargée de campagne Océan chez EJF.

«Il faut aller plus loin»

Seul 1,6% des eaux françaises bénéficient d’une protection haute ou intégrale, selon une analyse publiée dans la revue Marine Policy en 2021. Dans un rapport en 2019, confirmé en 2020, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) indiquait qu’une aire marine protégée n’était efficace qu’à la condition de ne subir aucune activité industrielle, y compris celle de pêche au chalut par des navires de plus de douze mètres.

L’action en justice d’EJF et DMA survient cinq mois avant la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc), qui se tiendra à Nice. Le 5 février, huit organisations avaient déjà adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour lui rappeler ses ambitions en termes de protection des océans. Au-delà de l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées, les huit organisations demandent au président de la République de mettre en place une protection stricte dans 10% des eaux françaises.

Parmi elles, Bloom déplore l’usage persistant du chalutage pélagique (qui utilise un immense filet en pleine eau entre le fond et la surface), dont elle demande aussi l’interdiction dans les zones protégées. «Ce recours en justice est un premier jalon essentiel, mais il faut aller plus loin, commente Zoé Lavocat, coordinatrice de la campagne Aires marines protégées chez Bloom. Il faut inclure l’interdiction de toute pêche destructrice de l’environnement pour permettre la régénération des écosystèmes et protéger la pêche artisanale.»

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