23,4 degrés (°C) à Aigues-Mortes (Gard), 23,3°C à Nice (Alpes-Maritimes), 23,2°C au Cap Béar (Pyrénées-Orientales)… entre lundi et mardi, plusieurs régions de France ont connu ce que l’on appelle une «nuit chaude», ou «nuit tropicale» : quand la température nocturne ne redescend pas sous la barre des 20°C.
Cet enjeu majeur du changement climatique est peu évoqué. «On a tendance à parler des températures de l’après-midi pendant les canicules, et à oublier les températures nocturnes. Certes, les valeurs semblent moins impressionnantes, mais c’est absolument épuisant pour les organismes d’avoir entre 20 et 25 degrés la nuit», explique à Vert Matthieu Sorel, climatologue chez Météo-France.
Ces épisodes deviennent de plus en plus fréquents et intenses à cause du dérèglement climatique. Nice a connu plus de deux mois consécutifs de nuits tropicales pendant l’été 2024. 2025 ne devrait pas être en reste : «Plus de 20% de la surface de la France a connu au moins une nuit tropicale depuis début 2025», illustre Matthieu Sorel. Cette première nuit chaude a un mois d’avance par rapport à la moyenne des années 1991-2020, période pendant laquelle la première nuit chaude arrivait fin juillet.
24 nuits tropicales par an en 2100
Cette trajectoire n’est pas près de s’arrêter : entre 1976 et 2005, on observait en moyenne deux nuits tropicales par an dans le pays. Dans une France qui se réchauffe, ce nombre atteindra sept nuits à +2°C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900), et 12 nuits à +2,7°C – soit ce que l’on attend respectivement en 2030 et en 2050. Une France à +4°C, soit la trajectoire anticipée par l’État pour 2100, connaîtra 24 nuits chaudes.

Ce phénomène sera inégal en fonction des régions françaises : Brest (Finistère) subira sept nuits à plus de 20°C à la fin du siècle, contre zéro pendant la période de référence ; Lyon (Rhône) 45, contre six auparavant ; et Marseille quelque 88 nuits (60 de plus qu’entre 1976 et 2005). Certaines zones du littoral méditerranéen pourraient compter entre 100 et 120 nuits chaudes chaque année.
Si certaines régions sont plus touchées que d’autres, il faut s’attendre à une généralisation du phénomène à l’ensemble du territoire. Y compris dans la moitié nord, jusqu’ici peu habituée à ces températures «tropicales». Le 21 juin dernier, la ville de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) a enregistré une température nocturne de 20,6°C – «du jamais vu là-bas la nuit pour un mois de juin», d’après Matthieu Sorel, avec un écart majeur de +1,5°C par rapport au record précédent (19,1°C en 2003).
«Résultat : on n’arrive pas à s’endormir»
L’intensité des nuits chaudes est particulièrement vive dans les grandes métropoles. «Le phénomène d’îlot de chaleur urbain amplifie cet enjeu dans les grandes villes, décrypte pour Vert Corentin Perrot, météorologue à Météo-France. Tout le bitume a emmagasiné la chaleur la journée et la restitue la nuit, ce qui limite la baisse des températures.» Les hauts immeubles qui freinent la circulation de l’air et le manque de végétalisation ou de points d’eau dans l’espace public participent d’autant plus à cette chaleur nocturne.

La multiplication de ce phénomène n’est pas sans effet sur la santé humaine, et principalement sur la qualité du sommeil. La température idéale préconisée pour s’endormir varie de 18 à 20 degrés – un seuil facilement dépassé en intérieur quand la chaleur ne retombe pas la nuit.
Quand il fait trop chaud, on augmente notre rythme cardiaque et notre respiration pour activer la circulation sanguine et favoriser l’évacuation de la chaleur, notamment à travers la transpiration. «Or, pour dormir, on a besoin de mettre notre corps au repos en diminuant notre rythme cardiaque. Résultat : on n’arrive pas à s’endormir», résume auprès de Vert Agnès Verrier, chargée de prévention santé et environnement pour Santé publique France.
Un enjeu sanitaire majeur
Cela a de nombreuses conséquences sur le quotidien : «Le manque de sommeil entraîne une fatigue inhabituelle, et donc une perte de vigilance et de concentration, de l’irritabilité, ce qui peut favoriser la survenue d’accidents, avertit Agnès Verrier. L’exposition à la chaleur, répétée ou non, peut altérer la santé de chacun.». Les coups de chaleur (fièvre, maux de tête violents, etc.) ou la déshydratation peuvent toucher des personnes en bonne santé – pas seulement des publics fragiles (personnes âgées ou malades, enfants, etc).
Cette situation affecte également la santé mentale. «La fatigue joue directement sur la santé mentale, tout comme le fait de devoir rester à l’intérieur, dans l’obscurité, de moins pouvoir sociabiliser en période de fortes chaleurs», souligne la spécialiste de Santé publique France.
Les températures nocturnes élevées sont associées à des risques d’accidents cardiovasculaires et à une mortalité plus importante. Une récente étude a même montré qu’elles favorisaient l’apnée du sommeil. Plus globalement, un sommeil dégradé est associé à de nombreuses pathologies, dont le diabète, le cancer ou des comportements suicidaires, comme l’a recensé l’ONG Climate central dans un rapport.
Le corps humain est-il capable de s’adapter pour supporter cette nouvelle donne ? «Aucune région ne sera épargnée, il faut s’y préparer», prévient d’ores et déjà Matthieu Sorel, de Météo-France. «Les évolutions de l’homme se font sur des millénaires, et pas sur le temps d’une vie, tranche Agnès Verrier. On subit des canicules de plus en plus fréquentes et précoces, donc la priorité est plutôt d’adapter les milieux que les organismes, qui n’ont simplement pas le temps de le faire.» Une solution : rafraîchir durablement les logements pour qu’ils restent vivables lors de vagues de chaleur, grâce à des rénovations thermiques d’ampleur. En attendant, il existe quelques astuces maison pour supporter les canicules.