Décryptage

Colère du monde agricole : la bio sera-t-elle la grande perdante du moment ?

C’est pas bio à voir. À l’appel de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), les exploitant·es de la filière se réunissent ce mercredi devant l’Assemblée nationale pour donner de la voix. Elles et ils se sentent les «laissés-pour-compte» des négociations avec le gouvernement.
  • Par

Sor­tir de l’invisibilisation et réclamer des mesures con­crètes : les agriculteur·rices bio vont à la ren­con­tre des député·es pour empêch­er leur fil­ière de som­br­er dans l’oubli après les récentes man­i­fes­ta­tions du secteur agri­cole français.

La mobil­i­sa­tion du monde agri­cole aura lais­sé le champ libre aux syn­di­cats majori­taires du secteur, représen­tants d’une agri­cul­ture inten­sive et pro­duc­tiviste. La FNSEA et les Jeunes agricul­teurs auront notam­ment obtenu du gou­verne­ment un assou­plisse­ment des règle­men­ta­tions envi­ron­nemen­tales. La mise en pause du plan Eco­phy­to — qui vise la diminu­tion dras­tique du recours aux pes­ti­cides — jusqu’au prochain Salon de l’agriculture (24 février‑3 mars), en con­stitue peut-être la mesure la plus emblé­ma­tique.

«À part la promesse de ren­forcer les con­trôles sur les pra­tiques com­mer­ciales de la grande dis­tri­b­u­tion et sur l’origine des pro­duits ali­men­taires, c’est dif­fi­cile de trou­ver des points posi­tifs dans les récentes mesures gou­verne­men­tales, con­fie à Vert Philippe Cam­bu­ret, prési­dent de la Fédéra­tion nationale d’a­gri­cul­ture biologique (Fnab). Ce qu’on con­state, c’est une fuite en avant vers des pra­tiques agri­coles tou­jours plus indus­trielles et rad­i­cales, avec une perte de pou­voir notable d’instances comme l’Office français de la bio­di­ver­sité».

Man­i­fes­ta­tion de la fil­ière biologique en mars 2023 à Nantes. © Estelle Ruiz/Hans Lucas/ AFP

Ces nou­velles ori­en­ta­tions inter­vi­en­nent dans un con­texte plus que morose pour la fil­ière bio, qui ban­nit pes­ti­cides de syn­thèse et engrais minéraux, et tente de préserv­er la bio­di­ver­sité. Si le nom­bre de fer­mes bio a triplé depuis les années 2010, pour attein­dre, en 2022, 14% des 390 000 exploita­tions agri­coles que compte le pays, les dif­fi­cultés s’accumulent.

Au pre­mier rang : la désaf­fec­tion des consommateur·rices pour leurs pro­duits, perçus comme tou­jours plus chers. «Les gens se sont détournés du bio, parce qu’ils pensent que c’est cher, alors que l’inflation est moins forte dans ce secteur», se déso­lait récem­ment Lau­re Verdeau, à la tête de l’Agence bio, dans une inter­view au Monde. Résul­tat : «Cette mau­vaise répu­ta­tion entraîne un recul dif­fi­cile à com­bat­tre, recon­naît Philippe Cam­bu­ret. On est aujourd’hui à 6% pour la part des pro­duits bio con­som­més en France. C’est très loin de ce qui se passe au Dane­mark et même aux États-Unis.»

Le paiement avec par­fois jusqu’à trois ans de retard des aides à la con­ver­sion en bio a mis à genoux de nom­breuses exploita­tions. Les 50 mil­lions d’euros de sou­tien récem­ment promis par le gou­verne­ment représen­tent une «aumône» de quelque 833 € par ferme, déplore la Fnab.

Après l’Assemblée nationale, les acteurs du bio se saisiront du Salon de l’agriculture pour porter leurs reven­di­ca­tions. Une cam­pagne d’information à des­ti­na­tion du grand pub­lic ten­tera de remet­tre la bio au cen­tre de l’agenda agri­cole et poli­tique.