Reportage

«Toutes les exploitations de l’île sont rasées» : un mois après le cyclone Chido à Mayotte, les agriculteurs essayent de se relever

Dans le 101ème département français, les vents dévastateurs de décembre dernier ont tout emporté sur leur passage : cocotiers, manguiers, bananiers... Les habitant·es sont nombreux·ses à ne plus manger que du riz importé. Vert est allé à la rencontre d’agriculteur·ices qui ont tout perdu.
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Devant ses cocotiers à terre, ses arbres à litchis en friche et ses poulaillers arrachés, Ali Ambody est atterré. «J’ai tout perdu, il n’y a plus rien. Il faut repartir de zéro, comme si je venais de m’installer», déplore cet agriculteur qui vit depuis 28 ans à Ouangani, au centre de Grande-Terre, la plus grande île de l’archipel de Mayotte. Sa serre s’est envolée, tout comme ses poulaillers et son bâtiment d’élevage, lors du passage du cyclone Chido, qui a ravagé l’île le 14 décembre dernier.

Il y a quelques années, l’agriculteur s’était doté d’une pépinière pour vendre des arbres forestiers et des plantes ornementales. Là aussi, «tout a valsé», souligne celui qui est aussi président du syndicat des éleveur·ses de Mayotte. «70% des serres sont tombées par terre à Mayotte», précise-t-il à Vert, d’après les chiffres du syndicat.

Ali Ambody est installé depuis près de 28 ans à Ouangani, au centre de Grande-Terre. © Jéromine Doux/Vert

Une estimation corroborée par Mohamed Boinahery, installé à Combani, à une dizaine de kilomètres plus au nord : «Je ne connais pas un agriculteur qui a été épargné. Toutes les exploitations de l’île sont rasées». Chez lui, «les cocotiers, manguiers et avocatiers sont tous par terre. Les maniocs sont pourris. Ce sera une année blanche pour nous», estime-t-il. Il faudra patienter huit à douze mois avant que les maniocs tout juste plantés ne puissent être cultivés – et plusieurs années pour retrouver des fruits.

«Les gens ne mangent plus que du riz»

Dans les supermarchés, les étals sont vides. Seules quelques pommes importées de métropole et des poires venues d’Afrique du Sud donnent un peu de couleurs aux bacs de fruits et légumes. Sur les bords de routes, quelques aubergines ont été sauvées des champs mahorais. Pour le reste, des pommes de terre et des oignons sont arrivés de Madagascar. Les concombres, eux, proviennent d’Anjouan, aux Comores. Face à la rareté des produits, les prix explosent. Dans un département où le taux de pauvreté est de 75%, le kilo de pommes de terre coûte six euros. Il était vendu trois fois moins cher dans les supermarchés il y a quelques mois.

L’alimentation mahoraise est basée sur les produits locaux : manioc, bananes, fruits à pain (un fruit féculent particulièrement apprécié dans les territoires de l’océan Indien) : «Pas un seul arbre à pain est encore debout, soupire Antoine Mohamadi, agriculteur à Sada, une autre commune de Grande-Terre. Les gens n’ont plus rien à manger. Ils ne consomment plus que du riz. Ceux qui le peuvent achètent des légumes surgelés, mais beaucoup n’ont pas les moyens. Et ce sont encore les importateurs qui se frottent les mains», s’agace-t-il. Dans les rayons du supermarché, les clients sont désabusés. «On prend ce que l’on peut, ce qu’il y a», témoigne Olivia, une habitante de Pamandzi, en Petite-Terre, dans les rayons du magasin Sodrifram. «Je cherchais du poulet, mais il n’y a plus rien. Les fruits et légumes sont introuvables depuis des semaines.»

Sur l’exploitation d’Ali Ambody, les cocotiers n’ont pas résisté à la force des vents. © Jéromine Doux/Vert

«Un manque à gagner colossal»

Pour tenter de produire de nouveaux végétaux, les agriculteur·ices se concentrent sur ce qui pousse vite. Sur les hauteurs de Sada, Antoine Mohamadi a commencé à replanter des feuilles d’épinards, des haricots verts et du piment. «Les premières récoltes pourront être faites d’ici avril», estime-t-il. Dans un mois, l’agriculteur espère aussi que le moringa et les brèdes manioc donneront à nouveau – ces aliments font partie de la base de l’alimentation mahoraise.

Ali Ambody envisage de planter des salades ou des concombres pour retrouver un peu de trésorerie. Pour lui, le principal enjeu est de «trouver des semences»«Nous aimerions que l’État nous en distribue, pour que nous ayons rapidement de quoi nourrir la population. Mais rien n’est fait», s’agace-t-il. Les agriculteur·ices appréhendent le début de la saison sèche, qui devrait intervenir à partir d’avril et «ralentir la croissance des plantes».

Antoine Mohamadi estime que ses travaux de reconstruction se chiffreront en centaines de milliers d’euros. En plus d’«un manque à gagner colossal»«Les arbres à pain donnent environ 300 fruits par an, ce qui me rapporte 1 200 euros par arbre à l’année. J’avais dix arbres, ils sont tous à terre», déplore l’agriculteur, qui a aussi perdu quatre de ses dix chèvres pendant le cyclone.

«Nos exploitations, ce sont aussi nos héritages familiaux»

Mais pas question d’attendre des aides de l’État pour se mettre au travail. «Si l’on attend quoi que ce soit, ça prendra des années. Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous relever.» Dans ce contexte, la solidarité s’organise. «La semaine dernière, nous étions 15 paysans chez un exploitant en bas du Mont Bénara [au centre de l’île, NDLR] pour déblayer toute son exploitation. Tout seul, il n’y serait jamais arrivé, raconte Antoine Mohamadi. C’est dur pour tout le monde. Nos exploitations, ce sont aussi nos héritages familiaux. Quand je suis arrivé dans mon champ après le cyclone, j’étais tétanisé et j’ai pensé à ce que m’avait dit mon père : “Moi, je plante pour mes petits enfants, charge à toi de faire la même chose”. J’ai tout perdu», lance l’homme de 50 ans, qui veut désormais «aller de l’avant».

Chez lui, Antoine Mohamadi s’inquiète aussi de voir les makis – les lémuriens de Mayotte – affamés : «La dernière fois, ils sont venus manger les épluchures de bananes qui restaient d’un régime tombé pendant le cyclone. Mais il y en a qui meurent de faim». Ces animaux, qui vivent dans les arbres et mangent surtout des fruits, ont, eux aussi, tout perdu. Depuis le cyclone, ils se rapprochent des villes, des habitations, et semblent désorientés. «Nous en voyons des dizaines écrasés sur les routes», souligne l’agriculteur.

Les makis désorientés se rapprochent de plus en plus des villes. © Jéromine Doux/Vert

Les roussettes – des chauves-souris rousses qui peuvent mesurer jusqu’à 1,20 mètre et se nourrissent de fruits et de feuilles – paraissent aussi perdues depuis la catastrophe naturelle. «Nous en voyons beaucoup moins, estime Emilien Dautrey, directeur de l’association Gepomay, qui œuvre pour la protection de la biodiversité. J’ai vu des juvéniles réfugiés à proximité du lac Karihani, à l’ouest de l’île, mais je pense qu’ils n’ont pas survécu. Les adultes ont plus de chances de survie, mais ils ont peut-être migré.»

Heureusement, depuis un mois, «la végétation commence à reprendre ses droits, se réjouit le directeur de l’association. Dans les forêts, les lianes sont revenues, on voit que les arbres refont des feuilles et que la végétation repart. Ça va assez vite.»

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