Sortir de ses Aragon. Cédric Villani est mathématicien et membre de l’Académie des sciences. Le lauréat de la médaille Fields — l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques — en 2010 devient chroniqueur pour Vert. Chaque mois, il nous livrera sa plume sur un sujet d’actualité en lien avec les enjeux écologiques. Pour cette première, il fait le deuil des politiques environnementales aux États-Unis.

2025, deuil historique pour l’Écologie politique ! La vénérable dame, née en 1962 avec les ouvrages de Rachel Carson (Printemps silencieux) et Murray Bookchin (Notre environnement synthétique), devrait avoir l’âge de partir à la retraite avec la satisfaction du devoir accompli… Au lieu de quoi elle se retrouve dans la situation désabusée du vieux militant contemplant son échec dans le poème-testament d’Aragon, Épilogue, qui va si bien à notre époque,
Ils s’interrogent sur l’avenir, sur ce qui vaut encore qu’on s’y voue
Ils voient le peu qu’ils ont fait, parcourant ce chantier monstrueux qu’ils abandonnent
Asservie, l’Agence de protection de l’environnement ! Née aux États-Unis grâce au combat de Rachel Carson contre le DDT, elle était estimée dans le monde entier pour son combat sans relâche au pays des lobbies XXL. La voici contrainte de suivre la politique du président, d’utiliser les critères du président pour évaluer l’action du président, et dirigée par un homme du président (et des lobbies). Et son budget divisé par trois pour commencer ! Le travail de toute une vie mis à bas en quelques jours.
Est-ce qu’on peut avoir le droit au désespoir, le droit de s’arrêter un instant ?
Les sciences du climat avaient forcé la main aux gouvernants conservateurs emblématiques des années 1980, les Reagan et Thatcher, pour créer le plus grand dialogue science-gouvernements du monde. Elles avaient obtenu de haute et tenace lutte des engagements de la plupart des pays pour limiter le désastre et tracer un avenir commun. Las, le premier contributeur scientifique du monde, le pays du rapport Meadows et du rapport Charney, se retire de toutes ces coopérations pour mener, selon les mots du climatologue Christophe Cassou, «une blitzkrieg contre toutes les sciences de la durabilité».
L’ombre préférée à la proie, ô pauvres gens, l’avenir qui n’est à personne
Et se préparant à la guerre économique ou réelle, le monde entier réajuste ses priorités, ainsi le Canada qui abandonne la taxe carbone, ainsi l’Union européenne qui met de côté le Pacte vert, reportant sur nos enfants le pire de la crise écologique.
Petits qui jouez dans la rue, enfants, quelle pitié sans borne j’ai de vous
Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Quelle ironie quand même ! Voilà des décennies que les scientifiques rivalisent de prouesses, à mesurer le chaotique et l’invisible, accumulant les preuves, et des décennies que l’on se lamente de la faiblesse du pouvoir politique, de son inaction, de ses faux-fuyants. Eh bien, enfin est venu, dans une grande nation de science, un pouvoir politique fort… Mais face aux sciences, ce qu’il assume sans trembler, ce n’est pas l’action éclairée, c’est finalement le même discours que tous les totalitaires : «C’est moi qui décide ce qui est vrai ou faux.»
Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable
Et après ? Mais la bataille continue. Hors de question de baisser les bras, quel que soit le temps que cela prenne. Le chant mondial ne peut que reprendre, c’était vrai du temps d’Aragon et cela l’est toujours.
Sachez-le toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans les collines
Et la flamme passe à la génération suivante ! Pas en signe d’abandon mais de confiance dans la permanence de la lutte.
Hommes de demain soufflez sur les charbons
À vous de dire ce que je vois
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