Ces dernières années, l’écologie est devenue un sujet fort des cérémonies de remise des diplômes des grandes écoles. L’élan a été donné en 2022 avec un premier discours à AgroParis Tech, avant de gagner les écoles d’ingénieurs, puis de commerce, jusqu’à devenir un passage obligé (comme en 2022 et en 2024). Mais cette fois-ci, ce ne sera pas le cas lors de la cérémonie de l’École polytechnique : rejeté par l’administration, le discours écologique proposé par les élèves est absent.

Nous, collectif d’élèves de la promotion 2020, rassemblé·es autour de l’écologie, rejetons la vision techno-solutionniste que l’École aurait voulu nous voir prôner. Nous dénonçons cette censure, et déplorons qu’une école censée former les «élites» s’autorise à refuser une expression sortant de la ligne politique qu’elle défend.
Alors qu’il y a urgence absolue d’agir, cela confirme l’impératif d’alerter et de faire exister le sujet. Nous n’avons pas voulu rester silencieux face aux catastrophes en cours et à venir, et partageons donc ici la substance de notre discours.
Entreprises pétro-gazières, luxe durable et IA
À travers notre discours, nous souhaitions d’abord rappeler l’urgence d’agir. Souligner que le réchauffement climatique tue, que la pollution de l’air représente 300 000 morts par an en Europe et que l’érosion de la biodiversité nous met dans un danger abyssal. Rappeler que l’industrie agro-alimentaire dégrade nos sols et met en péril la sécurité alimentaire mondiale, que nos océans meurent par acidification et chalutage de fond, que les pesticides déciment les pollinisateurs et viennent contaminer nos corps.
Nous voulions ensuite parler de notre cheminement personnel. Comme beaucoup, nous avons amorcé notre parcours par des éco-gestes individuels, comme devenir végétarien ou se refuser à prendre l’avion. Mais nous nous sommes vite interrogé·es sur notre avenir professionnel. Entre les entreprises pétro-gazières, celles du «luxe durable», les cabinets de conseil en stratégie, les banques, les startups qui font de l’IA une machine à sous, ou même l’industrie de l’armement qui facilite le génocide à Gaza, il est souvent difficile de retrouver chez ces potentiels recruteurs l’intérêt général que l’École prétend défendre. Nous voulions visibiliser comment l’institution ouvre largement ses portes à ces entreprises, pour lesquelles l’aspect environnemental est au mieux un outil marketing, au pire un frein au profit.
Enfin, nous souhaitions élargir la focale, considérer l’environnement non plus comme un simple problème technique, mais bien comme un enjeu social. Les 1% les plus riches du globe ont généré en 2019 autant d’émissions de carbone que les 66% les plus pauvres. Les multinationales, les banques et les dirigeants politiques occidentaux s’accaparent les ressources et le temps de travail du Sud global. Le tout sans aucun respect pour les droits humains ni l’environnement. Face à l’héritage colonial occidental – auquel plusieurs de nos prédécesseurs ont largement participé –, nous voulions appeler à changer de posture : décentrer son regard et accepter la pluralité ; écouter les premiers concernés ; se battre pour la justice et la dignité. En finir avec l’universel surplombant pour proposer un changement radical de système, fondé sur la diversité des initiatives locales et des territoires.
Une prise de parole jugée ni «constructive», ni «éclairante»
Ainsi, avec ce discours, nous voulions rappeler l’urgence d’agir, et élargir la perspective environnementale aux questions sociales, politiques et décoloniales. Nous voulions faire naître des réflexions, susciter des interrogations et inviter au débat. Alors que nous étions ouvert·es à la recherche d’un compromis, la direction de l’École a tout simplement refusé notre prise de parole, jugeant qu’elle n’était ni «constructive», ni «éclairante». Notre discours est-il choquant au point de légitimer une censure ? Notre expression va-t-elle à l’encontre des droits d’autrui ?

Plutôt que d’accepter le débat, l’administration de l’École dévoile au grand jour sa vision de l’écologie, qui n’appelle qu’à des actions techno-solutionnistes timides et s’accroche plus à la préservation du système capitaliste qu’à la protection des populations. Elle révèle une répression de plus en plus systématique de l’expression de ses élèves, dont la sanction des étudiant·es qui avaient interrompu le Forum 2024 de l’École en est le dernier exemple. En effet, l’an dernier, les élèves ayant manifesté contre la présence d’entreprises soutenant les «bombes carbones» comme Total ont été sanctionnés de 10 jours d’arrêt.
L’action doit être collective, transfrontalière et intergénérationnelle avec en son cœur l’objectif d’une justice sociale et environnementale. Nous pouvons agir ensemble de façon audacieuse et courageuse. En censurant notre discours, l’École incarne tout le contraire de cette vision.
Note aux lecteur·ices :
Cette article est une tribune, rédigée par des personnes extérieures à la rédaction de Vert.
Les 50 élèves polytechnicien·nes de la promotion 2020 signataires :
Julie Albigot, Soana Grave, Julie Muhlke, Noémie Aloy, Raphaël G., Antoine M., Simone Ausilio, Guilaume Ingelaere, Baptiste M., Thomas Barreira, Julien Jampsin, Christopher Nicol, Antoine Bou Khalil, Marceau Jeanjean, Florian O., Auguste Bourgeois, Cyrine Kamoun, Luc Passemard, Aymeric Buriez, Ines Kamoun, Julien Patras, Khalil B., Juliette Kies, Paul-Henri Pinart, Oumaima B., Grégoire K., Sébastien Ploix, Thibaut C., Barnabé Ledoux, Gaspard R., Adrien Combelles, Romain Loubiere, Lisa S., Thibault Desrousseaux, Anzo Massiot, Julia Souviron, Carl Ferlay, Sébastien Meyrignac, Julien T., Axel Garreau, Manolo Mischler, Elsa Tanré, Aline Gillet, Quentin Montes, Loïc Thomas, Baptiste Gonin, Alphonse Moreau, Baptiste Vauléon et 2 diplômé·es de la promotion 2020 qui souhaitent conserver l’anonymat.