Tribune

Les rapports d’impact écologique des entreprises remis en cause : «Opposer compétitivité et durabilité est une impasse»

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Green vil. Le vice-président exécutif de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, veut simplifier les normes européennes sur les rapports d’impact écologique des entreprises. Dans cette tribune à Vert, Alexandre Rambaud, maître de conférences à AgroParisTech-Cired, explique pourquoi il faut défendre la CSRD.

[Note de la rédaction : Alexandre Rambaud est codirecteur des chaires «Comptabilité écologique» et «Double matérialité» à AgroParisTech-Cired. La CSRD est la directive sur l’établissement de rapports sur le développement durable des entreprises.]

C’est un tournant écologique et géopolitique de l’économie européenne. La directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, ou CSRD, est une règlementation européenne adoptée en 2022 et centrale dans le Green deal – l’une des plus ambitieuses stratégies politiques de l’Union européenne, notamment destinée à atteindre la «neutralité carbone» en 2050. Or, le 26 février prochain, le projet de législation «Omnibus» sera examiné par la Commission européenne. Il a pour objectif de «simplifier» trois textes européens liés à la durabilité, dont la CSRD.

Cette démarche s’inscrit dans une orientation de l’Union européenne en faveur de la compétitivité, qui oppose (à nouveau) compétitivité et durabilité. Ainsi, alors que le Green deal a marqué la période 2019-2024 avec des avancées environnementales importantes, c’est le Clean industrial deal (CID), discuté également le 26 février, qui inaugure cette nouvelle période. Le CID vise à améliorer la compétitivité des industries qui participent à la transition énergétique. Pour simplifier, le Green deal conditionnait la compétitivité à un développement durable, tandis que le CID fait l’inverse.

«La comptabilité constitue le premier langage des entreprises»

La CSRD est un texte comptable. Or, la comptabilité, loin d’être un simple outil financier ou fiscal, constitue le langage premier des entreprises, et fait le lien avec le droit auquel elles sont soumises.

Le vice-président exécutif de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, veut simplifier les normes européennes sur les rapports d’impact écologique des entreprises. © Parlement européen/Wikimedia

Derrière la comptabilité, se trouvent les conventions qui établissent ce qui est important à prendre en compte ; de quoi les entreprises sont responsables ; à qui elles rendent des comptes ; pourquoi et comment il faudrait compter, monétairement ou non. Par exemple, c’est la comptabilité qui établit si le travail doit être une charge ou autre chose – un investissement, par exemple –, si l’entreprise rend des comptes uniquement à des actionnaires ou à d’autres acteurs, ou encore si l’entreprise doit reconnaître une dette ou non vis-à-vis de l’exploitation d’un écosystème.

«La CSRD doit permettre d’accompagner la transformation écologique des entreprises»

La perspective de la CSRD est ainsi de créer un nouveau langage, basé sur l’établissement de cibles écologiques à atteindre, de plans d’actions, d’indicateurs à suivre comme les émissions de gaz à effet de serre, etc. Ainsi, la CSRD est une réelle norme d’accompagnement de la transformation écologique des entreprises, permettant de la cadrer et la structurer.

Elle donne, en particulier, un statut de partie prenante passive à la nature, c’est-à-dire que la nature devient non plus une ressource à exploiter, mais un acteur à prendre en compte. Cela garantit une certaine responsabilité vis-à-vis d’elle. La CSRD connecte aussi, de manière pratique et efficace, la gestion de l’entreprise à différents textes officiels, comme la directive cadre sur l’eau ou l’Accord de Paris sur le climat. Elle repose sur une vision particulière de la durabilité, qu’elle institue comme centrale pour l’entreprise : la double matérialité. Selon ce principe, les impacts socio-environnementaux sur la performance financière, et les impacts de l’activité de l’entreprise sur son environnement social et naturel, doivent être pris en compte.

«Opposer compétitivité et durabilité est une impasse»

De nombreux débats ont lieu depuis l’année dernière, date de mise en œuvre de la CSRD par les premières entreprises, pour la simplifier, la reporter et finalement la vider de sa substance. Dans tous les cas, une remise en question de la CSRD serait délétère. Il est évidemment nécessaire de faciliter sa mise en œuvre et de mieux harmoniser les différents textes européens qui lui sont liés, mais sa suppression ou même la réduction de ses ambitions reviendrait à remettre en question le dispositif le mieux adapté à structurer précisément la transformation des modèles d’affaires.

Par ailleurs, cela créerait une instabilité réglementaire réelle, à un moment où il s’agirait plutôt d’accompagner sa mise en œuvre. Ces points font d’ailleurs l’objet de prises de position de grands acteurs économiques, comme le Collège des directeurs du développement durable (C3D) qui réunit plus de 300 directeurs RSE [Responsabilité sociétale et environnementale, NDLR] de grandes entreprises, ou même de grands groupes comme Unilever, Mars et bien d’autres, qui défendent la CSRD.

Opposer compétitivité et durabilité est une impasse: l’enjeu majeur aujourd’hui est plutôt de tracer des horizons et des orientations crédibles qui assurent une compétitivité à long terme, et donc de se doter des moyens pour structurer ces trajectoires, ce qui est le socle de la CSRD.

Enfin, les principes de la CSRD, dont la double matérialité, se diffusent à l’international. Plusieurs pays, en 2024, ont décidé de s’aligner sur cette philosophie, dont la Chine ou le Botswana, en s’inspirant des positions européennes. Dès lors, la CSRD est le fondement d’une sorte de soft power en termes de philosophie de durabilité. Remettre en question cette «aura» serait finalement aussi un échec géopolitique de l’Union européenne, car c’est bien dans ce cadre qu’il convient de comprendre la CSRD.

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