Au milieu de l’allée qui dessert ses plantations de fraises et de tomates, Antony Smith fait grise mine. La quasi-totalité de ses 11 000 mètres carrés (m2) de serres a été arrachée par le cyclone Garance, qui a traversé l’île de La Réunion vendredi 28 février. Le territoire a été secoué par de fortes pluies et de puissantes rafales qui ont dépassé les 200 kilomètres par heure. Au moins cinq personnes sont décédées, selon un dernier bilan des autorités.
«J’avais 50 000 pieds de fraises, j’ai tout perdu, déplore l’agriculteur installé depuis 20 ans à La Plaine-des-Cafres, sur les hauteurs de l’île. Et sur les 2 000 pieds de tomates que j’avais plantés, seulement 800 ont survécu». Devant lui, il ne reste presque plus rien des bâches qui recouvraient ses serres, et la structure métallique s’est totalement affaissée.
Même sa serre en tôle anticyclonique a cédé, laissant un trou béant sur plusieurs mètres. «Je n’ai jamais vu ça. Nous n’avons jamais connu de vents aussi violents ici», assure l’agriculteur. Il sait déjà qu’il lui faudra 100 000 euros pour remplacer sa serre cassée. Pour le reste, Antony Smith n’a pas encore chiffré les dégâts. Il estime toutefois que son chiffre d’affaires – environ 40 000 euros par mois – sera réduit à néant au moins jusqu’à la fin du mois de mai, le temps de pouvoir à nouveau cueillir des fruits.

À La Réunion, le cyclone Garance a «ravagé les exploitations», explique Karine Folio, juriste de la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) sur le territoire. «Tous les vergers ont été détruits, les bananeraies sont couchées, la filière de la canne à sucre a été touchée et il n’y aura sans doute plus de longanis [un fruit de la famille du litchi, NDLR] dans l’est», énumère-t-elle. La côte est, de Saint-André à Saint-Philippe, a été particulièrement impactée, comme la région de Saint-Denis, au nord de l’île.
«Tous les bananiers sont à terre»
Dominique Clain, à la tête d’une exploitation de 30 hectares de cannes à sucre et de deux hectares (ha) de bananes à Sainte-Rose, dans l’est, a «tout perdu». «Tous les bananiers sont à terre. Les cannes étaient prometteuses, mais elles ont été soufflées», désespère l’agriculteur. Selon lui, beaucoup d’agriculteur·ices vont se retrouver sans aucun revenu. «Les maraîchers ont été durement frappés. Il n’y a plus de poivrons, plus de tomates, peu de choses ont résisté. Maintenant, nous devons attendre 14 mois pour avoir à nouveau des régimes de bananes. En attendant, j’ai trois salariés à payer. Je ne sais pas quoi faire», lâche-t-il.
L’est et les plantations des hauteurs de l’île ne sont pas les seuls endroits qui ont été ravagés. «Il y a aussi énormément de dégâts dans le nord, dans le sud et dans l’ouest. Toute l’agriculture est K.O.», estime Olivier Fontaine, président de la chambre d’agriculture de La Réunion, qui réalise «une mission d’expertise» pour évaluer les dégâts. D’autant que l’événement climatique est le troisième coup dur pour les agriculteur·ices en un peu plus d’un an.
En janvier 2024, le cyclone Belal avait déjà fragilisé l’agriculture, avant un épisode de sécheresse de près de sept mois qui a mis à mal la culture de canne à sucre, laquelle occupe plus de la moitié des surfaces agricoles de l’île. La vitesse des vents lors de ces événements climatiques extrêmes est accentuée par le réchauffement climatique, en particulier par la hausse des températures des océans, montrait une étude publiée en novembre dernier.
«Avec ce nouveau cyclone d’une intensité inédite, toutes les filières sont concernées, estime Olivier Fontaine. On se demande comment on va récolter la canne, les exploitations de fruits et légumes sont dévastées et de nombreux élevages ont perdu leur toit. Même les cultures traditionnelles comme la vanille ou le cacao ont été touchées. Et les dégâts ne sont pas terminés, car nous assistons maintenant à des épisodes de fortes chaleurs qui devraient encore dégrader les rares cultures restantes.»

«Il ne pouvait plus faire boire ses animaux »
Dans le même temps, plusieurs communes sont toujours privées d’eau et d’électricité, depuis le passage du cyclone Garance. Selon les services de l’État, mardi 4 mars, 31 000 foyers n’ont plus d’eau courante. Dans le quartier du Tapage à Saint-Louis, dans le sud de l’île, «un éleveur de bovins a appelé à l’aide, car il ne pouvait plus faire boire ses animaux», raconte Karine Folio de la FDSEA.
À La Plaine des Cafres, Antony Smith est, lui aussi, privé d’eau depuis cinq jours. «Nous avons une petite retenue collinaire, mais si elle ne se recharge pas avec les pluies, nous n’aurons plus rien d’ici quelques jours», s’inquiète celui qui irrigue ses plants avec un système de pompage qu’il fait fonctionner grâce à un groupe électrogène, faute d’électricité dans son quartier.
Dans ce contexte, «les agriculteurs sont très atteints, estime Olivier Fontaine. Ils sont à la fois en colère et déçus». Dans le même temps, les fruits et légumes sur les étals des marchés et des primeurs se raréfient. Lucien Grondin, qui tient un commerce sur le bord de route dans le nord de la commune du Tampon, au sud de l’île, n’a «déjà plus de brèdes [des légumes à feuilles, NDLR]». «Il faudra attendre au moins deux mois pour en retrouver», indique le gérant, qui cultive en parallèle des pommes de terre et des tomates. «Nous n’avons plus rien dans nos champs, assure-t-il. Alors en tant que producteur et revendeur, je perds des deux côtés.»
Pour tenter de limiter les pertes, Antony Smith, à la Plaine des Cafres, prend le risque de ne pas attendre de remplacer ses bâches trouées avant de replanter. «Nous avons déjà commencé à replanter des fraises. Nous savons que s’il y a de grosses averses, nous perdrons à nouveau toute la production, mais nous n’avons pas le choix. Il nous faut de la trésorerie pour réparer et nous ne pouvons pas rester les bras croisés en attendant des aides de l’État.»

Le manque de production locale devrait faire grimper les prix
La raréfaction des produits frais est «inévitable», selon Olivier Fontaine, qui craint une dépendance accrue aux importations. Selon le ministère de l’agriculture, La Réunion dépendait à 30% des fruits et légumes importés avant le passage de Garance. Et le manque de production locale à venir devrait faire grimper les prix. «Il y aura moins d’offres, mais aussi moins de concurrence face aux produits importés», souligne le président de la chambre d’agriculture.
Ses services ont demandé à l’État de placer le territoire en état «de catastrophe naturelle» et de reconnaître «l’état de calamité agricole», afin d’indemniser les agriculteur·ices. «Localement, il y a des situations sociales très compliquées», assure Olivier Fontaine. Pour que les choses s’accélèrent, il compte sur la visite sur le territoire du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, prévue en fin de semaine.
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