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L’Italie condamnée pour avoir laissé la mafia brûler des déchets toxiques

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Toxique cité. Après des décennies d’un énorme scandale sanitaire, l’Italie a été condamnée jeudi par la Cour européenne des droits de l’homme pour son inaction contre la pollution liée aux dépôts de déchets toxiques de la mafia napolitaine.

C’est une décision historique pour les habitant·es de la région de Naples. Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), installée à Strasbourg, ont reconnu la responsabilité de l’Italie dans les activités illégales d’enfouissement et d’incinération par la mafia de déchets dangereux qui ont provoqué une recrudescence de cancers au sein de la population.

Un territoire qui compte près de trois millions d’habitant·es, entre Naples et Caserte (au sud du pays), est surnommé «la terre des feux». La raison : ont y trouve de nombreux sites illégaux d’incinération à ciel ouvert de déchets industriels. Depuis plus de quarante ans, les sols, l’eau et l’air sont pollués aux métaux lourds, dioxines et particules fines.

Si les entreprises contrôlées par la mafia napolitaine a pu agir de la sorte, c’est parce que de nombreux industriels italiens et étrangers ont cédé à leurs tarifs très réduits. En 2006, déjà, Le Monde révélait que la police avait démantelé un réseau qui enterrait des boues toxiques depuis des années dans la région d’Acerra (en périphérie de Naples). Avocat·es, carabinier·es et élu·es avaient été arrêté·es, révélant une chaîne de complicités dans une région où 42% des conseils municipaux avaient été invalidés et mis sous tutelle pour collusion avec les mafieux.

Les pompiers éteignent un feu illégal de déchets à Afragola, près de Naples (Italie). © Gianluca Rizzi

«L’État italien n’a pas répondu à la gravité de la situation avec la diligence et la célérité requises, bien qu’il ait eu connaissance du problème depuis de nombreuses années», a estimé la Cour, pour qui Rome a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit «le droit à la vie».

«Un arrêt historique»

À l’unanimité, les juges ont donné deux ans à l’Italie pour «élaborer une stratégie exhaustive afin de répondre à la situation, mettre en place un mécanisme de contrôle indépendant et une plate-forme d’information publique».

L’une des avocates des requérant·es, Antonella Mascia, a salué «un arrêt historique»«Nous espérons que les autorités comprendront que cette décision (…) est une exhortation des autorités internationales à changer les choses», a-t-elle affirmé.

Pina Picierno, vice-présidente du Parlement européen et membre du Parti démocrate (à gauche, principal parti d’opposition italien), a appelé «le gouvernement et tous les acteurs institutionnels à collaborer pour mettre en œuvre un plan luttant concrètement contre la pollution et sauvegardant le territoire et la santé publique».

Bien qu’en première ligne face à cette crise, ni le gouvernement, ni les autorités régionales n’ont réagi dans l’immédiat, pas plus qu’ils n’avaient répondu aux sollicitations de l’Agence France-Presse (AFP) avant la décision de la CEDH.

Les enfants, premières victimes des déchets toxiques de la mafia

Le père Maurizio Patriciello, prêtre de la région de «la terre des feux», est engagé dans la bataille juridique. Quatre de ses parents sont morts de cancer, et il a tenu à dédier cette victoire juridique «aux nombreux enfants, adolescents et jeunes que le cancer a tués».

Placé sous protection policière, il voit dans le jugement une riposte aux «ignorants, complices et corrompus» qui ont moqué et menacé les requérant·es. Encore aujourd’hui, des tas d’ordures s’empilent le long des routes et dans les champs contaminés, sur lesquels paissent moutons, chèvres et brebis.

Parmi les victimes, Miriam, 18 ans, qui vit avec les séquelles du cancer qu’on lui a diagnostiqué à l’âge de cinq ans. Elle souffre d’un médulloblastome, une tumeur au cerveau qui frappe normalement 1,5 enfant par million d’habitant·es. Pourtant, «à l’hôpital, il y avait trois autres cas venant d’Acerra», leur ville qui ne compte que 60 000 âmes, souligne sa mère, Antonietta Moccia, 61 ans.

Des militant·es sous le feu des représailles

L’un des requérants, Alessandro Cannavacciuolo, qui vient d’une famille de bergers, a raconté à l’AFP comment il a été alerté au début des années 2000 par la naissance d’«agneaux difformes, à deux têtes, avec deux langues, des queues sur le côté. Nous n’avions plus des agneaux, mais de véritables monstres.»

Lui aussi a perdu des parents et des ami·es, et la croisade de ce militant qui traque et dénonce les décharges illégales est éprouvante. «On a tiré sur nos voitures, on a tué nos animaux, on a reçu des lettres de menace…», assure-t-il.

En 1997, le Parlement italien avait été informé par un repenti de la mafia que – au moins à partir de 1988 –, des déchets dangereux avaient été enfouis à grande échelle. Malgré l’alerte, ce n’est qu’en 2013 qu’il a adopté un décret-loi qui délimite officiellement la «terre des feux».

Depuis 1994, l’association écologiste Legambiente dénonce les activités lucratives de 378 clans mafieux qui détruisent l’environnement. En 2023, Enrico Fontana, responsable de l’Observatoire environnement et légalité de l’association, déplorait dans un article du Monde l’infiltration croissante des mafias dans les secteurs de la gestion des déchets et du recyclage. Il notait que les infractions liées au trafic illégal des ordures avaient augmenté de 66% en 2023, un boom par rapport à l’année précédente.

L’administration italienne complice

Depuis, les commissions d’enquête parlementaires se sont succédé et ont confirmé : la passivité, voire la complicité, de l’administration ; l’absence de contre-mesures ; et l’impact sur la santé des résidents, avec une augmentation des cas de cancers et de malformations fœtales et néonatales.

En 2018, la commission Hygiène et Santé du Sénat italien a estimé que l’activité de pollution criminelle et systématique avait conduit à une véritable catastrophe écologique. Celle-ci a été provoquée, d’une part, par une chaîne de négligences, omissions et silences et, d’autre part, par l’absence totale de préparation à la prévention du phénomène de la part des autorités.

Quant à la corrélation entre la pollution et les cancers, elle n’a été reconnue qu’en 2021 par l’Institut supérieur de la santé.

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