Tribune

«Pour une gouvernance de l’océan paritaire et inclusive» : l’appel d’associations environnementales à la veille de la conférence mondiale à Nice

La mer des batailles. Dans une tribune publiée par Vert et intitulée «L’Océan, l’autre plafond de verre : pour une gouvernance de l’océan paritaire et inclusive», Women for Sea, Les Impactrices et SHE Changes Climate France plaident pour plus d'égalité dans les prises de décision concernant l’océan, à quelques jours du sommet mondial (Unoc3) sur le sujet à Nice. Leurs revendications feront l’objet d’une table ronde, ce jeudi, au palais des expositions de la cité azuréenne.
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«Accélérer l’action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan» – tel est le mot d’ordre de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc3) qui se tiendra à Nice à compter du 9 juin 2025. Mais comment y parvenir si la moitié de l’humanité – les femmes – est largement absente des lieux de décision ? À la veille de l’Unoc, nous appelons tous les États participants à s’engager à prendre des mesures fortes pour mettre en place une gouvernance paritaire de l’océan.

L’océan est le bien commun de l’humanité : il régule notre climat, nourrit des milliards de personnes, abrite la majeure partie de la biodiversité sur Terre. Et pourtant, il est au bord de l’asphyxie, frappé de plein fouet par une triple crise planétaire : pollution, surpêche, changement climatique. Face à cette situation, protéger l’océan exige des réponses fortes, coordonnées, durables, et une gouvernance à la hauteur des enjeux.

À l’échelle mondiale, moins de 12,5% des ministères en charge de l’océan sont dirigés par des femmes. © DR

Mais cette gouvernance est aujourd’hui fragmentée, opaque, et profondément incomplète car les femmes y sont largement sous-représentées. À l’échelle mondiale, moins de 12,5% des ministères en charge de l’océan sont dirigés par des femmes. Et selon l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature), au rythme actuel, il faudrait 162 ans pour atteindre la parité dans les postes de gouvernance environnementale.

Pourtant, partout dans le monde, les femmes agissent. Elles s’engagent pour la protection de l’océan, dans la recherche, l’éducation, l’entrepreneuriat, les mobilisations citoyennes. Elles sont des actrices de terrain, mais restent systématiquement tenues à l’écart des espaces où se décident les politiques publiques et privées océaniques, les règles de gestion des ressources, les choix d’avenir.

Cette exclusion n’est pas qu’une injustice : c’est une erreur stratégique. Elle prive la gouvernance océanique de voix, d’expertises et de solutions essentielles.

Biais sexistes et stéréotypes

Les preuves sont incontestables : la présence des femmes, dans toute leur diversité, au sein des organes de décision permet une meilleure prise en compte de la biodiversité, une adoption plus rapide des traités environnementaux, des politiques climatiques plus ambitieuses, et une résilience accrue des communautés locales. Dans tous les domaines, plus d’égalité et de diversité dans les processus de décision permet de meilleurs résultats au niveau économique, social et environnemental.

Les causes de cette sous-représentation sont nombreuses : freins juridiques, biais sexistes, stéréotypes ancrés, violences sexistes et sexuelles, manque d’accès aux réseaux, aux financements, à la formation. Le secteur océanique, historiquement masculin, résiste plus que d’autres à l’inclusion des femmes à toutes les échelles.

Le 7 mars 2025, le secrétaire général des Nations unies António Guterres appelait à une révolution dans l’inclusion des femmes dans les sphères décisionnelles : «Avec la parité dans le leadership politique, les décisions sont plus justes, les politiques sont mieux ciblées, et les sociétés plus équitables.»

L’océan a besoin de toutes nos forces. Nous ne pouvons pas relever ce défi mondial avec la moitié des talents et des expertises encore écartés des décisions. Exclure les femmes, c’est ignorer un levier stratégique pour la justice, le climat et la biodiversité.

Pour une protection de l’océan efficace, nous appelons les États présents à l’Unoc 2025 à prendre des engagements forts en matière de parité, pour faire progresser l’ensemble des enjeux océaniques – qu’il s’agisse de biodiversité, de climat, de justice sociale ou d’économie bleue.

Cela implique de :

  • Supprimer efficacement les obstacles et biais auxquels les femmes sont confrontées pour accéder aux postes de décision et de direction liés à l’océan ; garantir des conditions de travail sûres.
  • Introduire des exigences de parité et des systèmes de rotation des genres dans les rôles de leadership, afin de garantir un accès égal aux fonctions décisionnelles à tous les niveaux, notamment via des actions positives (quotas, processus de recrutement non genrés, mandats paritaires).
  • Nommer des femmes à des postes de direction dans tous les domaines liés à la gouvernance océanique ; réviser en profondeur les systèmes de recrutement, de nomination, de promotion et de gestion de carrière ; valoriser les rôles modèles féminins.
  • Garantir aux femmes un accès égal aux financements publics et privés, à des emplois dignes, et à une rémunération équitable dans les domaines scientifiques, de la conservation et de l’économie océanique durable et régénérative.
  • Offrir une formation tenant compte de la dimension de genre dans les carrières liées à la conservation et à l’utilisation durable de l’océan, et garantir l’égalité des chances et l’accès aux réseaux professionnels et aux possibilités de développement pour les femmes, telles que le mentorat et les programmes de parrainage, y compris au début de la carrière.
  • Collecter des données genrées et assurer un suivi et une évaluation efficaces des progrès vers une gouvernance océanique paritaire.

Ces engagements ne relèvent pas d’idéaux abstraits : ils sont inscrits dans le droit international, adoptés par les États eux-mêmes, et assortis de mécanismes de suivi (l’Objectif de développement durable n°5 – égalité des sexes –, la cible 23 du Cadre mondial pour la biodiversité, ou encore la Recommandation générale n°40 de 2024 du Comité CEDAW sur la représentation des femmes dans les systèmes décisionnels) qui forment un socle clair, cohérent et directif. Il est temps de rendre ces principes effectifs dans la gouvernance océanique.

Notre appel n’est pas seulement une question d’équité : c’est un impératif stratégique, écologique et économique. Si nous voulons mobiliser toutes les forces pour protéger l’océan, il est temps d’agir – maintenant, et efficacement. En s’engageant concrètement pour la parité à Nice, les États peuvent amorcer un tournant décisif, à même de renforcer l’efficacité de la gouvernance de l’océan et de garantir la préservation de ce bien commun, vital pour l’ensemble de l’humanité.

Cliquez ici pour consulter le rapport «Pour une gouvernance paritaire de l’océan», rédigé par Women for Sea, en partenariat avec SHE Changes Climate France et Les Impactrices.

Et cliquez juste là pour vous inscrire à l’événement organisé par Woman for sea ce jeudi 5 juin, de 17 heures à 18h45, dans la «green zone» du pavillon Ocean Base Camp, au palais des expositions de Nice (Alpes-Maritimes). Au programme : projection de portraits de femmes engagées pour la mer, réalisés par Marie Aymone Gerard ; présentation du plaidoyer «Pour une gouvernance de l’océan paritaire» ; table ronde et échange avec Catherine Chabaud, déléguée ministérielle à la mer et au littoral, et Anne-Sophie Roux, activiste pour l’océan.

Signataires

Women for Sea, SHE Changes Climate France, Les Impactrices, SHE Changes Ocean, UNESCO Chair in Ocean Governance, GQual Campaign, Corporacion Movilizatorio.

Co-signataires

Maud Lelievre, présidente du comité français de l’UICN ; Isabelle Susini, directrice France et Pascale Baussant, présidente France de 1% for the Planet ; Loreley Picourt, directrice générale de la plateforme Océan & Climat ; Nathalie Van Den Broeck, présidente et Éric Morbo, CEO de Surfrider Foundation ; Anna Righi au nom de l’Association du Flocon à la Vague – Water Family ; Caroline Maerte, directrice générale de la Convention des Entreprises pour le Climat ; Éléonore Patry, co-pilote de la CEC Ocean ; Hélène Binet, au nom de make sense ; Galitt Kenan, directrice de Jane Goodall Institute France ; Santiago Lefebvre, président & CEO, Rose-May Lucotte, co-fondatrice & COO, garance Aulagne, lead de Women for Change de ChangeNow ; Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre, présidente WISTA France ; Céline Dubreuil-Degortes, direction Politique Océan à l’Institut Océanographique de Monaco ; Malaury Morin, co-fondatrice de Blutopia ; Marie Dautzenberg, fondatrice de l’École de l’Exploration ; Marine Calmet, juriste et présidente de Wild Legal ; Matthieu Lapinski, président de l’Asso Ailerons ; Alice Vitoux, fondatrice de la Fresque Océane ; Muriel Papin, déléguée générale de No Plastic in My Sea ; Marie-Laurence Cipriani, co-fondatrice et directrice de Naeco ; Florent Favier, président de l’Institut des Solutions ; Colomban Monnier, président de la fondation ENSM ; François Sarano, océanographe et co-fondateur de Longitude 181 ; Francis Vallat, académicien de Marine, ex-président d’honneur de l’Institut français de la mer et de SOS Méditerranée ; Agnes Langevine, présidente du Conservatoire du littoral de la Région Occitanie ; Maxime de Lisle, secrétaire général de l’Ocean Sustainability Foundation ; Jean-Emmanuel Sauvée, président de l’Académie de Marine ; Francois Lambert, directeur de l’École Nationale Supérieure de la Marine ; Céline Liret, directrice scientifique de l’Oceanopolis ; Anne-Sophie Roux, conseillère parlementaire et activiste océan ; Catherine Chabaud, ex-eurodéputée et navigatrice ; Heïdi Sevestre, glaciologue ; Emma Haziza, hydrologue ; Adelaïde Charlier, activiste climat ; Gille Boeuf, président honoraire du Muséum National d’Histoire Naturelle ; François Gabart, navigateur ; Arthur Le Vaillant, navigateur ; Flora Artzner, wingfoil pro & consultante environnement ; Souba Manoharane-Brunel, entrepreneuse engagée et activiste Climat ; Juliette Hamon, aventurière militante «La Bretonne en Stop» ; Anissa Maille, photographe et storyteller ; Mary-Lou Mauricio, photographe ; Marie-Esméralda de Belgique, princesse de Réthy ; Marie Chauché, surfeuse pro ; Laurence Devillairs, philosophe ; Jimmy Pahun, député du Morbihan.

Note aux lecteur·ices :

Cette article est une tribune, rédigée par des personnes extérieures à la rédaction de Vert.