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Algues vertes : la justice ordonne à l’État de faire plus contre la pollution aux nitrates

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Algues au rythme. Les plages bretonnes se recouvrent souvent d’algues vertes à cause d’un excédent de nitrates généré par l’agriculture. Un préjudice écologique reconnu pour la première fois par la justice ce jeudi. Le tribunal administratif de Rennes a ordonné à l’État de renforcer son action contre cette pollution.

«Les mesures mises en œuvre par le préfet de la région Bretagne sont insuffisantes pour lutter contre les échouages d’algues vertes sur le littoral breton», a statué le tribunal administratif de Rennes (Ille-et-Vilaine) dans un communiqué publié ce jeudi.

Ces végétaux marins naturellement présents sur le littoral breton prolifèrent depuis des décennies sur la côte et appauvrissent le milieu en oxygène. Saisi par l’association Eau et rivières de Bretagne (ERB), le tribunal a enjoint ce jeudi au préfet de Bretagne de renforcer son action contre les pollutions aux nitrates à l’origine de cette profusion. Dans cette région où l’agroalimentaire fournit plus de 140 000 emplois, le recours des agriculteur·ices aux engrais azotés — qui libèrent des nitrates dans le sol et dans l’eau — a fortement augmenté à partir des années 1960.

Marée verte dans la baie de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor), en 2021. © Eaux et rivières de Bretagne.

Le tribunal laisse au préfet «un délai de dix mois [pour prendre] toutes les mesures nécessaires pour permettre de réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton, notamment en se dotant d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées» et un même délai pour prendre «toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique résultant de la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole».

«Une première»

«C’est la première fois que le préjudice écologique est reconnu», s’est enthousiasmé auprès de Vert le porte-parole d’ERB, Arnaud Clugery. Cette décision de justice «est beaucoup plus large que celles que nous avions pu obtenir précédemment», s’est-il réjoui.

En octobre 2022, l’association Eau et rivières de Bretagne avait déposé deux recours contre l’État pour lui demander de prendre «toutes mesures utiles» pour «pallie[r] les insuffisances de sa politique de gestion des pollutions azotées». L’association avait demandé au tribunal de laisser à l’État un délai d’un mois pour agir et de lui imposer des astreintes d’un million d’euros par mois de retard. Elle n’a pas été suivie sur ce point par le tribunal.

ERB espérait suivre l’exemple de l’association Les amis de la Terre, qui a fait condamner l’État à des dizaines de millions d’euros d’astreinte pour ses manquements dans la lutte contre la pollution de l’air. Sur ce volet, «nous sommes un peu déçus», a reconnu auprès de Vert Arnaud Clugery. Pour autant, «ça ouvre une fenêtre de négociations dans un cadre de dialogue avec l’État et les parties prenantes [chambres d’agriculture, filières de l’agroalimentaire…] ça va être intéressant», note-t-il.

«Si dans dix mois l’État ne montre pas de changements significatifs, nous pourrions saisir le juge pour obtenir des astreintes financières», explique-t-il encore. Le juge pourrait alors affecter des sommes d’argent à des mesures opérationnelles comme la protection de zones humides ou la restauration de biodiversité.

Le deuxième recours portait sur une demande de «réparation des préjudices écologiques et moraux», le préjudice moral étant chiffré par l’association à 3,2 millions d’euros. Le tribunal a finalement condamné l’État à verser 5 000 euros à Eau et rivières de Bretagne.

Des algues vertes aux gaz toxiques

Depuis 1971, des tonnes d’algues vertes s’échouent chaque année sur les plages bretonnes. En pourrissant, elles dégagent du sulfure d’hydrogène, un gaz potentiellement mortel pour les humains en cas d’exposition à de fortes concentrations.

Début mars, un lien de causalité entre la mort d’un sanglier en septembre 2024 sur une plage proche de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) a pu être établi avec «l’inhalation d’H2S, gaz émanant de la putréfaction des algues vertes», selon le parquet de Brest (Finistère).

Dans ce même estuaire, 36 sangliers avaient été mortellement intoxiqués en 2011. En novembre 2022 en revanche, la justice avait écarté la responsabilité de l’État et débouté la famille de Jean-René Auffray, un joggeur mort en 2016 dans une vasière envahie d’algues vertes, toujours à l’embouchure du Gouessant, près de Saint-Brieuc.

Les responsables : les engrais azotés

Selon un rapport de la Cour des comptes de 2021, cette prolifération d’algues vertes est «à plus de 90% d’origine agricole». La France en est à son septième programme d’action régional depuis 2010, «aux effets incertains sur la qualité des eaux», selon l’institution.

Eau et rivières de Bretagne rappelle que la Bretagne concentre «56% de la production porcine, 36% de celle de volaille de ponte, 30% de la volaille de chair et 23% de la production laitière française» et appelle à «une véritable évolution du modèle agricole et agroalimentaire».

C’est le septième contentieux qu’Eau et rivières de Bretagne engage sur la politique de lutte contre les nitrates de l’État. Au contraire des autres, souligne Arnaud Clugery, celui-ci «a une dimension systémique et montre que les carences répétées de l’État doivent cesser».

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