Elles et ils étaient plus de 200, amassé·es devant les grilles du golf des Bordes, déguisé·es en renard, canard ou cerf. Samedi 8 février, les défenseur·ses de la nature se sont donné rendez-vous devant ce domaine exclusif, niché au cœur des forêts de la Sologne, à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), pour dénoncer le projet d’extension du site, qui fait grincer des dents. Derrière un haut grillage, on aperçoit un green bien vert, des étangs et, en arrière-plan de cette carte postale bucolique, une forêt de feuillus.

À côté du parking, un petit écriteau indique «club privé». Car au domaine des Bordes, ne rentre pas qui veut. Ancienne propriété du baron Bich – le créateur de l’entreprise de stylos et de rasoirs Bic – désormais aux mains d’un fonds d’investissement anglo-saxon, le golf figure dans le top 10 des meilleurs parcours européens, selon le palmarès Planet Golf. Pour entrer, il faut être coopté et dépenser entre 500 et 100 000 euros pour venir taper la balle, selon les catégories. Un paradis de 580 hectares pour 300 privilégié·es venu·es du monde entier.
Après avoir créé une pétition qui a recueilli plus de 37 400 signatures et organisé une réunion publique le 10 janvier dernier, le collectif Stop au golf des Bordes a manifesté devant le green, puis a joué une pièce de théâtre, «le procès des écocidaires», créée par les associations locales. Les membres souhaitaient alerter les citoyen·nes sur ce qu’il se passe dans la forêt solognote.

Tourisme «luxe écolo»
Au milieu du deuxième massif forestier de France, un projet immobilier pharaonique devrait voir le jour à partir de 2026. Un hôtel 5 étoiles, 52 villas de luxe – 200 à 600 mètres carrés (m2)– sur des parcelles de 7 000 m2 à trois millions d’euros minimum, 70 résidences hôtelières («écolodges»), un spa et un restaurant doivent être construits. Des bâtiments qui s’ajouteraient au centre équestre, à la piste de karting électrique, au lac de baignade naturel et à un premier hôtel. Avec de nombreux emplois à la clé, argue la direction du golf, qui prévoit de multiplier par dix le nombre de salarié·es en dix ans, de 90 à 900.
Ce complexe sera géré par la marque Six senses, dont le succès repose sur le concept de «luxe écolo». «Les écolodges seront conçus avec des structures hors sol afin d’éviter les interventions sur les arbres. Les habitations seront équipées de pompes à chaleur et les énergies fossiles sont déjà bannies du domaine», vante Isabelle Sauteret, directrice des relations extérieures du golf.

Espèces en danger, biodiversité menacée
Ce projet ne date pas d’hier, les premières autorisations remontent à 2011. En 2020, un permis d’aménager a été octroyé pour construire 96 villas sur 66 hectares. Cinq ans plus tard, seulement 21 ont été construites et 18 sont actuellement occupées.
Mais c’est une nouvelle demande de défrichement, déposée en juin 2024, qui a mis le feu aux poudres. Afin de continuer son développement, le golf demande l’autorisation de défricher 91 hectares supplémentaires (dont 24 de déboisement), soit 157 hectares pour le projet global.

Noé Petit, président de l’association À bas le béton et cofondateur du collectif Stop au golf des Bordes, est inquiet pour la biodiversité. «Certes, ils vont garder quelques arbres pour l’esthétique et un esprit “boisé”, mais tout le domaine sera fractionné d’activités humaines et de voiries. La fonction d’écosystème de la forêt sera complètement perdue.»
Le domaine des Bordes abrite une riche faune et flore sauvage : 300 hectares sont situés en zone Natura 2000 (des aires naturelles protégées créées par les États de l’Union européenne). Sologne Nature environnement recense 210 plantes remarquables, dont trois sont protégées – l’hottonie des marais, l’ophioglosse vulgaire et le bugle pyramidal. Et les arbres patrimoniaux sont précieux pour les pics, les insectes et les chauves-souris.
Selon la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE), les aménagements et évitements pour sauvegarder cette biodiversité sont trop faibles. Dans son avis de 2020, elle déplore une étude d’impacts incomplète, qui comporte de «nombreuses inexactitudes» et qui s’attache à décrire les aménagements et non l’impact des défrichements, qui sont pourtant l’objet de la demande d’autorisation.
Face à ces carences, la région Centre-Val de Loire, en charge des zones Natura 2000, vient de demander une nouvelle étude d’incidences au propriétaire. «Nous sommes à un moment clé de l’humanité où les espèces sont en danger, où les indicateurs de biodiversité sont dans le rouge, rappelle Jean-François Bridet, vice-président écologiste de la région Centre-Val de Loire. Et l’on est prêt à sacrifier l’habitabilité de notre territoire, le fait d’avoir de l’eau potable, une nourriture saine, un environnement poétique… sur l’hôtel de l’attractivité ! Ce projet est vraiment d’un autre temps…»
«Une clientèle qui vient en avion ou en hélicoptère»
Le complexe touristique pose un autre problème aux défenseur·ses de la nature : l’artificialisation des sols. À la suite de la loi Climat et résilience de 2021 et sa déclinaison sur le zéro artificialisation net (ZAN), les nouvelles constructions doivent être limitées et les collectivités se répartissent des droits à bâtir, en fonction du nombre d’habitant·es. Nicolas Orgelet, élu écologiste à l’agglomération de Blois (Loir-et-Cher), alerte sur ce point : «Est-il soutenable de promouvoir un tourisme international pour une clientèle qui vient en avion ou en hélicoptère pour faire deux parties de golf ? Il est du rôle des élus de construire un autre modèle, où l’on n’encourage pas un tourisme climaticide avec des dizaines d’hectares qui vont être artificialisés pour des résidences secondaires, voire tertiaires !»
Katherine Fauvin, militante écologiste et cofondatrice du collectif Stop au golf des Bordes y voit un outil de spéculation : «Une fois défrichées, les terres vont valoir trois fois leur prix. On voit le résultat avec le développement de la chasse pour les ultra-riches en Sologne.» Une enquête publique devrait être ouverte dans les prochaines semaines.
Un financement public ?
Le financement de ce projet gigantesque interroge les opposant·es. Serait-il financé en partie par de l’argent public ? Gilles Clément, président de la communauté de communes, certifie que non. Pourtant, une société d’études a été créée le 5 mars 2021 entre la Caisse des dépôts et de consignations, institution publique, et le golf des Bordes. La banque au «service de l’intérêt général» a financé sur ses fonds propres près de 6 millions d’euros. Cette convention précise que «la banque des territoires s’est positionnée en investisseur avisé sur ce projet». Dans La Nouvelle République du 27 septembre 2022, on apprend qu’elle apporterait jusqu’à 40% des 180 millions d’euros de l’investissement total. Une surprise, lorsque l’on sait que cette banque, qui gère l’épargne du livret A des Français, finance habituellement les logements sociaux et la «transition énergétique». Aujourd’hui, l’établissement semble faire machine arrière et explique que «l’investissement lié au projet hôtelier n’est pas stabilisé». Selon nos informations, elle pourrait abonder les fonds propres du projet de l’hôtel – sous forme de prêt bancaire – à hauteur de 40%, c’est-à-dire entre 40 et 50 millions d’euros.
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