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Explosion mortelle à Saipol-Dieppe : le géant français des huiles végétales condamné pour homicide involontaire

Poison d’Avril. Saipol, géant français des huiles végétales, filiale du groupe Avril présidé par le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau, comparaissait devant le tribunal de Dieppe (Seine-Maritime) pour homicide involontaire. Mercredi, l’entreprise a été condamnée à payer une amende de 250 000 euros, soit 0,15% de ses bénéfices en 2023.
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«On se souvient tous de ce bruit qui a figé le temps dans notre ville, ce moment où la vie de la cité s’est arrêtée», a lâché Mathias Dupuis, syndicaliste à la CGT, face au tribunal judiciaire de Dieppe (Seine-Maritime), mardi. Le 17 février 2018, à 11 heures, Alexandre, 25 ans et Stéphane, 43 ans, sont morts dans une explosion sur le site industriel de Saipol, «leader français de la transformation de graines oléagineuses» implanté dans la zone portuaire de Dieppe. Sept ans plus tard, l’écho de ce drame a trouvé le chemin de la justice, mardi 4 et mercredi 5 mars 2025.

Un rassemblement syndical a été organisé devant le tribunal de Dieppe, mardi 4 mars 2025, pour alerter sur les «morts au travail». © Nicolas Cossic/Vert

L’entreprise productrice d’huiles végétales Saipol, filiale du groupe agroalimentaire Avril – présidé par Arnaud Rousseau, patron du puissant syndicat agricole FNSEA –, était renvoyée pour homicide involontaire «par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement».

Elle comparaissait aux côtés de la Société normande d’assainissement et de dépollution (Snad), sous-traitante de Saipol et employeuse des victimes. À l’issue du procès, les deux entreprises ont été condamnées à des amendes et à verser des dommages et intérêts aux parties civiles.

Explosion mortelle

Le 16 février 2018, Saipol avait fait intervenir en urgence une équipe de la Snad pour retirer un amas de colza qui bloquait le tapis roulant d’un extracteur – sorte d’immense cuve horizontale qui permet de récupérer un maximum d’huile de la matière. Une situation «exceptionnelle» qui sortait de tout cadre connu, d’après l’entreprise. Le samedi 17 février, deux salariés de la Snad avaient pénétré dans l’équipement pour finir le travail et ont été pris au piège d’une violente déflagration. Leurs corps ont été retrouvés calcinés.

L’usine de Saipol à Dieppe (Seine-Maritime), le 17 février 2018. © Elisabeth Schneider Charpentier/Hans Lucas via AFP

Les investigations ont permis d’établir que de grandes quantités d’hexane, un solvant liquide très inflammable utilisé dans le processus industriel, étaient présentes dans l’extracteur à ce moment-là. Si la cause précise du déclenchement de l’explosion n’a pas été déterminée, l’enquête a révélé une «succession de manquements» de la part des deux entreprises, qui ont conduit à l’accident mortel. Équipements mal adaptés, absence de formation, procédures d’analyse des risques non respectées… Un élément en particulier a cristallisé la responsabilité de Saipol : alors que les explosimètres – des détecteurs de situation à risque – ne cessaient de sonner, le personnel encadrant a choisi de les ignorer et décidé de poursuivre l’intervention, en contradiction avec les procédures de sécurité. «Au moindre doute, stopper l’intervention», était-il pourtant écrit dans un document interne à la société, relevé par les parties civiles.

«Le temps qui n’a pas été pris»

«Il faut situer ce qu’est Saipol. Nous ne sommes pas face à une PME, mais devant une entreprise de dimension internationale», a posé Gérald Le Corre, inspecteur du travail à Rouen et responsable des questions de santé au travail à la CGT de Seine-Maritime. «Pourquoi utiliser de l’hexane dans le processus industriel ? Pour augmenter la productivité. Cela permet de récupérer 20 à 25% d’huiles supplémentaires, a lancé le syndicaliste à la barre. Les dangers de l’hexane sont connus. Pourquoi avoir maintenu un procédé de travail aussi dangereux ?» La question de savoir si la rentabilité économique a primé sur la sécurité des travailleurs est revenue tout au long du procès.

D’après la déposition d’un salarié de la Snad, lue à l’audience, «l’intervention a été menée dans l’urgence, dans une ambiance pressante, car l’extracteur devait refonctionner le plus rapidement possible.» Aucune visite commune préalable à l’intervention n’a été réalisée, ce qui est pourtant obligatoire.

«Le dénominateur commun de cette histoire, c’est le temps», a avancé Karim Berbra, l’un des avocats de la partie civile. «Le temps qui n’a pas été pris» par Saipol et la Snad, dans l’analyse des risques ou la mise en œuvre de mesures de prévention, a-t-il précisé. Il a conclu : «Ce temps qui n’a pas été pris a abouti à un enchaînement d’événements inéluctable ayant conduit à la mort de Stéphane et Alexandre.»

Une violation «délibérée» des règles ?

D’après l’expertise judiciaire, il était possible d’évacuer le solvant inflammable de l’extracteur avant d’y pénétrer. Cela aurait toutefois pris plusieurs jours. «Le site de Saipol-Dieppe représentait 10% de nos volumes. Il n’y avait pas d’impératif d’affaires à redémarrer ce site de façon urgente, défend Emmanuel Manichon, président de Saipol. En toute logique, il n’y aurait pas dû y avoir d’intervention de pénétration au sein de l’extracteur.»

Le géant de l’huile a «reconnu une part de sa responsabilité» dans le drame. Mais il conteste être à l’origine de certains manquements pointés dans la procédure. Même son de cloche du côté du gérant de la Snad, Arnaud Pierre, au second jour d’audience. Le nœud du procès tenait dans le caractère «manifestement délibéré» des manquements. Cette circonstance aggravante, contestée par les industriels, n’avait pas été retenue à l’issue de l’instruction, ni par le parquet dans ses réquisitions. Il s’agissait pourtant de la première revendication des parties civiles et de leur conseil.

«C’est comme si un automobiliste avait grillé dix feux rouges en roulant à 150 kilomètres heure en centre-ville sous l’emprise de stupéfiants avant de percuter des gens. Dans ce genre de cas, je ne crois pas que le tribunal écarterait le caractère délibéré de l’infraction», a résumé le syndicaliste Gérald Le Corre.

250 000 euros d’amende pour Saipol

Le tribunal a décidé d’aller au-delà des réquisitions et de retenir la circonstance aggravante. Il a condamné les sociétés Saipol et Snad pour «homicide involontaire par personne morale par violation manifestement délibérée» de leurs obligations. «Une victoire et un soulagement», pour Karim Berbra.

Près de 200 000 euros de dommages et intérêts devront être versés, au total, par les deux industriels aux parties civiles, composées des proches des victimes et de syndicats. La Snad et Saipol devront aussi s’acquitter d’une amende d’un montant respectif de 150 000 euros et 250 000 euros. Dans le cas du «leader français de la transformation de graines oléagineuses», cela représente 0,15% de ses bénéfices réalisés en 2023, qui s’élevaient à 170 millions d’euros.

Saipol «prend acte de cette décision», qui sera «examinée avec beaucoup d’attention dans les prochains jours», a déclaré l’avocate de l’entreprise, Corinne Potier. Elle rappelle que l’accident a «bouleversé la vie de l’entreprise».

La CGT a plaidé, à travers cette décision de justice, en faveur d’un renforcement de la lutte contre les accidents du travail. Le 10 avril 2024, un incendie s’était déclaré sur le site de Saipol à Sète (Hérault). Un salarié avait été blessé.

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