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Électricité, eau, CO2 : pourquoi le Bitcoin est responsable de 95% de l’impact environnemental des cryptomonnaies

Biais vert. Les monnaies virtuelles sont en plein essor et pèsent déjà plus de 3 100 milliards d’euros dans le monde. Mais des scientifiques sonnent l’alerte : l’empreinte environnementale du Bitcoin, la première de ces devises, ne cesse de croître. Explications.
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Le 18 janvier dernier, à l’avant-veille de son investiture à la Maison-Blanche, Donald Trump a annoncé le lancement de sa propre cryptomonnaie, baptisée Trump Meme. Autrefois opposé à ces monnaies virtuelles, il a opéré un virage radical ces derniers mois, au point d’en devenir l’un des plus grands défenseurs.

Les cryptomonnaies ont le vent en poupe, et pas seulement aux États-Unis. Sur le vieux continent, près d’un·e Européen·ne sur dix détient de la monnaie numérique : un chiffre qui a plus que doublé entre 2022 et 2024, précise la Banque centrale européenne dans une étude publiée en décembre dernier.

La capitalisation mondiale de l’ensemble des cryptomonnaies s’élève à plus de 3 100 milliards d’euros, soit davantage que le produit intérieur brut de la France. Et s’il existe plusieurs milliers de cryptomonnaies différentes, le célèbre Bitcoin, né en 2008, reste de loin la plus populaire.

S’affranchir des banques

Le succès de ces monnaies virtuelles repose sur la promesse d’une plus grande indépendance vis-à-vis des banques. «Tandis que les monnaies classiques, comme l’euro ou le dollar, s’appuient sur des institutions et des banques centrales pour asseoir leur crédibilité, les cryptomonnaies telles que le Bitcoin sont décentralisées, explique Julien Prat, chercheur au centre de recherche en économie et statistique de Paris et responsable de la chaire académique Blockchain@X. Personne ne peut en prendre le contrôle.»

Pour assurer la crédibilité du réseau Bitcoin malgré l’absence d’autorité centralisée, «toutes les transactions effectuées sont regroupées par paquets dans des blocs informatiques, puis ajoutées à une chaîne. On parle alors de blockchain», souligne Alex de Vries, chercheur au sein du département d’économie de l’université libre d’Amsterdam (Pays-Bas). Ce livre de comptes géant permet de retracer l’ensemble des transactions depuis la création du tout premier jeton numérique Bitcoin.

© Banque de France

Et afin de garantir l’inviolabilité de cette blockchain, la communauté Bitcoin s’appuie sur une méthode nommée «preuve de travail» (proof of work), qui fait office de mécanisme de consensus entre les participant·es. Le principe est ingénieux, mais il nécessite une gigantesque puissance de calcul — des ordinateurs très puissants.

L’ensemble des ordinateurs dont les propriétaires souhaitent obtenir de nouveaux bitcoins sont en compétition permanente pour résoudre le plus rapidement possible une épreuve mathématique. Une fois l’énigme résolue, un nouveau bloc est ajouté à la chaîne, et le gagnant remporte les jetons qui viennent d’être fabriqués — ou plutôt «minés», dans le jargon. «Plus votre puissance de calcul est forte, meilleures seront vos chances. À chaque épreuve, 3 125 bitcoins sont attribués au vainqueur, et ce toutes les dix minutes. Cela représente une somme correspondant à près de 300 000 dollars [275 000 euros, NDLR]», souligne Julien Prat. Dans ce contexte, la compétition mondiale fait rage pour réussir à «miner» de nouveaux jetons numériques.

Une consommation électrique supérieure à celle des Pays-Bas

Selon les données récoltées et actualisées quotidiennement par l’université de Cambridge (États-Unis), la star des cryptomonnaies engloutit chaque année près de 180 térawattheures (TWh) d’électricité pour assurer le fonctionnement de son réseau, soit davantage que des pays entiers comme les Pays-Bas, l’Argentine, la Pologne, la Norvège ou encore la Suède. Ainsi, le Bitcoin représente à lui seul 0,7% de la consommation électrique totale au niveau mondial.

Son bilan carbone est tout aussi impressionnant : le fonctionnement de ce réseau décentralisé émet près de 95 millions de tonnes d’équivalent CO2 chaque année. Soit autant que des pays comme le Paraguay, le Maroc ou Israël. «Ces émissions de CO2 sont principalement liées à l’utilisation de combustibles fossiles comme le charbon ou le gaz qui servent à produire l’électricité consommée par les grandes unités de calcul qui minent le bitcoin», précise Alex De Vries.

D’après les dernières données fournies en 2022 par l’université de Cambridge, les principaux regroupements d’unités de minage se trouvent aux États-Unis, en Chine et au Kazakhstan. Des pays dont la production électrique est dominée par les énergies fossiles. «Le gouvernement chinois a pourtant interdit le minage de cryptomonnaies sur son sol en 2021. Mais une partie du bitcoin continue d’y être fabriquée à plus petite échelle, afin de rester sous les radars», observe Alex de Vries.

Il ne faut pas s’attendre à ce que le Bitcoin devienne moins énergivore, selon les expert·es. © Art Rachen/Unsplash

Ce n’est pas tout. Le réseau Bitcoin se montre aussi extrêmement gourmand en eau, assure le chercheur néerlandais : «Les générateurs des centrales électriques qui fonctionnent grâce aux énergies fossiles doivent être rafraîchis, ce qui nécessite d’utiliser de grandes quantités d’eau. Et les installations de minage des cryptomonnaies sont également équipées de systèmes de refroidissement afin d’éviter la surchauffe». Résultat : selon les calculs effectués par Alex de Vries, le réseau Bitcoin a englouti 1 574 milliards de litres d’eau au cours de l’année 2021. 16 000 litres d’or bleu seraient ainsi consommés lors de chaque transaction, soit l’équivalent du contenu d’une centaine de baignoires.

Des cryptos écolos ?

Toutes les cryptomonnaies sont-elles aussi gourmandes en ressources ? Absolument pas, assurent les chercheurs que nous avons interrogés. «En réalité, le Bitcoin est celle qui consomme le plus d’énergie et de très loin», souligne Alex de Vries. Il estime que la star des cryptomonnaies est responsable de 95% de l’impact environnemental généré par le secteur, car elle est l’une des seules qui s’appuie encore sur le système de «preuve de travail».

La plupart des autres cryptomonnaies utilisent désormais un système dit de «preuve d’enjeu» (proof of stake), qui nécessite bien moins de puissance de calcul — et donc d’énergie. C’est le cas de l’Ethereum, la seconde monnaie virtuelle la plus populaire au monde.

«Cela fonctionne un peu comme une loterie. Chaque personne qui possède des jetons Ethereum peut s’inscrire sur une liste, puis un individu est tiré au sort. Il remporte alors les nouveaux jetons créés. Plus on possède d’Ethereum, plus on a de chances de gagner», détaille Julien Prat.

Ce tirage aléatoire est bien moins gourmand en énergie que les multiples calculs mobilisés pour la «preuve de travail». «En 2022, le passage d’Ethereum du système de preuve de travail à celui de preuve d’enjeu a permis de réduire ses besoins en énergie de 99,8%», décrit Alex de Vries.

Hélas, il ne faut pas s’attendre à ce que le Bitcoin suive le même chemin, soulignent les deux experts. «Il ne sera pas réformé, notamment parce qu’il y a trop d’enjeux financiers. Cette cryptomonnaie pèse aujourd’hui plus de 1 000 milliards de dollars. Or, pour changer de paradigme, il faudrait que toute la communauté Bitcoin se mette d’accord. Le risque financier lié à un changement aussi radical est bien trop grand», souligne Julien Prat.

«Le système de preuve de travail est profondément ancré dans la philosophie de base de la communauté. L’abandonner reviendrait pour eux à dénaturer le Bitcoin, qui est parfois perçu comme une sorte de religion avec des règles immuables», complète Alex de Vries.

Si le fonctionnement de ce réseau reste figé, comment peut-on espérer réduire son empreinte carbone ? Pour les défenseur·ses du Bitcoin, la solution se trouverait du côté des énergies renouvelables. En absorbant les surplus de production électrique issus de l’éolien, du solaire ou de l’hydraulique, cette cryptomonnaie pourrait même faciliter la transition énergétique, selon elles et eux. Par exemple, lorsque le vent souffle de manière continue pendant plusieurs heures, les éoliennes peuvent produire davantage d’électricité que ce dont le réseau a besoin. Et, -étant donné que l’électricité est difficilement stockable, une partie de cette production peut être perdue si elle n’est pas immédiatement utilisée. Les mineurs de cryptos viendraient alors absorber ce surplus, expliquent les partisan·es du Bitcoin.

Un argument contesté par certains spécialistes. «Les énergies renouvelables ne produisent pas d’excédent en permanence. Or, il est nécessaire de faire tourner les unités de minage sans interruption afin de rester compétitif. Les mineurs installés aux États-Unis consomment d’ailleurs essentiellement des énergies fossiles tout au long de l’année», souligne Alex de Vries.

D’après les dernières données récoltées par l’université de Cambridge, les renouvelables n’assuraient en 2022 qu’un quart de la consommation électrique du Bitcoin, et le nucléaire 11%. Le charbon et le gaz continuaient donc de fournir la majeure partie du minage. Si la reine des cryptos souhaite réellement devenir plus «verte», il lui reste du chemin à parcourir.

Alors, le secteur de la cryptomonnaie pourrait-il quand même jouer un rôle dans la transition énergétique ? Certaines monnaies virtuelles, comme le SolarCoin ou BitGreen, ont été lancées dans le but de financer la production d’énergies renouvelables. «Il semble hasardeux de baser ces investissements dans des infrastructures censées perdurer au cours du temps sur des actifs cryptographiques aussi volatils, nuance Alex de Vries. Un horizon de trois ans correspond à une éternité dans l’univers des cryptos !».

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