On fait le point

Risques pour la santé, code du travail, adaptation des entreprises : comment travailler dans un monde en surchauffe ?

Métro, boulot, trop chaud. Les canicules sont de plus en plus fréquentes et intenses en raison du changement climatique : ce vendredi, 14 départements de l'ouest de la France sont placés en vigilance orange pour cette raison. Alors que cette chaleur extrême met en danger la santé des travailleurs, le code du travail évolue lentement. Et les entreprises tentent de s’adapter.
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«Dans la serre, en plein été, le thermomètre pouvait atteindre 55 degrés (°C). Sur 15 employés, dix ont fait des malaises pendant les épisodes de canicule, moi y compris.» Marie a travaillé une saison d’été en tant qu’employée en production maraîchère dans une ferme de Savoie. Avec quatre épisodes de canicule, les mois de juin, juillet et août 2023 s’étaient révélés éprouvants pour la jeune femme. «Physiquement, c’était très dur, je buvais sept litres d’eau par jour, décrit-elle. Je faisais des journées de dix heures, donc même si je commençais tôt, il m’arrivait de travailler sous 40°C l’après-midi, en plein soleil.»

Comme Marie, nombre de salarié·es souffrent des températures élevées sur leur lieu de travail. Cette semaine du 16 juin a d’ailleurs été marquée par une vague de chaleur précoce dans l’Hexagone. Et, ce vendredi 20 juin, 14 départements de l’ouest du pays sont placés en vigilance orange canicule par Météo-France. Quelles sont les conséquences de ces températures extrêmes sur la santé ? Que dit le code du travail ? Quelles-sont les mesures adoptées par les entreprises ? Vert fait le point.

Qui est concerné ?

Les conditions de travail extrêmes peuvent avoir des conséquences graves sur la santé, comme le rappelle Armand Blondeau, chargé des sujets de santé, sécurité et conditions de travail au syndicat Printemps écologique, qui associe défense des travailleur·ses et urgence écologique : «L’augmentation des températures provoque de nombreux dangers. Il y a d’abord les effets induits : on dort mal, on est davantage fatigué, moins vigilant, et cela augmente les risques d’accident et les problèmes psycho-sociaux (irritabilité, nervosité, troubles de la concentration). Et il y a les effets directs : les coups de chaleur, la déshydratation ou les malaises cardiaques.»

Un groupe de travailleurs à Toulouse (Haute-Garonne), en 2023. © Luca Booth/Unsplash

Selon Le Monde, qui a analysé les fiches de signalement de l’inspection générale du travail, au moins 48 personnes ont perdu la vie sur leur lieu de travail à cause de la chaleur entre 2018 et la fin de l’été 2023. Un chiffre sûrement en-deçà de la réalité, selon Santé publique France. L’organisme fait état de sept décès au travail potentiellement liés à la chaleur à l’été 2024, dont six dans le cadre d’une activité professionnelle de construction et travaux, ou d’agriculture – deux secteurs en première ligne face à la chaleur.

Si cette problématique existe surtout chez les employé·es qui travaillent en extérieur, ou dans des environnements marqués par des températures élevées (teintureries, blanchisseries, cuisines), la question se pose aussi dans le secteur tertiaire, estime Armand Blondeau : «Ça peut paraître moins évident. Pourtant, il y a aussi de nombreuses questions, comme celle du télétravail. Est-ce qu’il faut le préconiser, ou au contraire ne pas y recourir si les employés vivent dans des logements mal isolés ? Il y a aussi le sujet des déplacements pour les commerciaux, ou des transports. Quand on fait 45 minutes de métro ou de train bondé et surchauffé, cela nous impacte forcément pour le reste de la journée.»

Que dit la loi ?

Alors que le code du travail était jusqu’à récemment peu contraignant, un décret publié au Journal officiel le 27 mai 2025 – applicable à partir du 1er juillet – renforce les obligations des employeurs en cas d’épisodes de chaleur intense. Ils sont désormais tenus d’adapter les horaires de travail en fonction des températures (en démarrant plus tôt, par exemple), de suspendre les tâches pénibles pendant les heures les plus chaudes, et d’ajuster les temps de pause des employé·es. Les postes de travail doivent par ailleurs être rafraîchis à l’aide de systèmes de ventilation ou de brumisation. L’employeur doit aussi fournir aux salarié·es en extérieur des équipements de protection (couvre-chefs ou lunettes). Et, en l’absence d’eau courante sur le lieu de travail, elle ou il doit garantir l’accès à trois litres d’eau potable par jour et par personne.

En revanche, la loi ne prévoit toujours pas de température maximale au-delà de laquelle il serait interdit de travailler. Et ce, même si l’Institut national de recherche et de sécurité pointe l’existence d’un danger au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et de 28°C pour un travail physique. En juillet 2023, le groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale avait déposé une proposition de loi en ce sens. Le texte suggérait, entre autres, l’interdiction de soumettre un travailleur à une activité en cas d’activation du niveau 4 de vigilance météorologique (qui correspond à une canicule extrême). Mais il n’avait pas pu être examiné avant la dissolution, ce qui l’a rendu caduc. Pour l’heure, il n’a pas été remis à l’ordre du jour.

Si les salarié·es estiment que leur employeur ne respecte pas ses obligations en termes de santé et de sécurité, elles et ils peuvent en parler au comité social et économique (CSE) ou aux délégué·es du personnel, et même saisir l’inspection du travail. Enfin, il leur est possible d’exercer leur droit de retrait, si elles et ils jugent se trouver dans une situation qui présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. Mais cette disposition est difficile à appliquer : «Notre employeur nous avait indiqué que ce droit de retrait existait, mais il a sous-entendu qu’il fallait qu’on évite de l’utiliser. Ça dissuade», se souvient Marie, toujours lors de son expérience de maraîchage à l’été 2023.

Comment les entreprises tentent-elles de s’adapter ?

Côté employeur, les obligations ne sont pas toujours respectées. Ou partiellement, comme l’a constaté Armand Blondeau, qui encadre des formations destinées aux comités sociaux et économiques des entreprises : «Des élus d’une entreprise du BTP m’ont indiqué qu’ils avaient effectivement accès à de l’eau sur les chantiers, mais qu’il s’agissait d’une palette de bouteilles en plastique posée en plein soleil, donc l’eau devient rapidement très chaude. Autre exemple, des employés avaient installé de leur propre initiative des parasols sur des échafaudages pour se protéger du soleil. Mais on leur a dit de les retirer, car ce n’était pas les vacances.»

«Les fortes chaleurs suscitent de plus en plus de préoccupations, nous sommes sollicités par les entreprises et les salarié·es», constate tout de même Mohamed Trabelsi, responsable de développement et de projet spécifique à l’OPPBTP, un organisme de prévention dans le secteur du BTP. «On nous demande comment gérer ces fortes chaleurs, à quel moment il faut arrêter son activité, poursuit-il. Certaines entreprises n’ont pas forcément l’habitude, car en termes d’enjeux climatiques, les vagues de froid sont mieux maitrisées que les vagues de chaleur.»

Pour l’entreprise Sanchez, basée dans le Puy-de-Dôme et spécialisée dans le gros œuvre, l’été 2020 a été un déclencheur. «Il avait fait très chaud, c’est là qu’on a commencé à se dire que les saisons estivales allaient être de plus en plus problématiques, se remémore Claire Brette, directrice et cogérante de l’entreprise. Depuis, la société met en place diverses actions pour protéger ses employé·es, comme la distribution de gourdes isothermes pour maintenir l’eau au frais sur les chantiers. Nous réfléchissons aussi à installer des cabanes autonomes isolées en fibre de bois et dotées de panneaux solaires, pour que les employés puissent faire marcher une climatisation. Les bungalows de chantier classiques sont très mal isolés.» L’entreprise peut aussi adapter ses horaires… dans une certaine limite : «Nous faisons beaucoup de chantiers en ville, où il n’est pas possible de commencer avant 7 heures, même si nos employés aimeraient démarrer à 6 heures pour être au frais. Et, en même temps, je comprends les riverains qui ne veulent pas être réveillés trop tôt.»

Pour le syndicat Printemps écologique, il faut former les représentant·es du personnel à cette thématique. «Ce qu’on essaye de travailler avec eux, c’est comment mettre le sujet sur la table, pour pousser à la négociation collective sur l’organisation du travail en période de forte chaleur», détaille Armand Blondeau. Mohamed Trabelsi, de l’OPPBTP, insiste sur l’anticipation : «Beaucoup d’entreprises se réveillent un peu tard, en mai ou juin, pour commander des fontaines à eau et des équipements rafraîchissants, d’où un risque de pénurie. Il est primordial que les employeurs se préparent à la période estivale. Et, pour les aider, nous avons mis en ligne une boîte à outils dont ils peuvent se saisir.» Une préparation plus que nécessaire, alors que les épisodes caniculaires seront deux fois plus nombreux d’ici à 2050 et s’étendront de mai à octobre, selon Météo-France.