Le bilan

Fin de la conférence mondiale sur l’océan : «feuille de route ambitieuse» ou «escroquerie environnementale» ?

Accord et à cri. Après une semaine de discussions intenses, le sommet de Nice (Alpes-Maritimes) s’est conclu ce vendredi avec l’adoption d’une série d’«engagements pour l’océan». Si la France a relancé la dynamique internationale pour la protection de la haute mer et des grands fonds, elle s’est empêtrée dans des annonces trompeuses concernant ses aires marines protégées.
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Ce qu’il faut retenir :

🌴 La conférence mondiale (Unoc) sur l’océan à Nice s’est achevée ce vendredi. Elle aura rassemblé 64 chef·fes d’État, près de 180 délégations officielles et une centaine de milliers de visiteur·ses, relançant la coopération internationale en matière d’environnement.

🌊 Le traité sur la haute mer, qui vise à protéger les eaux internationales (60% de l’océan), va bien entrer en vigueur après de nouvelles ratifications apportées pendant le sommet. Une première conférence mondiale (COP) de l’océan est prévue l’an prochain.

🐡 Seulement quatre nouveaux États ont rejoint le moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins (portant le total à 37), à un mois de négociations cruciales sur l’avenir de ces écosystèmes.

🥤 95 pays ont lancé un «appel de Nice pour un traité ambitieux sur le plastique», salué par les associations. Face à l’opposition des pays pétroliers, ils demandent des mesures pour réduire la production de plastique dans un texte qui sera discuté en août prochain à Genève (Suisse).

🎣 Le gouvernement français s’est empêtré dans des annonces trompeuses sur les créations de nouvelles aires marines protégées, qui n’interdiront presque pas le chalutage de fond, d’après l’association Bloom.

🏭 Les «engagements pour l’océan» adoptés à Nice n’abordent que trop peu la question de la lutte contre le changement climatique et les énergies fossiles, regrettent de nombreuses ONG.

L’Histoire se souviendra-t-elle de la troisième conférence mondiale (Unoc) sur l’océan ? 64 chef·fes d’États, près de 180 délégations officielles, plus d’une centaine de milliers de visiteur·ses… Co-organisé par la France et le Costa Rica du 9 au 13 juin, le sommet de Nice (Alpes-Maritimes) est déjà considéré comme le plus grand moment diplomatique jamais organisé sur l’océan.

Mais cet événement sans précédent a aussi nécessité la construction d’un nouveau palais des congrès, critiqué pour son «gâchis de béton» (notre article). Il a entraîné une explosion du budget initialement prévu, et même des actes de répression contre cinq militant·es de Greenpeace, qui ont passé 20 heures en garde à vue pour des dessins à la craie.

Emmanuel Macron lors de la conférence mondiale (Unoc) sur l’océan, à Nice. © Unoc/Flickr

Alors que les océans se réchauffent et s’acidifient toujours plus, que leurs écosystèmes souffrent des pressions humaines (surtout de la surpêche) et que le plastique ne cesse de polluer les mers (nos infographies), les États présents ont adopté ce vendredi une série d’«engagements de Nice pour l’océan». Ce document se veut une «feuille de route ambitieuse» (mais non contraignante) destinée à accélérer sur l’objectif de conservation des océans et des mers d’ici à 2030, porté par les Nations unies.

Un nouvel élan pour la protection de la haute mer et des grands fonds

Dès le début de son discours d’ouverture de la conférence lundi, Emmanuel Macron a salué «une victoire pour nos océans», se félicitant d’avoir remobilisé la communauté internationale sur le sujet. Quelques minutes plus tard, il a annoncé sous les applaudissements de la salle ce qui restera comme le moment le plus marquant du sommet de Nice : la mise en œuvre du traité sur la haute mer.

Après des années de négociations complexes, ce texte visant à protéger les eaux internationales (qui représentent les deux tiers de l’océan et la moitié de la planète) avait été adopté en 2023 par les Nations unies, mais il devait encore être ratifié par 60 États pour entrer en vigueur. Au terme de la conférence de Nice, 56 nations l’ont fait (contre 31 avant l’ouverture du sommet) et 14 autres ont promis de suivre le mouvement dans les semaines qui viennent.

«Nice aura été pour l’océan ce que Rio a été pour les conventions sur la biodiversité, la désertification et le climat : un acte fondateur.»

«Le 23 septembre 2025, il y aura la cérémonie officielle à New York [au siège des Nations unies, NDLR] de ce que nous appelons déjà le traité de Nice», a fièrement annoncé ce vendredi Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial de la France à l’Unoc, lors d’un échange avec la presse. Et une toute première conférence des parties (COP) sur l’océan est prévue «avant la fin 2026».

«Nice aura été pour l’océan ce que Rio [où s’était tenu le sommet de la Terre en 1992, NDLR] a été pour les conventions sur la biodiversité, la désertification et le climat : un acte fondateur», a ajouté le diplomate français. Une avancée saluée par la plupart des associations écologistes. Ce traité «est l’aboutissement de 20 ans de bataille politique», s’est réjoui François Chartier, chargé de campagne océans à Greenpeace France.

Interrogé par Vert, ce dernier regrette toutefois que la conférence de Nice n’ait pas permis de réelles avancées sur la protection des grands fonds. Alors que la communauté internationale était attendue au tournant, seuls quatre nouveaux États ont rejoint le moratoire (ou «pause de précaution») sur l’exploitation minière des fonds marins, portant leur nombre à 37.

Tout se jouera désormais en juillet au siège de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à Kingston (Jamaïque), où auront lieu de nouvelles négociations sur la délivrance de potentiels permis d’extractions : «Avec cette minorité de blocage de 37 à 40 pays, nous nous opposerons à l’adoption d’un code minier, et donc les activités légales d’exploitation ne pourront pas commencer», assure Olivier Poivre d’Arvor.

Lutte contre la pollution plastique, protection des requins… une multitude de nouvelles coalitions

«Dans un contexte géopolitique complexe, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan a donné des signaux clairs et positifs de soutien au multilatéralisme et à la coopération internationale autour des enjeux liés à la protection des mers», souligne Julien Rochette, directeur du programme océan de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Côté scientifique, plusieurs instruments de partage de connaissances ont été officialisés, à l’image du baromètre Starfish, qui proposera chaque année un bilan de la santé de l’océan, ou encore de la Plateforme internationale pour la durabilité de l’océan (Ipos), une sorte de «Giec des océans», chargé d’éclairer les prises de décision politiques. L’Union européenne a également annoncé le lancement d’une «mission Neptune» pour explorer l’océan profond, encore largement méconnu (notre article).

La conférence de Nice a aussi vu la naissance de plusieurs coalitions, à commencer par celle des villes et territoires côtiers, lancée dès le 7 juin pour rassembler des élu·es du monde entier dont les territoires sont menacés par le changement climatique et la hausse du niveau des mers. D’autres alliances d’États ont aussi été nouées pour agir contre la pollution sonore sous-marine (notre article), ou encore pour protéger les requins et raies (dont 37,5% des espèces sont menacées d’extinction).

95 États ont lancé mardi dernier un «appel de Nice pour un traité ambitieux sur le plastique». © Esteban Grépinet/Vert

Surtout, un grand «appel de Nice pour un traité ambitieux sur le plastique» a été signé mardi par 95 États (notre article). À l’initiative de la France, les signataires appellent à prendre des mesures pour réduire la production de cette matière fabriquée à partir d’hydrocarbures, et dont les quantités pourraient tripler d’ici à 2060.

À deux mois de négociations cruciales organisées à Genève (Suisse) pour conclure un traité sur la pollution plastique, «ces engagements sont des signaux forts et positifs», a salué la Surfrider foundation. Il s’agira désormais de convaincre les pays pétroliers (Chine, Arabie Saoudite, Russie…), qui s’opposent à toute limitation de leur production.

Un duel de chiffres sur la réelle efficacité des aires marines protégées françaises

Alors que la communauté internationale s’est engagée il y a trois ans à protéger 30% des mers d’ici à 2030, la conférence de Nice a permis d’atteindre près de 11% d’aires marines protégées (contre 8% avant l’ouverture). Si la France s’est posée en leader de la défense de l’océan sur la scène internationale, elle a bien mois brillé dans ses annonces concernant la protection de son propre territoire maritime.

«Les zones désignées comme “protégées” d’ici fin 2026 interdisent déjà le chalutage de fond !»

Dès le week-end qui précédait l’ouverture du sommet, le ministère de la transition écologique a annoncé la couleur en présentant un plan pour passer à plus de 70% d’aires marines protégées avant fin 2026 (contre 33% actuellement)… sans y interdire les activités de pêche industrielle, comme le recommandent pourtant les scientifiques (notre article). «On est très déçus», souffle François Chartier, pour Greenpeace, qui salue tout de même, comme d’autres associations, la création de la plus grande aire marine protégée au monde en Polynésie française.

La France a également indiqué placer 14% de ses eaux en «protection forte» d’ici à l’an prochain (dont 4% dans les eaux métropolitaines). Elle y interdira plusieurs pratiques nocives pour les sols sous-marins, comme le chalutage de fond (mais pas d’autres pratiques destructrices ne touchant pas aux sols). Une «escroquerie environnementale», selon l’association Bloom, qui a révélé, carte à l’appui, qu’il n’y aurait quasiment pas de nouvelles interdictions : «Les zones désignées commeprotégéesd’ici à fin 2026 interdisent déjà le chalutage de fond !»

La quasi-totalité des zones de «protection forte» annoncées en Atlantique interdisaient déjà le chalutage de fond, estime Bloom, qui appelle le gouvernement à fournir des données plus précises sur la Méditerranée afin de mener la même comparaison.© Raphael Seguin/Bloom

Il s’agirait donc plutôt d’une labellisation de zones où cette pratique destructrice a déjà été proscrite depuis plusieurs années. Une information confirmée par un document révélé jeudi par Le Monde, dans lequel le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins assure aux professionnel·les du secteur que «les interdictions existent déjà» pour le chalutage de fond ou «sont en passe de l’être».

De son côté, le ministère de la transition écologique a dénoncé une «hargne» et un «mensonge permanent», soulignant notamment que le chalutage de fond est déjà interdit dans la moitié des eaux hexagonales. Le feuilleton n’est pas près de se terminer : Bloom a annoncé ce vendredi qu’elle allait attaquer l’État français en justice «pour qu’il répare et fasse cesser les dommages liés au chalutage», demandant également la démission de la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher.

Un grand absent : le climat

Fondatrice de Bloom, Claire Nouvian a dénoncé auprès de Vert une «grande opération de communication», qui «évite de parler des deux éléphants dans la pièce» : «Les pêches industrielles, qui sont la première cause de destruction de l’océan, et les émissions de CO2 [dioxyde de carbone, principal gaz responsable du réchauffement climatique, NDLR].»

Sur ce dernier point, de nombreuses associations ont déploré la quasi-absence des questions climatiques, pourtant indissociables du sort des océans (notre article) : «Il est tout à fait incompréhensible que la question des combustibles fossiles, l’une des plus grandes menaces pour les océans, n’ait pas été abordée lors d’une conférence consacrée à la protection des océans», pointe par exemple Bruna Campos, responsable de campagne au Centre de droit international de l’environnement (Ciel). Le Brésil a proposé la tenue d’un sommet sur l’océan en parallèle de la 30ème conférence mondiale (COP30) sur le climat, qu’il organisera en novembre prochain.

Maisa Rojas, ministre de l’environnement du Chili (qui accueillera la prochaine édition de l’Unoc en 2028), a apporté son soutien au «principe de protection» proposé par plusieurs associations. © Esteban Grépinet/Vert

Et ensuite ? Pour le prochain Unoc, qui se tiendra au Chili en 2028, une grande coalition de plus de cent associations a annoncé vouloir lancer un ambitieux «principe de protection» qui s’appliquerait à l’ensemble de l’océan. «On veut inverser la charge de la preuve, confie André Abreu, directeur des affaires internationales de la Fondation Tara Océan. Pourquoi ce serait aux ONG de prouver qu’il faut protéger l’océan, et pas aux entreprises de devoir demander des aires marines exploitables”