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C’est une première : l’État condamné à indemniser les proches d’un joggeur mort dans une zone polluée aux algues vertes

La justice vient de reconnaître l’État français partiellement responsable de la mort d’un joggeur en 2016 dans les Côtes-d’Armor. Le corps de la victime avait été retrouvé dans un endroit envahi d’algues vertes, qui émettent un gaz potentiellement mortel et qui prolifèrent à cause d’un excédent de nitrates généré par l’agriculture. Cette décision est une «première», selon l’avocat des plaignant·es.
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Ce mardi, la cour administrative d’appel de Nantes (Loire-Atlantique) a condamné l’État à indemniser les proches de Jean-René Auffray, joggeur retrouvé mort en 2016 dans une vasière polluée aux algues vertes à l’embouchure du Gouessant à Hillion (Côtes-d’Armor). La cour «retient la responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole», qui est «la cause principale de la prolifération des algues vertes en Bretagne», indique-t-elle dans un communiqué.

Les plages bretonnes se recouvrent souvent d’algues vertes à cause d’un excédent de nitrates généré par l’agriculture. Dans cette région où l’agroalimentaire fournit plus de 140 000 emplois, le recours des agriculteur·ices aux engrais azotés – qui libèrent des nitrates dans le sol et dans l’eau – a fortement augmenté à partir des années 1960.

Des algues vertes en baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), en 2020. © Denis Brothier/Flickr

Âgé de 50 ans et adepte du trail, Jean-René Auffray s’était vraisemblablement aventuré dans la vasière envahie d’algues vertes pour secourir son chien. En apprenant le lieu du décès – une partie de la baie de Saint-Brieuc fréquemment sujette aux marées vertes –, des associations s’étaient interrogées sur le lien avec les algues vertes qui, en se décomposant, émettent du sulfure d’hydrogène, un gaz potentiellement mortel à forte dose. La famille de la victime avait saisi la justice administrative en juillet 2019 pour demander réparation auprès de la commune d’Hillion, de l’agglomération de Saint-Brieuc et de l’État, réclamant près de 600 000 euros d’indemnisation des préjudices subis.

Une indemnisation partielle

En novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes (Ille-et-Vilaine) avait rejeté en bloc les demandes d’indemnisation de la famille. «M. Auffray est décédé d’une insuffisance respiratoire brutale qui aurait pu être due à une exposition aux algues vertes ou à un arrêt cardiaque», avait alors déclaré le rapporteur public. Ses proches avaient fait appel du jugement «en demandant uniquement la condamnation de l’État à les indemniser», rappelle la cour ce mardi 24 juin.

Aujourd’hui, la cour administrative d’appel de Nantes indique, «en se fondant notamment sur plusieurs pièces qui n’avaient pas été présentées au tribunal administratif de Rennes, que le décès de la victime, qui est survenu instantanément et a été causé par un œdème pulmonaire massif et fulgurant, ne pouvait s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré à des taux de concentration très élevés.»

Mais le préjudice subi par les proches du défunt ne sera que partiellement indemnisé. La cour estime que le quinquagénaire avait pris un risque en allant courir dans cet estuaire : «L’État est responsable à hauteur de 60% seulement des conséquences dommageables du décès.» En conséquence, L’État devra verser à l’épouse du joggeur la somme de 277 343 euros, assortie d’intérêts, aux trois enfants de la victime 15 000 euros chacun et 9 000 euros à son frère.

«On est surpris»

«Pour la première fois, une juridiction française retient le lien entre le décès d’une personne et la faute de l’État dans ces affaires d’algues vertes, a souligné François Lafforgue, l’avocat de la famille. L’État doit plus que jamais agir efficacement.»

«Nous sommes très contents et très émus […] on est aussi surpris», a réagi la femme de la victime, Roswitha Hertel-Auffray. «C’est une victoire collective de ceux qui ont combattu avec nous, a-t-elle poursuivi, citant des associations ou encore les journalistes d’investigation Morgan Large et Inès Léraud. On espère que ça va faire bouger un peu les lignes maintenant.»

Depuis 1971, des tonnes d’algues vertes s’échouent chaque année sur les plages bretonnes. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2021, cette prolifération d’algues vertes est «à plus de 90% d’origine agricole». Alors que la France a multiplié les programmes d’action régionaux depuis 2010 sans parvenir à régler le problème, le tribunal administratif de Rennes a enjoint en mars au préfet de renforcer son action contre les pollutions aux nitrates.

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