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Agriculture, fiscalité, énergie… Cinq propositions de la société civile à Sébastien Lecornu pour répondre à l’urgence écologique

À l’asso du pouvoir. Et si le gouvernement écoutait la société civile ? Énergies, biodiversité ou logement : Vert fait le tour (non exhaustif) des mesures prioritaires des associations et syndicats pour relancer le progrès écologique et social.
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Lors de sa déclaration de politique générale, mardi dernier, le premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé la «suspension» de la réforme des retraites jusqu’à l’élection présidentielle de 2027. «Une vraie victoire», a aussitôt salué la CFDT, qui se bat depuis deux ans avec l’ensemble des syndicats de travailleur·ses contre le relèvement de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans.

De nombreuses revendications sociales et écologistes ont été portées lors de la Marche des résistances, le 28 septembre 2025. © Mary-Lou Mauricio/Vert

Une première petite brèche – la mesure doit encore être votée et ne fait que repousser l’application de la réforme des retraites – annonciatrice d’autres avancées ? Si les espoirs d’une main tendue du gouvernement vers la société civile restent minces, celle-ci ne manque pas d’idées de mesures liées à l’urgence écologique et sociale, alors que les débats budgétaires ont ouvert lundi. Vert a sondé une petite dizaine d’associations, de collectifs et de syndicats, pour connaître leurs propositions phares, à mettre en place au plus vite.

🚜  Agriculture : abroger la loi Duplomb, et après ?

Avec la lutte contre la réforme des retraites, c’est l’autre «mère des batailles», celle qui a mobilisé un nombre impressionnant d’associations environnementales cet été : le combat contre la loi Duplomb. Promulgué le 11 août, ce texte décrié – qui prévoit des simplifications administratives pour les retenues d’eau ou les agrandissements d’élevages intensifs – a soudé la société civile, avec plus de deux millions de signatures pour la pétition réclamant son annulation (notre article). «Pour nous, l’abrogation reste essentielle, juge aujourd’hui Maureen Jorand, coordinatrice du collectif Nourrir, qui rassemble 54 organisations paysannes et citoyennes. Mais elle doit s’accompagner de contre-propositions pour répondre aux réelles préoccupations des agriculteurs.»

«Il faut revenir à une production alimentaire d’utilité publique.»

«Nous demandons au gouvernement un changement complet de la politique agricole, abonde François Veillerette, porte-parole de l’ONG anti-pesticides Générations futures. Il faut revenir à une production alimentaire d’utilité publique.» Si nombre d’associations militent pour la sortie des pesticides de synthèse, le collectif Nourrir propose une première mesure simple qui pourrait convaincre les syndicats agricoles : mettre fin aux exportations de pesticides interdits en France (ce qui est censé être le cas depuis 2022), ainsi qu’aux importations de produits traités à base de ces mêmes substances prohibées dans nos frontières.

«Ce serait assez rapide, il suffit de prendre des décrets et de faire évoluer les circulaires aux préfets pour mettre en place de réelles sanctions», détaille Maureen Jorand. À plus long terme, le collectif appelle à repenser la question des revenus agricoles : «Tant qu’on ne réglera pas la question d’un revenu digne pour tous les paysans, on continuera à se battre pour la transition agroécologique sans que rien ne change», alerte Fanny Métrat, porte-parole de la Confédération paysanne. Cette dernière défend l’instauration de «prix minimums garantis», qui intègrent les coûts de production des paysans, leur protection sociale et une juste rémunération.

🦆 Biodiversité : interdire la chasse aux espèces menacées

Quand Vert lui demande ses mesures fortes à proposer au gouvernement, Allain Bougrain-Dubourg ne se fait plus d’illusions : «Mon expérience me fait penser qu’elles ne seront pas prises en compte.» Alors, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) formule «dix mesures chics et pas chères» : création de réserves naturelles fluviales, fin de la pêche à la civelle (les bébés des anguilles), meilleure prise en compte des consultations citoyennes…

Si on devait en retenir une en particulier : l’interdiction de la chasse de l’ensemble des espèces classées comme menacées dans la liste rouge française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). «Le président de la République s’y était engagé dès son premier mandat, il ne l’a jamais fait», souffle Allain Bougrain-Dubourg, dénonçant notamment l’influence du lobby de la chasse (notre enquête). Sa mesure, qui nécessite un simple arrêté du gouvernement, pourrait concerner une vingtaine d’espèces d’oiseaux – sur les 65 chassables en France hexagonale.

⚡ Énergies : relancer la transition vers les renouvelables

Le changement climatique frappe déjà le pays, et la France s’éloigne toujours plus de son objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Réduire la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), utilisées pour les transports, le chauffage ou encore l’industrie, au profit d’énergies bas carbone, est l’un des principaux leviers d’action.

Si «la transition énergétique se pense au long terme, sur plusieurs années», le Réseau action climat (RAC, qui regroupe 27 associations environnementales) porte une proposition simple et rapide : «Se mettre sur une trajectoire qui respecte les engagements européens de la France d’atteindre 44% d’énergies renouvelables dans sa consommation finale d’énergie d’ici à 2030», expose son porte-parole Bastien Cuq.

Une demande on ne peut plus d’actualité, alors que la parution de la Programmation pluriannuelle de l’énergie – vaste feuille de route pour décarboner le mix énergétique de la France – se fait attendre (notre article). Si le RAC défend une transition vers le 100% renouvelable, il espère déjà convaincre Sébastien Lecornu de revoir ses ambitions à la hausse : «Notre trajectoire actuelle nous emmène plutôt vers 33%, car le gouvernement mise beaucoup sur le nucléaire», regrette Bastien Cuq. Le premier ministre a même été soupçonné de prévoir un moratoire (un accord sur la suspension d’une activité) sur les énergies renouvelables sous la pression de l’extrême droite – ce qu’il a fini par démentir.

🏠 Logement : rétablir les financements pour l’aide à la rénovation thermique

Face au détricotage en cours du financement de la transition écologique, certains demandent simplement de revenir aux bases. Porte-parole du collectif Rénovons, Damien Barbosa a pour priorité «le retour du budget initial de Ma prime rénov à hauteur de quatre milliards d’euros, tel que voté fin 2023». En deux ans, ce dispositif qui aide les particuliers dans leur projet de rénovation thermique a été considérablement raboté, tombant à 1,9 milliard d’euros dans le projet de loi de finances dévoilé mardi.

«Les chiffres sont pourtant clairs, la demande est bel et bien là», déplore Damien Barbosa, qui a écrit à Sébastien Lecornu dès sa première nomination. S’il reste «lucide», il espère toujours une hausse des financements à l’issue des débats budgétaires. Et pourquoi pas de nouvelles avancées : obligation de rénovation performante lors de la vente d’une maison, loi de planification de la rénovation thermique en France… D’autres collectifs – comme l’Alliance écologique et sociale – appellent à un plan de rénovation des écoles de cinq milliards d’euros par an (notre article).

💰 Fiscalité : la taxe Zucman… et une multitude d’autres propositions

L’instauration d’un impôt minimum de 2% sur le patrimoine des plus grosses fortunes du pays (surnommé «taxe Zucman», du nom de l’économiste Gabriel Zucman) est au cœur des débats budgétaires. Soutenue par la gauche et refusée par le gouvernement actuel, cette réforme fiscale pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an à l’État (notre article). Mais ce projet de taxe n’est que l’arbre qui cache la forêt des nombreux autres projets de lutte contre les inégalités sociales portés par la société civile : rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), taxe sur les voyages aériens fréquents ou sur la publicité…

«Ces mesures fiscales sont pensées comme un moyen de financer la transition écologique, mais aussi de faire changer les comportements des plus riches et des grosses entreprises», détaille Layla Abdelké Yakoub, responsable de plaidoyer «justice fiscale et inégalités» chez Oxfam France. Cette dernière prend l’exemple de la taxation des super-héritages (soit 0,1% de la population, qui héritent de plus de 13 millions d’euros), une proposition qu’elle espère voir débattue dans le cadre du projet de loi de finances. Selon les calculs d’Oxfam, cette mesure – qui consiste notamment à mettre fin à des niches fiscales – pourrait rapporter 12 milliards d’euros par an, ainsi que deux milliards supplémentaires avec une «surtaxe verte» sur les patrimoines les plus polluants. Reste à voir si l’idée saura convaincre les parlementaires.

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