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Fin du monde et fin du mois, même combat : cinq alliances réussies entre syndicalistes et écologistes

Pancartes sur table. Sauver à la fois des emplois et la planète, c'est possible. À l'occasion de la grande mobilisation intersyndicale organisée partout en France ce jeudi, Vert vous raconte cinq luttes récentes qui ont soudé travailleur·ses et écologistes.
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Plusieurs centaines de milliers de personnes s’apprêtent à défiler dans toute la France ce 18 septembre. Porté par l’ensemble des syndicats (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires, FSU) dans la continuité du mouvement «Bloquons tout» (notre article), ce vent de colère est né de l’opposition au budget du gouvernement Bayrou.

«Si ce n’est pas le déclencheur de ce mouvement, la question écologique est loin d’être absente car on sait que les économies budgétaires ont des conséquences sur le ralentissement de la baisse des émissions de gaz à effet de serre», explique à Vert Julie Le Mazier, secrétaire nationale de Solidaires. Pour elle, «des liens durables se sont tissés» entre syndicats et associations écologistes, qui seront présentes dans les cortèges ce jeudi.

Cheminot·es et militant·es écolos réunis lors d’une action coup de poing à la gare de Lyon en février 2024, pour défendre le fret ferroviaire. © Rachel Dano

Nous sommes loin des «discours de chantage à l’emploi» qui opposaient ces deux mondes au sortir des «Trente Glorieuses». Paul Guillibert, chercheur en philosophie de l’environnement au CNRS, identifie des «moments récents de renversement», au tournant des années 2020. Ces convergences des luttes se sont matérialisées par la création du collectif «Plus jamais ça» après la pandémie de Covid-19, qui rassemble plusieurs syndicats (Solidaires, FSU, CGT – qui a quitté le mouvement en 2023) et associations (Greenpeace France, les Amis de la Terre, Oxfam, Attac…). Dans le sillage de cette union, devenue l’Alliance écologique et sociale en 2022, plusieurs luttes locales ont rassemblé syndicalistes et écologistes ces dernières années.

🛢️ La plus marquante : les premiers rapprochements entre CGT et écolos contre le «greenwashing» des reconversions de raffineries

De mémoire de militant climat, l’une des premières alliances concrètes entre ouvrier·es et écologistes remonte à 2016, dans la raffinerie pétrolière de La Mède (Bouches-du-Rhône), raconte Gabriel Mazzolini, des Amis de la Terre : «La CGT de La Mède nous avait contacté pour dénoncer la reconversion en raffinerie d’huile de palme, c’était inédit !» Son association et Greenpeace se joignent alors aux syndicalistes pour dénoncer à la fois les suppressions d’emplois (180 postes sur 430) et la déforestation massive induite par la transformation de 300 000 tonnes d’huile de palme par an.

Malgré trois ans de plaidoyer pour une autre transition industrielle, l’usine possédée par TotalÉnergies est bien transformée en bioraffinerie. L’affaire «a créé un précédent avec les raffineurs», estime Gabriel Mazzolini. Selon lui, le combat de La Mède a inspiré d’autres luttes dans les raffineries françaises : «C’est toujours le même cycle, des entreprises polluantes responsables du changement climatique ferment pour produire ailleurs, tout en proposant des reconversions qui, la plupart du temps, ne préservent ni les emplois ni les besoins réels du territoire.»

«Une défaite sur le plan social, mais un vrai succès idéologique.»

Le rapprochement entre écologistes et syndicalistes prend une autre ampleur en 2020, à la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne), concernée par un projet de reconversion en biocarburants. Uni·es au sein de la toute récente Alliance écologique et sociale (qui s’appelait encore «Plus jamais ça»), syndicats et écologistes s’allient de nouveau «contre le greenwashing et la casse sociale» (notre article).

Les ouvrier·es mènent une grève historique d’un mois et demi, avec le soutien de militant·es climat qui alimentent les caisses de grève. Là encore, le combat échoue – la raffinerie est aujourd’hui en cours de reconversion –, mais il reste gravé dans les mémoires : «C’est un mouvement emblématique très fort, car ce sont des ouvriers du pétrole qui montrent que le chantage à l’emploi contre la transition écologique est faux», souligne Paul Guillibert. «Une défaite sur le plan social, mais un vrai succès idéologique», abonde Gabriel Mazzolini.

✊ La plus victorieuse : le sauvetage de la papeterie de La Chapelle-Darblay

Si chaque lutte est une route pavée d’enseignements, certaines conduisent parfois jusqu’à la victoire. C’est le cas près de Rouen (Seine-Maritime), à la papeterie de La Chapelle-Darblay. L’usine est spécialisée dans la production de papier journal et d’emballages recyclés : «Le symbole d’une entreprise entièrement vertueuse du point de vue des émissions de gaz à effet de serre comme des emplois, mais possédée par un grand groupe qui a décidé de délocaliser», décrit Julie Le Mazier, qui représente Solidaires au sein de l’Alliance écologique et sociale. Alors, l’usine ferme, en juin 2020.

Syndicats et associations membres du collectif s’activent ensuite pour construire un projet de reprise de la papeterie. «Des militants écologistes sont venus sur le site et ont participé au grand rassemblement devant le ministère de l’économie», se souvient Julie Le Mazier. À coups de manifestations, de pétitions et de négociations, les ouvrier·es obtiennent des engagements de la métropole de Rouen, qui rachète le site en 2022.

En juin dernier, l’engagement de 27 millions d’euros de l’État pour relancer l’usine marque la fin du combat. Reprise par le groupe Fibre Excellence, la papeterie devrait redémarrer en 2028 – avec à la clé la recréation de près de 200 emplois, revendique la CGT. «C’est la première victoire, même si elle n’a pas eu un succès fou en termes de médiatisation», salue Gabriel Mazzolini.

🥐 La plus incarnée : le combat du syndicaliste Christian Porta contre un géant de l’agro-industrie

Au-delà des secteurs stratégiques de la transition écologique, les alliances entre syndicats et écologistes s’élargissent à d’autres entreprises plus inattendues. Qui s’attendrait, par exemple, à voir des collectifs écologistes rejoindre une lutte syndicale interne au sein d’une usine de boulangerie ?

C’est pourtant le cas lorsqu’en avril 2024 Christian Porta, délégué syndical du géant agro-industriel InVivo au sein de son site de production de viennoiseries basé à Folschviller (Moselle), est licencié par sa direction qui prétexte un «harcèlement moral». S’ensuit alors une longue grève des ouvrier·es de l’usine pour défendre leur camarade – à laquelle se joignent plusieurs militant·es écologistes d’Extinction rebellion ou de Greenpeace. Par le passé, cette dernière association avait déjà ciblé InVivo pour son commerce de pesticides de synthèse.

«Christian pointait du doigt la dégradation de la qualité du travail, mais aussi celle du produit, explique Gabriel Mazzolini. Cette jonction argumentaire est terrible pour les patrons, car elle a un impact sur les salariés et sur les clients potentiels.» Après un rude combat judiciaire, Christian Porta est finalement réintégré dans l’entreprise, qui doit lui verser plusieurs centaines de milliers d’euros (elle a fait appel).

🎶 La plus fun : cheminots et écolo-danseurs unissent leurs voix pour la défense du fret ferroviaire public

L’an dernier, la convergence entre écologistes et syndicalistes est entrée dans une nouvelle dimension avec la défense du fret ferroviaire public. Sous la pression de la Commission européenne, le gouvernement français projette de démanteler Fret SNCF – qui gère le transport de marchandises par train – pour ouvrir le secteur à la concurrence privée. Menacés de perdre leurs acquis sociaux, les cheminot·es reçoivent le soutien de l’Alliance écologique et sociale.

Dans son rapport «Remettre le fret sur la bonne voie», le collectif alerte aussi sur le report du transport de marchandises du train vers les poids lourds, bien plus polluants. «C’est de la cohérence, si on est contre les projets routiers comme l’A69, on doit être pour le fret ferroviaire public», martèle Gabriel Mazzolini. Le groupe de musique techno-écolo Planète Boum Boum rejoint la lutte avec un clip : «On veut du fret ferroviaire», repris en chœur par plusieurs centaines de cheminot·es et militant·es écolos lors d’une action coup de poing en février 2024 dans la gare de Lyon à Paris.

© Planète Boum Boum

«La problématique du fret est désormais connue du grand public, alors qu’elle aurait pu se cantonner aux cheminots», salue Julie Le Mazier. Malgré le combat, le gouvernement maintien le démantèlement du service public de fret ferroviaire, et Fret SNCF disparaît le 1er janvier 2025. «La mobilisation a permis un moratoire social : les cheminots qui vont rejoindre les entreprises privées conserveront pendant trois ans les mêmes droits qu’ils avaient dans le public, tempère Julie Le Mazier. C’est plus une victoire sociale qu’environnementale, mais elle nous montre qu’on a plus de chances de gagner unis.»

🚚 La plus récente : les Soulèvements de la Terre rejoignent les ouvriers de Geodis sur leurs piquets de grève

En dehors du cadre de l’Alliance écologique et sociale, d’autres mouvements écologistes font le choix d’assumer une convergence avec les milieux syndicaux. Depuis 2024, une alliance inattendue se noue entre le collectif des Soulèvements de la Terre et les ouvrier·es de l’entrepôt logistique Geodis dans le port de Genevilliers (Hauts-de-Seine). Ces dernier·es rejoignent la lutte contre le projet d’entrepôt géant Green Dock, qui menace une réserve ornithologique le long de la Seine.

L’alliance joue dans les deux sens : en février 2025, les Soulèvements de la Terre appellent leurs soutiens à «rejoindre le piquet de grève des ouvrier·es de Geodis», qui demandent de meilleurs salaires face aux profits réalisés par leur entreprise au moment de la pandémie. Grève reconductible, blocage des flux de camions… «C’est un mouvement marqué par l’auto-organisation et le syndicalisme de base, analyse Paul Guillibert. Pour eux, ce qui compte est de s’organiser ici et maintenant, sans attendre les mots d’ordre qui viennent d’en haut.»

Après trois semaines de grève, Geodis finit par plier face à ce «Soulèvement des salaires» et concède 150 euros d’augmentation par mois pour tous les ouvrier·es. «Ce qui est intéressant, c’est que cette alliance s’est poursuivie le 10 septembre [pour le mouvement «Bloquons tout»], avec de nouvelles mobilisations», souligne Paul Guillibert. Et l’histoire d’amour entre les ouvrier·es et écologistes est loin d’être terminée : depuis ce mercredi soir, la plateforme logistique est de nouveau bloquée pour lancer la journée de grève nationale du 18 septembre.

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