«Jamais vu ça en plein mois d’août !» Maraîcher en Haute-Vienne et porte-parole du syndicat agricole proche de la gauche Confédération paysanne, Thomas Gibert est un habitué des luttes. Pourtant, ce qu’il a vu pousser cet été l’a interloqué. Dans la pesanteur estivale, des boucles Telegram ont fleuri, leurs communautés se sont démultipliées et les membres, par milliers, ont commencé à préparer des assemblées générales (AG). «On a parlé politique tout l’été !», s’étonne-t-il encore.

«À Rennes [Ille-et-Vilaine, NDLR], nous en sommes à la cinquième AG, qui a réuni 250 personnes. Malgré l’été, l’affluence a doublé à chaque fois», confirme Mélanie (prénom d’emprunt), investie de longue date au sein du mouvement écologiste les Soulèvements de la Terre. D’après le média Rapports de force, «plus d’une soixantaine de villes ont déjà vu éclore des AG» rassemblant de quelques dizaines à plusieurs centaines de participant·es.
Des soutiens très – trop ? – larges
Le mot d’ordre «Bloquons tout le 10 septembre» a été lancé au printemps sur un canal Telegram douteux. Il rassemblait des publications consacrées au «ras-le-bol français», à la défense des «racines chrétiennes» du pays ou appelant au «Frexit», selon les révélations du Monde. Le mouvement a ensuite pris de l’ampleur avec les dernières annonces du gouvernement : présentation d’un budget 2026 ultra-austéritaire le 15 juillet et promulgation, le 11 août, de la très contestée loi Duplomb.
Résultat, l’étendard «Bloquons tout» est brandi par de plus en plus d’organisations : des réseaux de Gilets jaunes qui se réactivent aux associations environnementales, sociales et agricoles (Soulèvements de la Terre, Attac, Confédération paysanne…) qui ont promis de «contribuer» au mouvement.
Même les syndicats (CGT, Solidaires) et partis de gauche ont signifié leur soutien, parfois au grand dam des apprenti·es bloqueur·ses. «Qu’ils viennent à nous, mais pas l’inverse. Moi, je n’irai plus derrière leurs banderoles. Ça suffit de nous récupérer pour nous trahir», s’emporte Christiane, Gilet jaune dans le Béarn. «Quand on voit que le Parti socialiste nous soutient, on se dit “merde !”, s’inquiète Mélanie. Et puis on a peur que les syndicats nous tirent vers le bas avec leurs manifs bien déclarées, à tourner en rond dans les centres-villes.»
Pour l’heure, le mouvement peut se réjouir de son capital sympathie. Selon un sondage commandé par RTL, près de deux sondé·es sur trois soutiennent «Bloquons tout». «Ce n’est pas comme au début des Gilets jaunes !», remarque Thomas Gibert. «Aujourd’hui, on inspire confiance. Des gens qui n’étaient pas mûrs en 2018 sont prêts, cette fois», veut croire Christiane, qui se félicite de voir des jeunes dans les AG. «Ils parlent de bloquer leur lycée. Pour que la jeunesse s’en mêle, c’est qu’il y a quelque chose, signale-t-elle. Et puis on compte sur les deux millions de signataires de la pétition contre la loi Duplomb !».
Quelles actions ?
Dans les faits, personne ne sait prédire de quoi sera faite la journée du 10 septembre. Cette date «va surtout permettre de se compter et, en fonction de l’affluence, on décidera des actions», pressent Mélanie, à Rennes. «Rendez-vous est donné sur la place centrale d’Auch [dans le Gers] à 7 heures du matin. On a des idées de blocages, mais on verra en fonction de notre force», confirme Christiane.
Aux appels à «l’auto-confinement», aux opérations ville morte et autres grèves de la consommation se sont ajoutés des projets de blocage plus offensifs. Parmi les cibles régulièrement énoncées figurent les «symboles de consommation», «les accapareurs» de richesses et/ou de terres. Christiane confie : «Les grandes surfaces sont dans le viseur.»
Sur leur plateforme, les Soulèvements de la Terre suggèrent que «les sites de production et de vente emblématiques de l’agro-industrie et du libre-échange, les grandes infrastructures qui tuent les paysan·nes comme les sols et intoxiquent la population peuvent être bloqués efficacement». Les «grands groupes capitalistes, comme celui de Bolloré», sont également mentionnés.
Dans ce contexte, la probable démission du premier ministre de son gouvernement le 8 septembre apparaît comme un fortifiant au mouvement, plutôt que comme un anesthésiant. De fait, François Bayrou a convoqué un vote de confiance et toute la gauche ainsi que le Rassemblement national ont juré de ne pas la lui accorder. «Casserolades», «teuf» et autre «pot de départ de Bayrou» sont déjà programmés au pied de nombreuses mairies de France dès le lundi 8 septembre. Un post Telegram résume : «Une soirée pour créer du lien, s’amuser et s’unir avant le 10 septembre.»
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