«Chers participants, soyez avertis qu’une manifestation pacifique bloque l’entrée principale de la Zone Bleue. Il n’y a pas de danger». Des messages comme celui-ci, les 40 000 inscrit·es à la 30ème conférence mondiale sur le climat (COP30) en ont déjà reçu plusieurs depuis l’ouverture du sommet le 10 novembre dernier à Belém (Brésil). À l’origine de ces alertes, quelque 3 000 représentant·es des peuples autochtones brésiliens bien décidé·es à faire du sommet une caisse de résonance pour leurs luttes.

Après avoir forcé l’entrée du site dès le deuxième soir et bloqué les accès trois jours plus tard, ils et elles se heurtent désormais à un dispositif sécuritaire de plus en plus imposant. Mais hors de question de relâcher la pression et tant pis si certain·es négociateur·ices s’agrippent fébrilement à leur attaché-case en les apercevant.
«Moi je ne veux pas qu’ils aient peur, mais je veux qu’ils nous écoutent», explique à Vert Alessandra Korap, cheffe des Femmes Guerrières du peuple autochtone Munduruku, rapidement devenue la chouchoute des médias sur place. De fait, la jeune femme qui manie aussi bien la lutte que le verbe est parvenue à médiatiser sa cause comme personne à la COP30.
La rébellion en elle
Repérée dès petite par les chefs de sa communauté, la quarantenaire a toujours eu la rébellion bien ancrée. Elle intimide malgré son mètre cinquante et tout dans son attitude traduit une détermination inébranlable. «Cette rébellion, les chefs l’ont entendue. Ils ont ont vu ma posture, ma manière de parler. Ils ont compris qu’il était important que je devienne une cheffe», explique-t-elle à Vert.
Dix ans après avoir dirigé les Femmes Guerrières de son peuple, elle est devenue célèbre au Brésil grâce à son franc parler et son utilisation des réseaux sociaux «comme une arme». Elle a reçu en 2020 le Prix Robert F. Kennedy des droits de l’homme, puis le prix Goldman pour l’environnement en 2023. Au moins de novembre, elle a même accepté de poser pour le magazine Vogue au Brésil.
À la COP, Alessandra Korap a réussi une fois de plus à capter l’attention des médias quand elle et son peuple ont perturbé l’accès au site pendant plus d’une matinée. «Le peuple Munduruku a fermé l’ONU, verrouillé l’accès. Alors toute la presse est arrivée sur nous, voulant savoir ce qui se passait. Voilà ce qu’il se passe : nos territoires sont envahis et on essaie de nous effacer», explique-t-elle.
«Et vous, peuple de France ?»
Alors que les autochtones gèrent et protègent environ 25% des terres de la planète, généralement des puits de carbone extrêmement riches en biodiversité, comme le souligne l’ONU elle-même, «nous n’avons toujours pas de voix, pas de pouvoir de décision avec les chefs d’État», s’indigne Alessandra Korap. «Les pays à la COP pensent qu’ils sauvent la planète, mais c’est l’inverse. Atterrée par la profusion de «fausses solutions» promues par les dirigeants politiques et la présence décomplexée des lobbies de l’agro-industrie et des énergies fossiles, elle conclut : «Ce n’est qu’un emballage “bio”, “économie”, “durable”, juste pour tromper la société».
Aux journalistes qui lui tendent le micro, elle préfère demander : «Vous, de l’autre côté, peuple de France, avez-vous prêté attention à ce que les entreprises font aux peuples autochtones ? À ce qu’elles font à l’environnement ? Ici des autochtones perdent leurs terres, leurs fleuves, leurs vies.»
Au Brésil tout particulièrement, les territoires autochtones sont en proie aux appétits dévorants des industrie minière, pétrolière et agro-industrielle. Première conséquence : la déforestation, qui est telle que le pays enregistre à lui seul 70 % des pertes de forêts mondiales. La destruction de la végétation est la première source d’émissions de gaz à effet de serre au Brésil (39,5% en 2022).

Grâce au blocage du sommet, Alessandra Korap a obtenu d’être reçue par le président de la COP, André Corrêa do Lago, et plusieurs ministres du Brésil. Le gouvernement fédéral a ensuite annoncé qu’il accélérait le processus de démarcation des terres appartenant au peuple Munduruku, dans le but de les sanctuariser. D’après l’association des peuples autochtones du Brésill (Apib), 107 autres terres autochtones n’attendent plus que la signature de Lula pour être démarquées.
Lutter au risque de sa vie
Malgré cette victoire, Alessandra Korap attend de pied ferme le retour du président Lula à la COP mercredi pour dénoncer d’autres «projets de mort en Amazonie», tels que la privatisation de trois fleuves amazoniens et leur élargissement futur pour faciliter le transport fluvial de marchandises. Elle compte aussi alerter sur la ligne de chemin de fer Ferrogrão, censée transporter sur 933 kilomètres le maïs et le soja issus de la déforestation amazonienne en direction des ports brésiliens tournés vers l’export international.
Des causes qu’Alessandra Korap défend au risque de sa vie. Selon l’ONG Global Witness, le Brésil est l’un des pays le plus meurtrier pour les défenseurs de l’environnement (notre article). «Ma vie a toujours été menacée, mais je n’ai pas peur. Je me dis : peur de quoi ? De mourir ici, de prendre une balle ? Ou peur de voir mon territoire détruit et mon peuple souffrir ?». Et de conclure : «Tant que nous aurons de la force, nous lutterons».
À lire aussi
-
«Il n’y aura pas de solution sans notre présence» : à Belém, un village autochtone éphémère pour peser sur la COP30
Peuple y est. Plus de 3 000 représentant·es des peuples autochtones brésiliens se rendent à Belém, où se déroule le 30ème sommet mondial sur le climat. Sur place, l’espace «Aldeia COP» a été pensé pour défendre leurs territoires, partager leurs savoirs ancestraux et influer sur les négociations climatiques. Vert s’y est rendu. -
Atxu Marima, membre d’une communauté autochtone au Brésil et coupé des siens : «Je travaille à protéger la terre de mon peuple»
Amazone à défendre. Au Brésil, plus d’une centaine de peuples autochtones vivent sans contact avec la société majoritaire, par choix. Atxu Marima, membre des Hi-Merimã, a été séparé des siens. Aujourd’hui, il travaille à la protection des terres de son peuple et tente de renouer avec sa culture. Vert l’a rencontré.