«Quand mon peuple refuse de voir d’autres personnes, cela ne veut pas dire qu’il ne connait pas le reste de la société, mais qu’il rejette le contact avec elle, volontairement.» Atxu Marima est membre de la communauté autochtone Hi-Merimã, qui vit isolée dans l’ouest de la forêt amazonienne, au Brésil. Il a été séparé de son peuple à l’âge de 7 ans : un contact forcé avec des non-autochtones a contaminé puis tué sa famille. Depuis, il ne peut plus revenir, ni établir de contact avec sa communauté, au risque de les rendre malades.
En septembre dernier, il s’est rendu à Paris pour raconter son engagement : protéger les terres de son peuple. Alors que les enjeux liés aux autochtones seront au cœur des débats de la conférence mondiale (COP30) sur le climat qui s’est ouverte lundi à Belém (Brésil), Vert vous livre un témoignage rare.
Au centre d’art contemporain Frans Krajcberg (Paris 15ème), Atxu Marima prend la parole en public pour la première fois de sa vie, devant une foule attentive. Il décrit le quotidien des Hi-Merimã qui mènent aujourd’hui une vie nomade, à l’ouest de l’État Amazonas. Son peuple compte environ 150 membres, un chiffre important au regard des persécutions qu’il a subies dans les années 1960, perpétrées par les exploitants de caoutchouc.

Les terres Hi-Merimã font partie des zones autochtones reconnues légalement par le gouvernement brésilien et dont les frontières sont protégées par la Funai, la Fondation nationale des peuples autochtones. Afin de les garder de toute intrusion, Atxu Marima mène des rondes quotidiennes sur les rives des fleuves Juruá et Purusil.
Pour la Funai, il veille à ce que les bûcherons, pêcheurs ou chasseurs illégaux ne pénètrent pas sur le territoire. «C’est important de les empêcher de venir, pour éviter le contact et parce qu’ils pillent les ressources dont vivent les Hi-Merimã, comme le gibier ou la Tracaja, une tortue d’eau très appréciée», détaille-t-il. Il entretient également les locaux de la Funai pour pouvoir y accueillir les membres de son peuple.
Atxu Marima reste patient face aux questions des Parisien·nes venu·es l’écouter. Grâce à la traduction de son amie, l’anthropologue brésilienne Karen Shiratori, et de Martin Léna, membre de l’ONG Survival international, il explique : «C’est très important de respecter leur consentement pour les contacter. S’ils veulent nous rencontrer, nous devons être prêts. Même pour moi, ce n’est pas bon d’entrer en contact avec eux, c’est mieux ainsi», souffle-t-il. Parce qu’il est désormais en contact avec la société majoritaire, il risquerait de leur transmettre des maladies (la grippe, la varicelle, la malaria ou les hépatites) contre lesquelles elles et ils ne sont pas immunisé·es. 80% des populations autochtones isolées meurent après un premier contact extérieur, selon le dernier rapport de Survival International.
Des menaces constantes sur le gardien des terres
Au Brésil, le quotidien des peuples autochtones revêt des réalités très diverses, aussi bien rurales qu’urbaines. Parmi elles et eux, un peu plus de 100 peuples ont choisi l’isolement total. 196 peuples sont dans cette situation dans le monde, selon l’ONG. Alors que le gouvernement brésilien encourageait auparavant les rencontres avec ces communautés, il interdit toutes celles qui ne sont pas de leur initiative depuis 1987.
En tant que garde, Atxu Marima tente au quotidien de faire respecter cette interdiction. Cela se révèle très dangereux. «Les menaces de mort des pêcheurs et chasseurs illégaux sont constantes, mais je continue de travailler pour protéger la terre de mon peuple», raconte-t-il. Les contrôles qu’il opère sur les contrevenants cristallisent les tensions. Interpeler les fautifs lui vaut des promesses de représailles et d’attaques de sa base. Des avertissements qui ne sonnent pas comme des paroles en l’air. Il y a quelques années, Atxu Marima travaillait pour la Funai sur des terres au nord de la forêt amazonienne. À cette époque, un anthropologue avec qui il collaborait – le chercheur brésilien Bruno Pereira – et un journaliste – le Britannique Dom Philip – ont été tués par un pêcheur.
La forêt se porte mieux depuis la reconnaissance des terres Hi-Merimã
Malgré les risques, la préservation de cet environnement et de ses habitant·es porte ses fruits. Depuis la reconnaissance légale du territoire Hi-Merimã en 2005, des études ont montré que la forêt s’est reconstituée et que la population s’est accrue. Ces dernières années, des membres de la Funai, Atxu Marima et Karen Shiratori ont parcouru les abords de ces terres en évitant les zones habitées pour observer la régénération de la forêt. Elles et ils ont analysé les pratiques arboricoles des Hi-Merimã, qui entretiennent les arbres pour que leurs fruits demeurent abondants.
De nombreux feuillus poussent à nouveau : ignames sauvages, palmiers ou sorva. Ils donnent des fruits en grande quantité, semblables à des goyaves, dont se nourrissent le peuple autochtone et les animaux qu’il chasse.
La reconnaissance de la délimitation des territoires autochtones est un droit inscrit dans la Constitution brésilienne. Pourtant, contrairement aux terres Hi-Merimã, de nombreuses autres n’ont pas encore été légalement démarquées, occasionnant des conflits et des batailles juridiques avec des riverain·es non-autochtones qui clament leurs droits sur ces terres.
La zone Hi-Merimã est préservée des grosses exploitations agricoles intensives ou extractives, mais elle reste vulnérable aux sècheresses accrues par le réchauffement climatique. Le peuple se remet des persécutions passées et prospère, mais la menace de contacts extérieurs et d’une contamination virale pèse encore sur son quotidien. Un scénario qu’Atxu Marima connait bien.
«Je suis le seul survivant de ce contact»
Le lendemain de la rencontre publique, dans les petits locaux de l’ONG Survival International, il revient, ému, sur la séparation forcée avec son peuple. Quand il avait 7 ans, son père s’est fait attaquer par un jaguar et a été gravement blessé à la tête. Seule avec ses enfants, la mère d’Atxu Marima a décidé d’entrer en contact avec des riverain·es non autochtones et presque toute sa famille a été contaminée par la grippe. Faute de défenses immunitaires, elles et ils en sont mort·es.
«Au moment où j’ai perdu ma famille, j’ai perdu contact avec mon peuple. Ce sont des souvenirs très marquants», confie-t-il. Dans le petit salon, le chauffage a été poussé à fond pour oublier le froid de l’automne précoce, qui contraste avec le climat sud-amazonien. Au fil de son récit, sa voix se fait plus basse. Il a été élevé par une famille d’un village non autochtone pendant le reste de son enfance. On lui a interdit de parler sa langue «moche», selon les termes de ses frères adoptifs. Il lui était aussi interdit de chanter les airs que lui avaient appris ses parents. «Ma famile adoptive m’a dit : “Tu ne peux plus être indien, maintenant tu es civilisé.” J’avais peur d’eux», murmure Atxu Marima. Il a alors appris le portugais et on l’a forcé à travailler dans des plantations de bois de rose jusqu’à ses 15 ans.
Plus tard, il s’est installé à Manaus, une ville du nord de l’Amazonie. Au bout de 30 ans, il a découvert que l’un de ses frères avait survécu au contact avec l’extérieur. Finalement, il a tout juste eu le temps de le voir avant qu’il ne décède d’une maladie. «Maintenant, je suis le seul survivant de ce contact, c’est pour ça que je veux parler de l’importance de respecter à tout prix la volonté d’isolement de mon peuple et des autres peuples non contactés», affirme Atxu Marima.
Malgré son passé douloureux, il prend plaisir à replonger dans ses souvenirs d’enfance. Il décrit les jeux, les courses dans la forêt, les noms des fruits et les bêtises qu’il faisait, gamin, au risque d’être puni. «C’est toujours une leçon d’être à ses côtés et de voir qu’il est possible de garder la joie», témoigne Karen Shiratori.
Depuis quelques années, Atxu Marima tente de retrouver «sa langue-culture» à l’aide de ses souvenirs. Il regrette d’avoir oublié les noms de nombreux arbres de la forêt dans sa langue maternelle. Il se souvient de tous ceux des animaux grâce aux chants de son enfance qui lui restent en mémoire. À Paris, il est venu avec une épine du palmier tucuma afin de partager un élément central de sa culture. Cet arbre prodiguait des fruits en quantité et il prélevait ses tiges noires et longues, les emboitait les unes dans les autres pour fabriquer une flèche et pêcher de petits poissons.
Aujourd’hui, il reproduit encore ce geste et, à distance de son peuple, continue de tisser le lien avec son identité.
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