Le crachin normand n’a pas joué les trouble-fêtes, ce mercredi 10 septembre, à Vire Normandie (Calvados). Peu avant sept heures, une cinquantaine de manifestant·es bloquaient déjà l’une des principales routes de cette ville rurale de 17 000 habitant·es.
Dans une ambiance bon enfant, les «Macron, démission» résonnent sur le rond-point de la Papillonnière. Tout le monde ici a répondu à l’appel du mouvement social Bloquons tout, une mobilisation citoyenne nationale née notamment de l’opposition d’une partie de la population à la politique du désormais ex-premier ministre François Bayrou.

Celle-ci a pris de l’ampleur avec les annonces estivales du gouvernement : présentation d’un budget 2026 ultra-austéritaire le 15 juillet et promulgation, le 11 août, de la très contestée loi Duplomb.
Ce mercredi, des rassemblements ont lieu dans l’ensemble du pays. Mais la mobilisation viroise est politiquement symbolique : la ville fait partie de la 6ème circonscription du Calvados, là où la macroniste Elisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale démissionnaire, a été élue députée en 2022 puis 2024. «On n’a pas eu d’autre choix que de l’élire, il fallait choisir entre la peste et le choléra», tonne Maude, en référence au camp présidentiel et au Rassemblement national qui se sont affrontés localement au second tour des législatives 2024. Au loin, plusieurs tracteurs barrent la route.
Ici, la colère tonne face à un président la République accusé de «laisser les gens crever de faim. On n’en peut plus, on étouffe, abonde Régis, gilet jaune sur le dos. Notre colère est générale. C’est au peuple de donner la frousse aux puissants.»
Pour faire face à la gronde nationale, 80 000 policier·es et gendarmes sont déployé·es sur tout le territoire. Le ministre de l’intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau (Les Républicains), indiquait lundi qu’«aucune violence» ne serait tolérée.
À Vire, quelques tensions éclatent entre forces de l’ordre et manifestant·es. «Nous sommes prêts à employer la force. S’il faut les péter [les manifestant·es, NDLR], on le fera», lâche le commandant de gendarmerie Guillot. Pas de quoi démotiver un mouvement local déjà très structuré.
De Bloquons tout jusqu’aux Gilets jaunes
Dans la sous-préfecture du Calvados, la frustration n’a pas attendu ce mouvement du 10 septembre pour s’exprimer. Elle se fait entendre depuis plusieurs jours déjà : la permanence d’Elisabeth Borne et du député (Horizons) Freddy Sertin (qui l’a suppléée à l’Assemblée nationale lors de sa nomination ministérielle) a été taguée la semaine passée, comme l’a révélé Ouest-France.
Lundi déjà, «80 personnes étaient présentes au pot de départ de François Bayrou», organisé après le rejet du vote de confiance au gouvernement, affirme Cédric, un manifestant. Surtout, un groupe a été créé sur la messagerie cryptée Telegram, avec des canaux de discussion portant tant sur la logistique et les actions futures que sur les doléances du collectif.
«C’est bien plus solide que les revendications du mouvement des Gilets jaunes. Désormais, les gens ne sont plus uniquement inquiets pour leur pouvoir d’achat. On nous empoisonne avec la loi Duplomb, on ne prend pas en compte les enjeux écologiques, on abandonne les agriculteurs et les droits des gens s’étiolent. Tout est à gerber», peste Régis, qui dénonce un mépris des politiques tant au niveau national que local.
«Il n’y a plus rien à attendre d’eux, les citoyens ne sont pas écoutés. Aujourd’hui, les villes, même les plus petites, sont gérées comme des entreprises», poursuit-il. Quand les citoyens proposent des projets écolos, on ne les écoute même pas. Mais quel est le vrai rôle d’un maire ? Construire des lotissements ou faire vivre sa ville ?»
Dans les rangs de manifestant·es virois·es, une réclamation revient en boucle : «Redonner le pouvoir au peuple.» Et, pour ce faire, des réseaux locaux d’entraide se forment.
«Les villages doivent se soulever»
Sur Telegram, des liens ont notamment été noués entre les collectifs «Indignons nous/Bloquons tout» de Caen (Calvados), Vire, Saint-Lô (Manche) et Flers (Orne). L’objectif est de «s’inspirer des actions des autres», affirme Régis.
«L’essentiel est de réussir à se poser, à parler tous ensemble et à construire notre mouvement depuis les campagnes, pas depuis Paris, souligne Louise, habitante d’une commune limitrophe. Les villages et les zones rurales doivent se soulever.»
Pour quoi faire ? À Vire, cela reste flou. «Je n’attends plus rien d’Élisabeth Borne et des politiques. J’ai déjà participé à plusieurs manifestations devant sa permanence, elle n’est jamais venue nous voir», peste Cédric.
Mais, en coulisses, certain·es préparent déjà la suite. «Ce n’est que le début, on va poursuivre notre combat en bloquant le pays», affirme Maude. Au-delà des actions de blocage, des engagements politiques sont envisagés. Sur Telegram, des appels à la constitution de listes citoyennes, autour des thématiques écologiques notamment, sont lancés en vue des élections municipales de 2026.
«Si on arrive à prendre quelques villes en zone rurale, cela montrera qu’une autre forme de politique est possible», estime Régis. Et d’ouvrir la porte à un nouvel imaginaire, sept ans après la tentative du mouvement des Gilets jaunes.
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