Qu’importe la pleine semaine et les innombrables camions de CRS, la foule est compacte ce mercredi après-midi, en plein centre de Paris. Dans le cadre du mouvement «Bloquons tout», plusieurs milliers de personnes sont regroupé·es depuis 13 heures sur la place du Châtelet à l’appel de trois syndicats – la CGT de Paris, Solidaires et FSU.
Pendant les discours des responsables syndicaux, la foule hue le nom de Sébastien Lecornu – le tout nouveau premier ministre nommé la veille au soir par Emmanuel Macron (notre portrait) – et exulte à l’évocation de la journée de grève intersyndicale du 18 septembre prochain. Un bon résumé de la journée.
«Mettre du Tipex pour refaire la même erreur»
Au sujet de nouveau locataire de Matignon : «Ce n’est pas le bonhomme qui doit changer, mais la politique qui est menée», martèle auprès de Vert Carmelo Cala, cheminot à la retraite vêtu de son éternelle chasuble rouge de la CGT. Selon lui, le nouveau chef du gouvernement – qu’il juge «à la droite de la droite» – n’améliorera pas la vie des travailleur·ses : «Il reste dans le droite ligne de Macron, sa priorité va être de casser le mouvement social.»
À ses côtés, son camarade Stéphane Gawsewitch, 57 ans, cheminot actif, le rejoint sur ce constat. Également syndicaliste à la CGT, il salue l’ambiance «bon enfant» du rassemblement de cet après-midi, qui contraste avec les «agressions de l’État policier» dont il dit avoir été témoin en début de journée, lorsque des CRS ont bloqué l’accès aux personnes extérieures qui souhaitaient rejoindre l’assemblée générale des cheminot·es organisée en gare du Nord – une «tentative d’intrusion» d’«un millier d’individus déterminés», selon la préfecture de police de Paris.
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Très tôt le matin, plusieurs rassemblements et actions de blocage ont été initiés en différents endroits de la capitale, principalement au nord et à l’est, sur le périphérique parisien (portes de Montreuil, Bagnolet, La Chapelle ou Clignancourt). Les manifestant·es ont été systématiquement repoussé·es par les forces de l’ordre à coups de matraques et gaz lacrymogène.
Une partie s’est rabattue sur le rassemblement intersyndical organisé ce mercredi après-midi dans le centre de Paris. À l’image d’Inès*, 15 ans, qui a participé au blocage matinal de son lycée à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) : «À force de voir les gens en colère aux infos, ça m’a donné envie de les rejoindre», sourit-elle, une pancarte «Lecornu, un vendu» entre les mains. Le changement de premier ministre n’a rien changé à sa motivation ni à celle de sa grande sœur, qui l’accompagne. Selon elles, cette nomination consiste à «mettre du Tipex pour refaire la même erreur».
Proximité avec l’extrême droite et craintes sécuritaires
Au moment même où les syndicats terminent leurs discours sous les arbres de la place du Châtelet, Sébastien Lecornu promet des «ruptures, pas que sur la forme», mais aussi «sur le fond» lors de son discours de passation dans la cour de l’hôtel de Matignon. «Changer de méthode, ça ne veut pas dire que c’est mieux», ironise Thibault, 21 ans, après avoir écouté une partie de la prise de parole du nouveau premier ministre.
Étudiant en sciences de la Terre, il estime que «rien ne changera» si l’on reste «sous un gouvernement néo-libéral». Lui et ses ami·es étudiant·es qui participent à la manifestation craignent notamment le maintien en poste de Bruno Retailleau, ministre démissionnaire de l’intérieur : «C’est comme la moisissure dans le frigo, il va pourrir tout le reste !»
«C’est un gouvernement qui va tirer à droite, voire à l’extrême droite.»
Si tous les manifestant·es interrogé·es par Vert ne se font aucune illusion sur le nouveau gouvernement, qui devrait être annoncé ces prochains jours, certain·es s’inquiètent déjà du passif de Sébastien Lecornu, fidèle du président de la République.
Plusieurs rappellent sa proximité supposée avec le Rassemblement national : «On sait déjà qu’il a mangé avec Marine Le Pen. C’est un gouvernement qui va tirer à droite, voire à l’extrême droite», fustige Aude*, 29 ans et sans emploi. En juillet 2024, Libération a révélé que ce proche du président de la République avait rencontré la triple candidate à la présidentielle lors de dîners censés rester secrets – cette dernière avait dit le «trouver sympathique».
Ministre des armées depuis mai 2022, Sébastien Lecornu est également accusé par d’autres manifestant·es d’avoir contribué aux ventes d’armes françaises à Israël : «On va continuer à armer ce pays génocidaire, nous sommes salis devant le monde entier», peste Esmeralda*, psychologue en grève ce mercredi. Selon un rapport relayé par Mediapart, les ventes d’armes françaises à l’État hébreu ont atteint 27,1 millions d’euros en 2024, un record depuis 2017.
La journée du 18 septembre dans le viseur
Alors que la foule s’épaissit au fil des heures et déborde largement de la place du Châtelet, plusieurs organisations de jeunesse tentent de ranimer l’ambiance à force de chants et de musique. Une ambiance festive et déterminée qui attire même certains touristes : «En Allemagne, la mentalité est différente, nous sommes plus calmes !», rit Thomas Link, venu visiter Paris pour quelques jours depuis sa Bavière natale.
Sur les coups de 15h30, un cortège improvisé s’engouffre dans la rue Saint-Denis, avant d’être bloqué puis chargé par une rangée de CRS. La devanture d’un restaurant et une partie de la façade d’un immeuble prennent feu – l’incendie pourrait être «lié à l’intervention des forces de l’ordre», selon le parquet de Paris.
Si les flammes sont rapidement éteintes avec l’arrivée des pompiers, la colère des manifestant·es reste vive. «L’escalade va se poursuivre, on va devoir continuer à manifester jusqu’à ce que Lecornu s’en aille», lance Simon, 27 ans, qui travaille dans le monde des jeux vidéos.
Toutes et tous ont déjà en point de mire la journée nationale de grève et de manifestations du 18 septembre, annoncée par l’ensemble des organisations syndicales. «Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour décider que c’est la grève générale, prévient Carmelo Cala, de la CGT. Les décisions seront prises par les travailleurs dans chaque entreprise.» Pour lui et ses camarades, la journée est déjà cochée en rouge dans l’agenda social.
*Les prénoms ont été modifiés.
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