Après plusieurs semaines de préparation et d’assemblées générales, le mouvement social «Bloquons tout le 10 septembre» a démarré mercredi matin aux premières lueurs de l’aube (et même avant). Cette initiative nationale, protéiforme et assez floue, s’opposait notamment à la politique du gouvernement Bayrou – qui a démissionné mardi après le rejet du vote de confiance à l’Assemblée nationale (notre article) – et plus largement à celle d’Emmanuel Macron. Les revendications portaient aussi sur la justice sociale et sur l’écologie.
Impulsé «par le bas» via une diversité des collectifs citoyens locaux – en partie centralisés sur le site internet Indignonsnous.fr –, le mouvement a progressivement reçu le soutien de l’ensemble des formations de gauche et de plusieurs syndicats (CGT, Solidaires, Confédération paysanne…). Des associations écologistes et paysannes avaient également appelé à se mobiliser, à l’image des Soulèvements de la Terre, d’Extinction rebellion, d’Alternatiba ou de Greenpeace.
Un (très) important dispositif policier
C’était l’un des mots d’ordre principaux de «Bloquons tout» : paralyser les points centraux de l’économie (transport, énergie, logistique…). Dans une analyse en ligne, le collectif écologiste des Soulèvements de la Terre appelait à «tout bloquer et bien viser», proposant notamment de s’attaquer aux «sites de production et de vente emblématiques de l’agro-industrie et du libre-échange», ainsi qu’aux «grands groupes capitalistes».
Si des blocages étaient annoncés dans des raffineries et dépôts de pétrole, ce sont surtout des routes qui ont été ciblées mercredi. À Rennes (Ille-et-Vilaine), la rocade sud – l’un des principaux axes de Bretagne – était bloquée depuis 7h30 par plusieurs centaines de manifestant·es et un bus était en feu, a rapporté la presse locale. Plusieurs autoroutes ont également été coupées temporairement au niveau de Poitiers (Vienne), Strasbourg (Bas-Rhin), Lyon (Rhône), Montpellier (Hérault), Nantes (Loire-Atlantique) ou encore Arles (Bouches-du-Rhône), selon Radio Vinci autoroutes.
Le périphérique parisien a aussi été visé par plusieurs tentatives de blocage éphémères au niveau des portes de Clignancourt, Bagnolet, La Chapelle ou encore Montreuil – où la police est rapidement intervenue, comme l’a constaté l’une de nos journalistes sur place.
80 000 gendarmes et policier·es étaient mobilisé·es dans toute la France par le ministre de l’intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, qui avait déclaré qu’il «ne tolérera aucun blocage, aucune violence». Mercredi matin, un «incendie de câbles» a «interrompu la circulation des trains entre Toulouse et Auch», a rapporté le chef des Républicains.
Un mouvement national
De nombreuses autres routes étaient bloquées partout en France, comme à l’entrée de Vire (Calvados), où les manifestant·es ont appelé «les villages et les zones rurales» à «se soulever» (notre reportage). Des rassemblements sur des ronds-points, des barrages filtrants ou encore des péages gratuits étaient également en cours dans de très nombreuses communes du pays. Mercredi après-midi, selon France info, la circulation était bloquée par des tracteurs sur l’autoroute A20 au sud de Limoges (Haute-Vienne). Et l’A10 était coupée dans les deux sens près de Poitiers (Vienne). À Chambéry (Savoie), un cortège de Gilets jaunes à vélo a ralenti la circulation dans le centre-ville.
Paris, Lille, Lyon… 150 lycées étaient bloqués mercredi, selon l’Union syndicale lycéenne. Côté universitaire, plusieurs blocages avaient été votés en assemblées générales, mais certains campus ont été fermés préventivement par l’administration, comme à Rennes 2, Lyon 2 ou encore Sciences Po Paris. Sur X, le syndicat Union étudiante a revendiqué «80 000 jeunes mobilisé·es partout en France» et a salué une mobilisation «historique». En outre, une centaine d’établissements scolaires ont vu leur fonctionnement perturbé et 27 ont été bloqués, a rapporté le ministère de l’éducation nationale à la mi-journée.
Au-delà des actions de blocage, de nombreux rassemblements étaient prévus partout en France, dans les grandes villes comme les plus petites. À Marseille, un cortège de 400 personnes s’est massé au pied de la tour CMA CGM, l’entreprise du milliardaire Rodolphe Saadé, a rapporté le correspondant du Monde.
L’après-midi, d’autres raouts, parfois émaillés de violences, ont eu lieu dans plusieurs grandes villes. Toujours selon Le Monde, elles et ils étaient 2 500 à Valence (Drôme), 6 000 à Montpellier (Hérault), au moins 8 000 à Lyon (Rhône) ou à Marseille (Bouches-du-Rhône) et plus de 10 000 à Toulouse (Haute-Garonne) ou Rennes (Ille-et-Villaine). Un important rassemblement a aussi eu lieu à Paris, près du Châtelet, entrainant la fermeture d’un centre commercial et l’arrêt de la desserte de la station de métro et RER.
Piquets de grève
La CGT a recensé «715 actions de grève dans des entreprises ou des administrations», ainsi que «160 rassemblements» dont elle était partie prenante, a affirmé sa secrétaire générale, Sophie Binet, au micro de Ici Gironde. Sur sa carte interactive, le syndicat comptait de multiples actions dans les secteurs de l’énergie, de la santé, de la fonction publique ou de l’industrie. Selon les chiffres officiels à la mi-journée, les agents de la fonction publique d’État ont été 4,14% à faire grève ce mercredi, soit quelque 38 000 agent·es (dont la majorité dans l’éducation nationale).
Trois raffineries étaient également appelées «à cesser le travail» le 10 septembre, à Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime), Donges (Loire-Atlantique) et Feyzin (Rhône). Mais, dans celles-ci, la mobilisation a été «très faible», selon un responsable syndical interrogé par l’AFP. Plusieurs piquets de grève étaient prévus au cours de la journée, par exemple devant le site du géant américain Amazon à Brétigny-sur-Orge (Essonne) dès midi.
Dans les transports, «les niveaux de grévistes et les trafics [ont été] globalement conformes aux prévisions», selon le ministère de l’aménagement du territoire dans un communiqué que Vert a consulté. Pour les trains, sept TER sur dix étaient en circulation, ainsi qu’un Intercités sur deux. Le trafic des TGV était «normal». Dans les transports en commun d’Ile-de-France, le trafic était également «normal» sur les métros et la plupart des RER, tandis qu’«une montée progressive des retards [était] attendue au cours de la matinée» pour l’aviation. «Bloquons tout» a aussi été le théâtre de tentatives d’intrusions massives dans certaines gares comme Marseille Saint-Charles ou Paris-Nord. La SNCF a aussi annoncé en fin de matinée des «occupations de voies en gares de Cherbourg et à Valence Ville».
Au total, selon le ministère de l’intérieur, environ 175 000 personnes (250 000 selon la CGT) ont manifesté partout en France dans le cadre du mouvement social «Bloquons tout». Au cours de la journée, 812 actions, dont 550 rassemblements et 262 blocages, ont été recensés à travers le pays et ont mené à 473 interpellations de manifestant·es, dont 203 à Paris.
La suite du mouvement social est encore incertaine et dépendra des décisions des groupes locaux de manifestant·es. Une autre journée de grèves et de manifestations est prévue le 18 septembre à l’initiative de l’ensemble des organisations syndicales.
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