Décryptage

Anti-écolos, proche de l’extrême droite et adepte des coups de force : tout savoir sur la Coordination rurale, syndicat agricole en pleine ascension

Bonnets à nez. Après sa percée aux dernières élections, le deuxième syndicat agricole français élit ce mercredi sa nouvelle direction. Soudés depuis les années 1990 autour de leurs actions «coup de poing» contre les accords de libre-échange ou les normes environnementales, les «bonnets jaunes» se fracturent aujourd'hui sur les méthodes à adopter.
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Ce qu’il faut retenir :

🗳️ Deuxième syndicat agricole de France, la Coordination rurale se réunit ces 18 et 19 novembre à Auch (Gers) pour élire sa nouvelle direction. L’actuelle présidente, Véronique Le Floc’h, fait face à une liste plus radicale emmenée par l’éleveur Bertrand Venteau.

🟡 Né en 1991 contre une réforme de la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, le mouvement n’a cessé de progresser au fil des crises paysannes. Aux dernières élections agricoles, la «CR» a remporté 11 chambres d’agriculture (sur 100).

💰 Protectionniste face à la «concurrence déloyale» des produits étrangers, le syndicat dénonce le trop-plein de règles en France. Avec son slogan «Foutez-nous la paix, laissez-nous travailler», il met en avant la liberté et le revenu des agriculteur·ices.

🌱 La Coordination rurale dénonce les normes environnementales, la présence du loup ou encore les manifestations contre les mégabassines. Elle s’en prend régulièrement à la «police de l’environnement» et aux militant·es écologistes.

❌ Si le syndicat se revendique «apolitique», il partage certaines idées avec l’extrême droite et des accointances locales. Plusieurs cadres du mouvement disent soutenir les propositions du Rassemblement national.

Elle promet de faire de son syndicat l’«acteur incontournable du monde agricole, reconnu par les décideurs français et européens». Lui défend plutôt une «ligne dure, celle qui fait que nous existons sur les départements». Interrogé·es par Vert, l’actuelle leader de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, et Bertrand Venteau – son principal opposant – mènent depuis plusieurs semaines une lutte acharnée pour la présidence du deuxième syndicat agricole français.

Ici au salon de l’agriculture 2025, les militant·es de la Coordination rurale sont reconnaissables à leurs célèbres bonnets jaunes. © Serge Tenani/Hans Lucas via AFP

Rassemblés à Auch (Gers) pour leur congrès annuel, les «bonnets jaunes» de la Coordination rurale doivent voter mercredi 19 novembre entre les deux listes concurrentes. «Ce qui nous distingue, c’est la méthode, juge Véronique Le Floc’h, qui souhaite capitaliser sur sa percée aux dernières élections agricoles (notre article). Eux considèrent que montrer les bras est une façon d’obtenir gain de cause, ce que je ne contredis pas. […] Mais il faut aussi un relai entre le local et le national.»

Élu depuis 2019 à la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne, Bertrand Venteau dénonce à l’inverse ce «national hyper puissant, coupé des chambres et des départements» et veut que les finances «ruissèlent» vers les sections locales du syndicat. Le frondeur souhaite aussi renouer avec la culture des actions «coup de poing» : «Si vous ne faites pas peur, vous n’êtes pas entendu». Histoire, idéologie, écologie… Vert vous dit tout sur ce syndicat.

La Coordination rurale, c’est quoi ?

La «CR» naît fin 1991 dans le Gers, lors d’une vaste mobilisation contre la nouvelle politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne. Cette réforme laissait craindre une baisse des prix garantis aux agriculteur·ices, compensée par des primes : «Une atteinte à la dignité des paysans qui passeraient pour des assistés»relate sur son site la Coordination rurale. Paysan·nes non-encarté·es, dissident·es du syndicat majoritaire FNSEA, militant·es de la Confédération paysanne (plutôt classée à gauche), et même communistes : à l’époque, le mouvement se voulait transpartisan. Multipliant les coups de force sur le plan local comme à Paris, il devient un syndicat en 1994 pour peser sur les élections agricoles.

«La Coordination rurale rassemble des déçus de la FNSEA, moyen-gros économiquement, qui s’empilent au fil des réformes de la PAC et des crises agricoles», analyse Alexandre Hobeika, chercheur en sciences politiques à l’unité pluridisciplinaire sur les systèmes agri-alimentaires (MoISA) de Montpellier (Hérault). D’abord portée par des céréalier·es et des arboriculteur·ices, elle s’élargit à l’élevage dans les années 2000, avec la crise du lait : là encore, une réforme européenne mène à une baisse des prix agricoles, et suscite la rébellion des éleveur·euses de bovins.

«Nous avons eu une visibilité médiatique que nous n’avions pas avant.»

Historiquement implantée dans le Sud-Ouest, la Coordination rurale remporte une de ses premières chambres d’agriculture dès 2001 dans le Lot-et-Garonne – elle la conserve encore aujourd’hui. Depuis, elle ne cesse de progresser au fil des élections agricoles, et dépasse la Confédération paysanne en 2013. Puis éclate encore plus au grand jour lors du mouvement de colère agricole de l’hiver 2023-2024 : ses bonnets jaune fluo, ses débordements au salon de l’agriculture (notre reportage) ou encore sa tentative de blocage du marché de Rungis (Val-de-Marne) font le tour des médias. 

Le succès se traduit l’année suivante dans les urnes : aux élections de 2025, la Coordination rurale frôle les 30% et fait trembler la FNSEA (majoritaire avec son allié des Jeunes agriculteurs, à 47% des voix). Elle dirige désormais 11 chambres d’agriculture (sur 100) et se revendique même comme le «premier syndicat agricole de France» (elle s’appuie sur la répartition des subventions publiques par le gouvernement, celles des deux syndicats majoritaires étant partagée en deux). «Cette progression dans les élections vient des actions qui ont été menées dans le Sud-Ouest et partout en France, estime aujourd’hui Bertrand Venteau. Nous avons eu une visibilité médiatique que nous n’avions pas avant, les agriculteurs se sont retrouvés dans nos messages.»

Quelles idées défend-elle ?

Malgré leurs divergences sur les méthodes, les différents courants de la Coordination rurale se retrouvent sur les idées : «Nous devons rendre service localement pour que nos adhérents et ceux qui ne le sont pas aient le moins d’ennuis possible», prône Bertrand Venteau. Véronique Le Floc’h met en avant une «agriculture libre et indépendante», tout en égrainant les slogans historiques du syndicat : «Tous unis»«Foutez-nous la paix, laissez nous travailler»«Des prix, pas des primes»

«Pour que l’agriculture ne soit pas sacrifiée, nous demandons une exception pour l’exclure de tout accord de libre-échange»

«S’il y a une cohérence, c’est sur leur discours pour le revenu de tous les agriculteurs», note Alexandre Hobeika. Ce dernier relève que cette attention aux prix est finalement «assez proche» du syndicat dominant : «Elle se différencie de la FNSEA en répétant qu’elle est corrompue, ce qui lui suffit pour le moment pour capter une colère générale.» Comme la Confédération paysanne, la «CR» dénonce notamment la co-gestion de la politique agricole entre l’État et la FNSEA.

Historiquement opposée aux accords douaniers (comme le Mercosur, notre article), la «CR» tente d’imposer ses concepts, à l’image de l’«exception agriculturelle» : «Pour que l’agriculture ne soit pas sacrifiée, nous demandons une exception pour l’exclure de tout accord de libre-échange», explique Véronique Le Floc’h. Protectionniste face à la «concurrence déloyale» des productions étrangères, le syndicat dénonce en revanche le trop-plein de règles à l’intérieur du territoire français. «Les adhérents de la CR sont des gens qui sont profondément libéraux. Ils ne veulent pas être entravés dans leur métier et tout ce qui s’ensuit», estime Bertrand Venteau.

L’actuelle présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, au salon de l’agriculture en 2025. © Esteban Grépinet/Vert

Le syndicat se présente comme «indépendant» et «apartisan», et peut parfois manifester localement avec la Confédération paysanne – par exemple, contre la gestion actuelle de l’épidémie de dermatose nodulaire contagieuse dans les troupeaux de bovins (notre décryptage) – ou avec les syndicats majoritaires, comme récemment dans la Vienne pour soutenir les projets de mégabassines.

Quelles sont ses positions sur l’écologie ?

La Coordination rurale, un syndicat anti-écolo ? «Certainement pas !», rétorque à Vert Véronique Le Floc’h, qui défend un «métier connecté à la nature […], où l’on vit avec le climat, où l’on doit s’adapter en permanence et où la plus grande des contraintes est celle de la politique et de l’administratif». Dans les faits, la «CR» a activement soutenu les récents reculs écologiques : loi Duplomb, projets de mégabassines dans l’ouest de la France, déclassement du statut de protection européen du loup gris… Sur ce dernier point, la présidente du syndicat déclare même vouloir «supprimer le mal à la racine», et compare la présence de ce prédateur à un «cancer».

Appel national à la suppression de l’Office français de la biodiversitémenaces et séquestrations contre ses agent·esdégradations et incendies de bâtiments publics… La vive opposition de la «CR» aux normes environnementales passe aussi par un bras de fer avec celles et ceux qui les font appliquer. Dans son fief du Lot-et-Garonne, le syndicat s’est notamment fait connaître en tronçonnant sans autorisation des platanes le long d’une route après la mort par accident de voiture d’un·e de ses adhérent·es. Pendant l’hiver 2018-2019, plusieurs dizaines de «bonnets jaunes» locaux ont construit illégalement le lac de Caussade (une retenue artificielle destinée à l’irrigation) au nez et à la barbe de la préfecture et des forces de l’ordre.

«Elle a des positions très proches de la FNSEA contre les réglementations environnementales.»

«Sur les deux dernières années, elle a des positions très proches de la FNSEA contre les réglementations environnementales, analyse Alexandre Hobeika. Mais c’est plus subtil que simplement “anti-écolo”, on observe une sensibilité forte aux solutions techniques, à l’agronomie de précision, à la vie des sols.» Par exemple, le syndicat est favorable à l’agriculture biologique – «avec une adaptation de l’offre à la demande», précise Véronique Le Floc’h, elle-même éleveuse bio dans le Finistère – et rappelle régulièrement avoir créé le festival «Non labour et semis direct», qui prône des méthodes de culture alternatives destinées à préserver les sols.

Plus encore que l’écologie, ce sont les écologistes que les «bonnets jaunes» abhorrent, n’hésitant pas à lâcher des animaux (ragondin, souris, pigeons…) dans un cinéma lors d’une projection par une association d’un documentaire sur les mégabassines, à «traquer» des militant·es anti-bassines (notre article), ou encore à organiser un barbecue géant devant la future maison de vacances de la députée (Les Écologistes) Sandrine Rousseau. S’il est élu ce mercredi, Bertrand Venteau veut aller plus loin et faire du «combat contre l’écologie punitive et décroissante» son «cheval de bataille»«Nous devons attaquer ceux qui nous attaquent.» L’éleveur souhaite notamment renforcer les liens du syndicats avec les fédérations de chasse, les propriétaires fonciers et tout ceux qu’il considère comme ses «alliés de la ruralité».

Quels sont ses liens avec l’extrême droite ?

Copieusement hué par «les bonnets jaunes» lors du salon de l’agriculture en 2024, Emmanuel Macron avait estimé que «des décideurs locaux de la Coordination rurale sont engagés de manière très officielle au Rassemblement national». À la même époque, les dirigeants du syndicat avaient déjeuné avec Jordan Bardella, le président du RN. Un épisode qui en a heurté certain·es : «Les prises de positions politiques avec le Rassemblement national, ce n’est pas ma tasse de thé», peste auprès de Vert une ancienne figure du syndicat sous couvert d’anonymat.

Des agriculteur·ices de la Coordination rurale bloquent des camions en provenance d’Espagne au niveau du péage de l’autoroute A9, dans les Pyrénées-Orientales, en novembre 2024. © Jc Milhet/Hans Lucas via AFP

Si le RN et la CR partagent une certaine proximité idéologique – par exemple sur la critique de l’Union européenne, des normes environnementales ou des agences publiques d’État –, le syndicat insiste sur son caractère «apolitique». Véronique Le Floc’h assume discuter avec tout le monde – y compris avec les député·es de gauche François Ruffin ou Aurélie Trouvé. Bertrand Venteau a lui annoncé, en cas d’élection mercredi, qu’un cadre récemment embauché et ancien candidat RN en 2017 «ne restera pas»«On a dit qu’on était apolitique. Ceux qui s’affichent [avec un parti politique] passeront dehors, c’est comme ça».

Si aucun lien «officiel» entre les deux directions n’est établi, des accointances locales existent. L’ancien vice-président de la section de l’Aude, Christophe Barthès, est maintenant député du Rassemblement national depuis 2022. Yannick Bodin, président de celle de la Manche, était lui suppléant d’une candidate RN aux législatives de 2017 et 2024. D’autres profils radicaux ont été repérés par StreetPress.

«Tout les gens de la CR ne sont pas d’extrême droite, mais on voit depuis quelques années un rapprochement ouvert au niveau national entre ses dirigeants et ceux du RN.»

Les critiques visent surtout un homme incontournable du succès du syndicat. Serge Bousquet-Cassagne, ancien président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, est l’artisan de la montée spectaculaire en tracteurs à Paris pendant les manifestations agricoles de 2024. Soutien de Bertrand Venteau, il a déjà annoncé au Monde se porter candidat pour la députation RN dans le Lot-et-Garonne en cas d’élections législatives, «si Marine [Le Pen] me veut bien». Mais un ancien de la Confédération paysanne locale, qui défend une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement, déplore pour autant que la CR soit renvoyée à «un groupement de fachos»«Il faut arrêter de réduire la CR à Serge Bousquet-Cassagne», déclare-t-il à Vert.

Chez les adhérent·es, si les agriculteur·ices penchent généralement à droite, 47% de celles et ceux qui se disent proches de la Coordination rurale avaient l’intention de voter pour le RN selon le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) à la veille des élections européennes de 2024. C’est plus que pour les syndicats majoritaires FNSEA-JA (24%) ou les non-syndiqué·es (29%). «Tout les gens de la CR ne sont pas d’extrême droite, mais on voit depuis quelques années un rapprochement ouvert au niveau national entre ses dirigeants et ceux du RN», estime le chercheur Alexandre Hobeika. Auprès de Mediapart, Véronique Le Floc’h avait admis qu’«on avancerait peut-être davantage» si tout le monde avait les idées de Jordan Bardella.

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