«Ça fait 35 ans que je fais ce métier, c’est la première fois que je vois ça», s’indigne auprès de Vert Éric Gourdin, représentant syndical Unsa-écologie à l’Office français de la biodiversité (OFB). Depuis dix jours, l’établissement public subit une vague d’attaques et de dégradations de la part d’agriculteur·ices. Insultes, menaces, déversements de farine, de lisier ou de cadavres d’animaux : pas moins de 22 actions ont été recensées. Mercredi, le siège départemental de l’OFB dans l’Aude, à Trèbes, a été incendié et tagué.
La «faute» originelle
À l’origine de cette séquence brutale : des propos tenus par le premier ministre François Bayrou le 14 janvier dernier, lors de sa déclaration de politique générale. Devant l’Assemblée nationale, le chef du gouvernement avait passé une partie de sa minute consacrée à l’écologie – sur une heure et demie de discours –, à dénoncer «l’humiliation» vécue par les agriculteur·ices lors des contrôles de l’OFB, et la «faute» des agents.
Le lendemain, un délégué syndical de l’établissement, invité de France Inter, avait lancé : «Aujourd’hui, on a le sentiment que ce que veulent les agriculteurs, c’est de ne plus nous voir dans leurs exploitations. C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités pour empêcher le deal !»

Une comparaison qui a mis le feu aux poudres des syndicats agricoles. Le soir-même, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, les syndicats agricoles majoritaires, déversaient du fumier devant l’OFB à Tulle (Corrèze). La Coordination rurale a aussi multiplié les actions à l’encontre de la police de l’environnement. Mercredi, ses membres ont déversé de la poudre à Dry, dans le Loiret.
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En pleine campagne électorale pour désigner leurs représentant·es dans les chambres d’agriculture – qui dure jusqu’au 31 janvier (notre article) –, les syndicats agricoles se sont lancés dans une véritable course à l’échalote. Dans le même temps, plusieurs responsables politiques de droite, comme le chef de fil des député·es Les Républicains Laurent Wauquiez, ont soufflé sur les braises de la polémique et demandé la suppression pure et simple de l’OFB.
«Nous servons de boucs émissaires»
Mais la crise est plus profonde. «Cela fait un an que nous servons de boucs émissaires au mal-être du monde agricole», déplore la présidente de l’OFB, Sylvie Gustave-dit-Duflo, jointe par Vert. En 2024 déjà, une cinquantaine d’exactions envers l’institution avaient été recensées. Accusée de nombreux maux, la police de l’environnement ne réalise pourtant que 3 000 contrôles par an, sur les 400 000 exploitations françaises. En moyenne, chaque ferme est contrôlée une fois tous les 120 ans.
Face à cette recrudescence des tensions, les six syndicats représentés à l’OFB (SNE, FSU, FO OFB, CGT Environnement, Unsa-écologie et EFA CGC) ont constitué une intersyndicale et décrété la mise en retrait des inspecteur·ices de l’environnement, qui a débuté lundi. Les données transmises révèlent que, dans une cinquantaine de départements – en rouge sur la carte –, plus des deux tiers des agent·es suivent le mouvement.

«Les agents sont dégoûtés, désœuvrés, témoigne Éric Gourdin de l’Unsa-Ecologie. On attend des excuses du premier ministre». L’intersyndicale est reçue à Matignon ce vendredi après-midi et présentera ses revendications, dont la préservation des effectifs, alors qu’une baisse de 25 équivalents temps plein était prévue dans le projet de loi de finances, présenté en décembre dernier à l’Assemblée nationale. Une grève nationale est prévue pour le 31 janvier.
Le gouvernement tente de rattraper le coup
Vendredi dernier, la présidente de l’Office français de la biodiversité s’était émue du peu de soutien du gouvernement. «Dès lors que j’ai exprimé ce mal-être, j’ai reçu un appel du cabinet du premier ministre. Il reconnaît l’absolue nécessité de l’OFB et le fait que 99% des contrôles se passent bien», confie à Vert Sylvie Gustave-dit-Duflo. Elle se félicite qu’un dialogue s’instaure avec Matignon.
Jeudi, en marge d’un déplacement à Saint-Jacques-de-la-Lande (Ille-et-Vilaine), la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, avait défendu les fonctionnaires : «Ce sont des agents publics qui sont chargés notamment de missions de police, de l’environnement et de l’eau, qui appellent le même respect et qui ont la même dignité que les agents de police, les gendarmes, les agents de la répression des fraudes.»
Face au mal-être profond du monde agricole et de sa police, et à un mois de l’ouverture du salon de l’agriculture, de simples déclarations suffiront-elles à éteindre l’incendie ?
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