Décryptage

Chambres d’agriculture : la guerre des sièges est ouverte entre la FNSEA et ses concurrents

Syndicat de force majeure. Ces quinze prochains jours, le monde agricole est appelé aux urnes pour ses élections professionnelles. Un scrutin aux enjeux financiers, politiques et écologiques. Tour d'horizon.
  • Par

Ce qu’il faut retenir

→ Du 15 au 31 janvier 2025, plus de deux millions de personnes qui évoluent dans le secteur agricole sont appelées à voter⁠⁠⁠⁠ dans le cadre des élections professionnelles.

→ L’enjeu du scrutin est surtout politique. Le syndicat qui remportera le plus de chambres sera l’interlocuteur clé à toutes les échelles territoriales durant les six prochaines années.

→ Même dans le cas où elle perdrait quelques chambres départementales au profit de la Coordination rurale ou de la Confédération paysanne, la FNSEA – actuellement majoritaire – devrait conserver le pouvoir, en restant à la tête des chambres régionales.


Plus de deux millions de personnes qui travaillent dans le secteur agricole sont appelées aux urnes. Depuis mercredi 15 et jusqu’au 31 janvier, agriculteurs et agricultrices, leurs salarié·es, les retraité·es, ainsi que celles et ceux qui représentent les banques, assurances et coopératives spécialisées dans l’agriculture, devront choisir entre plusieurs syndicats. Dans chaque département, le monde rural élira une trentaine de personnes pour les représenter, réparties en dix collèges. Ces dernières voteront à leur tour pour des président·es de chambres départementales. Lesquel·les choisiront, en mars, des président·es de chambres de région.

Ces derniers mois, la FNSEA et la Coordination rurale ont organisé des actions contre des institutions. Ici, devant les locaux de l’Office français de la biodiversité, au Mans (Sarthe), le 26 novembre 2024. © AFP

Les enjeux sont évidemment financiers. Les élections conduiront les syndicats d’agriculteur·ices à se répartir près de 14 millions d’euros (M€), accordés par la puissance publique pour leur fonctionnement. L’organisation arrivée en tête, remportera 25% du pactole. Le reste sera réparti au prorata du nombre de voix. Un butin auquel s’ajoutera la gestion du budget annuel de fonctionnement des chambres, soit 750 M€.

Mais le scrutin est surtout politique. Le syndicat qui remportera le plus de chambres sera l’interlocuteur clé à toutes les échelles territoriales durant les six prochaines années. «Les chambres sont le premier partenaire des élus dans les régions, les départements et les métropoles, pour définir les enjeux du secteur agricole, comme pour prendre les décisions», rappelle Jeanne Pahun, chercheuse spécialiste de la gouvernance locale de l’agriculture et de l’alimentation au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Un rôle d’autant plus important dans un contexte de rigueur, qui limite les moyens des collectivités pour embaucher des salarié·es dédié·es à la transition agroécologique.

Du côté des employé·es, le scrutin est aussi important, puisqu’il déterminera qui, de la CGT, CFDT, FO, CGC ou de la CFTC, seront les plus représentatifs des ouvrier·es. Et qui, de ces organisations, seront à même de défendre leurs intérêts dans un secteur connu pour ses bas salaires et les conditions de travail particulièrement difficiles proposées aux saisonnier·es.

Des problèmes caractérisés par plusieurs rapports

Sur le terrain, les chambres d’agriculture sont l’un des interlocuteurs les plus réguliers des agricultrices et agriculteurs. Formations sur les aides européennes, groupes d’appui technique, services numériques : les 8 400 salarié·es des chambres, dont près de 7 000 ingénieur·es et technicien·nes, doivent apporter un soutien aux producteur·ices sur l’ensemble de leurs problèmes agronomiques, administratifs ou économiques.

Mais plusieurs rapports publics critiquent les résultats de ces actions sur le terrain. Le financement des chambres pour la réduction des pesticides avait, par exemple, fait partie des concessions accordées au monde agricole en 2008, lors de la création du plan Ecophyto – qui vise à réduire l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. Plus de dix ans plus tard, les chambres proposent toujours «un réseau de conseillers agricoles non adaptés à l’enjeu», déplore un rapport inter-inspections ministérielles de 2021.

Nombre d’observateur·ices regrettent aussi le manque de représentativité des chambres. «Sur 102 chambres d’agriculture, 97 sont dirigées par la FNSEA [le syndicat majoritaire, productiviste, NDLR] et ses alliés, alors qu’ils n’ont obtenu que 55% des voix du collège des exploitants agricoles» aux élections de 2019, soulignait un rapport de la Cour des comptes en 2021.

Les frontières entre FNSEA et chambres sont parfois si floues en matière de ressources humaines et budgétaires, que plusieurs sanctions ont été prononcées par la justice. Comme le rappelle la Cour des comptes dans le rapport précité, «la Cour de discipline budgétaire et financière a ainsi condamné les présidents et anciens présidents de cinq chambres d’agriculture en 2018 et 2019 pour des soutiens irréguliers à des syndicats».

Coordination rurale et Confédération paysanne espèrent créer la surprise

Du côté des exploitant·es agricoles, qui devront remplir une vingtaine de sièges par département, le scrutin est déjà tendu. Depuis un an, la plupart des organisations ont appelé à manifester pour divers motifs, allant de la rémunération à la dénonciation des traités de libre-échange comme celui que la Commission européenne veut signer avec le Mercosur, le marché sud-américain, en passant par les restrictions en matière de pesticides.

La Coordination rurale, syndicat agricole proche de l’extrême droite et très implanté dans le sud, fait partie de ceux qui ont le mieux tiré profit de la colère. Comme dans l’arène politique nationale, le discours anti-système et anti-européen est populaire en temps de crise, face à une ligne plus libérale et proche du gouvernement, incarnée par la FNSEA et son président Arnaud Rousseau.

Au total, la Coordination rurale espère arracher près d’une vingtaine des chambres à la toute puissante FNSEA. Une bataille dans laquelle elle aurait été prête à s’allier, localement au moins, avec la Confédération paysanne. Ce troisième syndicat a préféré faire cavalier seul. Il défend des positions radicalement différentes des deux autres en matière d’écologie, d’élevage ou de commerce international. Il s’oppose à l’agriculture intensive, aux «méga-bassines» et à l’usage massif de pesticides. Son objectif affiché : remporter au moins une dizaine de chambres, et dépasser les 10% dans tous les départements. «Nous avons une très forte hausse des adhésions, nous avons présenté des listes partout, et tout indique que nous pouvons créer la surprise», a assuré Laurence Marandola, porte-parole du syndicat, lors des vœux à la presse début janvier.

Les éventuelles victoires des challengers, même symboliques, ne devraient pas perturber la FNSEA. En parallèle de la décentralisation, et alors que les régions gèrent désormais une partie des aides agricoles, «les chambres se sont peu à peu régionalisées», rappelle la chercheuse Jeanne Pahun. En Normandie, Bretagne et Pays-de-Loire, les chambres départementales n’ont même plus d’existence légale, et ont été transformées en «chambres territoriales». Même dans le cas où elle perdrait quelques chambres départementales, la FNSEA devrait malgré tout conserver le pouvoir, en restant à la tête des régions.

«Merci pour tout le travail que vous réalisez, vous êtes d'utilité publique et devriez être prescrits par les médecins». Comme Florent, plus de 11 000 personnes ont soutenu Vert en 2024. Grâce à elles et eux, nous avons pu offrir des centaines d'articles de qualité en accès libre pour tout le monde ! Et tout ça, en restant 100% indépendants et sans publicités.

Permettez au plus grand nombre de comprendre les crises qui nous secouent et de savoir comment agir, et participez au projet médiatique le plus chaud de l'époque en faisant un don à Vert 💚