Reportage

Salon de l’agriculture : ce que disent les agriculteurs

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Cœurs d’agris chauds. Meilleure rémunéra­tion, accom­pa­g­ne­ment dans la tran­si­tion, sim­pli­fi­ca­tion admin­is­tra­tive : les reven­di­ca­tions étaient nom­breuses à l’ouverture du 60ème Salon de l’agriculture à Paris, same­di. Au cœur d’une pre­mière mat­inée ryth­mée par des heurts et d’incessants sif­flets dirigés con­tre le prési­dent de la République en vis­ite, Vert a ren­con­tré plusieurs agricul­teurs venus dire leur colère.

«Nous, ce qu’on veut, c’est tra­vailler ! C’est ce qu’on sait faire de mieux», lance Thier­ry, 56 ans, agricul­teur dans le Lot-et-Garonne et mem­bre de la Coor­di­na­tion rurale, syn­di­cat classé à droite. Dans le pavil­lon prin­ci­pal, fer­mé au pub­lic dès 8 heures du matin, après que des agricul­teurs sont entrés de force pour per­turber la vis­ite prési­den­tielle, le bruit des sif­flets est assour­dis­sant et la ten­sion est pal­pa­ble. Quelques heures plus tôt, l’éleveur de vach­es laitières au gilet fluo estampil­lé «Agricul­teurs en colère» était chahuté lors de heurts avec les CRS. Un mal néces­saire pour dire leur détresse trop longtemps ignorée.

Agricul­teur devant un bar­rage de CRS pen­dant la vis­ite d’Em­manuel Macron. ©Alexan­dre Carré/Vert

«Il y a quelques mois, j’étais au bout du rouleau, la corde était accrochée, con­fie-t-il. Je pense surtout à nos jeunes qui veu­lent repren­dre nos fer­mes. Je n’ai pas envie qu’ils vivent la même chose que nous». Pour Thier­ry, les exploitant·es devraient être mieux accompagné·es psy­chologique­ment : «Je ne peux plus voir d’amis se faire bouf­fer par le sys­tème». Selon un rap­port de la Mutu­al­ité sociale agri­cole, «en 2020, les con­som­mants (sic) de soins du régime agri­cole de 15 à 64 ans ont un risque de mor­tal­ité par sui­cide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes».

Les manifestant·es interrogé·es par Vert ont en com­mun de déplor­er la faib­lesse de leurs revenus. «On ne veut pas devenir mil­liar­daire, on veut juste pou­voir pay­er nos fac­tures en temps et en heure, assure Dominique Pipet, agricul­teur à la retraite depuis qua­tre ans et mem­bre de la Fédéra­tion nationale des syn­di­cats d’ex­ploitants agri­coles (FNSEA), organ­i­sa­tion majori­taire. Si les charges aug­mentent alors que les revenus dimin­u­ent, ça ne peut pas fonc­tion­ner. Cer­tains col­lègues doivent faire des prêts entre deux fac­tures pour pou­voir manger leur pain. Ce n’est pas nor­mal».

Dominique Pipet, agricul­teur retraité, est venu en sou­tien aux manifestant·es. ©Alexan­dre Carré/Vert

À l’autre bout du pavil­lon, dont les allées — vides — sont nor­male­ment noires de monde à l’ouverture du Salon, des cen­taines de per­son­nes sont scotchées aux écrans géants qui dif­fusent les échanges entre le Prési­dent Macron et une poignée d’agriculteur·ices trié·es sur le volet.

Julien est salarié agri­cole dans la Somme ; Jus­tine est étu­di­ante dans le domaine ani­malier dans le Nord. Ces deux mem­bres des Jeunes Agricul­teurs n’écoutent pas le Prési­dent : «On attend les répons­es con­crètes. On a l’habitude de l’entendre par­ler pour rien dire, dis­ent-ils à Vert. Notre tra­vail n’est pas assez val­orisé».

Julien tra­vaille avec ses par­ents dans une ferme d’expérimentation végé­tale où l’on crée de nou­velles var­iétés. Il souhaite s’installer ailleurs pour élever des vach­es à lait ou à viande, mais il ne peut pas pour l’instant, faute de moyen et de place. «Je sais que dans les dix ans, beau­coup d’exploitations vont être à ven­dre, mais pour l’instant, je n’ai pas trou­vé, explique-t-il. La quan­tité de papiers à fournir pour s’installer et pour pré­ten­dre à des labels sont un peu effrayants aus­si, grince-t-il. Ça dis­suade un peu».

Julien et Jus­tine arborent les couleurs de leur syn­di­cat dans les allées presque vides du Salon. ©Alexan­dre Carré/Vert

Jus­tine ne sait pas encore très bien dans quel type d’élevage elle pra­ti­quera, mais elle sait déjà qu’«il va fal­loir qu’on s’habitue aux change­ments cli­ma­tiques. Je pense qu’on est prêt à chang­er, mais il faut que la rémunéra­tion suive». Actuelle­ment, les prix des pro­duits issus de l’agriculture biologique avoisi­nent ceux de l’agriculture con­ven­tion­nelle : «Ce n’est pas nor­mal qu’un agricul­teur qui fait l’effort de se pass­er de pes­ti­cides ou d’engrais chim­iques soit con­traint de ven­dre ses pro­duits au même prix qu’un autre qui ne fait pas l’effort».

Si cer­taines annonces vont dans le bon sens selon les syn­di­cats, la majorité des voix qui se sont élevées same­di matin, comptent main­tenir la mobil­i­sa­tion dans l’attente de résul­tats con­crets sur le ter­rain. «Aujourd’hui, il n’y a plus de syn­di­cat ou de par­tis poli­tique, résume Dominique Pipet. On est tous sous la même ban­nière».