Cœurs d’agris chauds. Meilleure rémunération, accompagnement dans la transition, simplification administrative : les revendications étaient nombreuses à l’ouverture du 60ème Salon de l’agriculture à Paris, samedi. Au cœur d’une première matinée rythmée par des heurts et d’incessants sifflets dirigés contre le président de la République en visite, Vert a rencontré plusieurs agriculteurs venus dire leur colère.
«Nous, ce qu’on veut, c’est travailler ! C’est ce qu’on sait faire de mieux», lance Thierry, 56 ans, agriculteur dans le Lot-et-Garonne et membre de la Coordination rurale, syndicat classé à droite. Dans le pavillon principal, fermé au public dès 8 heures du matin, après que des agriculteurs sont entrés de force pour perturber la visite présidentielle, le bruit des sifflets est assourdissant et la tension est palpable. Quelques heures plus tôt, l’éleveur de vaches laitières au gilet fluo estampillé «Agriculteurs en colère» était chahuté lors de heurts avec les CRS. Un mal nécessaire pour dire leur détresse trop longtemps ignorée.
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«Il y a quelques mois, j’étais au bout du rouleau, la corde était accrochée, confie-t-il. Je pense surtout à nos jeunes qui veulent reprendre nos fermes. Je n’ai pas envie qu’ils vivent la même chose que nous». Pour Thierry, les exploitant·es devraient être mieux accompagné·es psychologiquement : «Je ne peux plus voir d’amis se faire bouffer par le système». Selon un rapport de la Mutualité sociale agricole, «en 2020, les consommants (sic) de soins du régime agricole de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes».
Les manifestant·es interrogé·es par Vert ont en commun de déplorer la faiblesse de leurs revenus. «On ne veut pas devenir milliardaire, on veut juste pouvoir payer nos factures en temps et en heure, assure Dominique Pipet, agriculteur à la retraite depuis quatre ans et membre de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), organisation majoritaire. Si les charges augmentent alors que les revenus diminuent, ça ne peut pas fonctionner. Certains collègues doivent faire des prêts entre deux factures pour pouvoir manger leur pain. Ce n’est pas normal».
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À l’autre bout du pavillon, dont les allées – vides – sont normalement noires de monde à l’ouverture du Salon, des centaines de personnes sont scotchées aux écrans géants qui diffusent les échanges entre le Président Macron et une poignée d’agriculteur·ices trié·es sur le volet.
Julien est salarié agricole dans la Somme ; Justine est étudiante dans le domaine animalier dans le Nord. Ces deux membres des Jeunes Agriculteurs n’écoutent pas le Président : «On attend les réponses concrètes. On a l’habitude de l’entendre parler pour rien dire, disent-ils à Vert. Notre travail n’est pas assez valorisé».
Julien travaille avec ses parents dans une ferme d’expérimentation végétale où l’on crée de nouvelles variétés. Il souhaite s’installer ailleurs pour élever des vaches à lait ou à viande, mais il ne peut pas pour l’instant, faute de moyen et de place. «Je sais que dans les dix ans, beaucoup d’exploitations vont être à vendre, mais pour l’instant, je n’ai pas trouvé, explique-t-il. La quantité de papiers à fournir pour s’installer et pour prétendre à des labels sont un peu effrayants aussi, grince-t-il. Ça dissuade un peu».
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Justine ne sait pas encore très bien dans quel type d’élevage elle pratiquera, mais elle sait déjà qu’«il va falloir qu’on s’habitue aux changements climatiques. Je pense qu’on est prêt à changer, mais il faut que la rémunération suive». Actuellement, les prix des produits issus de l’agriculture biologique avoisinent ceux de l’agriculture conventionnelle : «Ce n’est pas normal qu’un agriculteur qui fait l’effort de se passer de pesticides ou d’engrais chimiques soit contraint de vendre ses produits au même prix qu’un autre qui ne fait pas l’effort».
Si certaines annonces vont dans le bon sens selon les syndicats, la majorité des voix qui se sont élevées samedi matin, comptent maintenir la mobilisation dans l’attente de résultats concrets sur le terrain. «Aujourd’hui, il n’y a plus de syndicat ou de partis politique, résume Dominique Pipet. On est tous sous la même bannière».
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