ça fait peur

«Traquons les anti-bassines» : dans la Vienne, les agriculteurs de la Coordination rurale veulent en découdre avec les militants écolos

Ça fout la citrouille. À Poitiers, pour la soirée d'Halloween, le syndicat agricole Coordination rurale incite les agriculteur·ices à «traquer» les militant·es écologistes qui s’opposent à la construction de «megabassines». On vous explique.
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Deux araignées et quelques chauves-souris ne suffiront pas à masquer l’agressivité du message publié sur la page Facebook de la Coordination Rurale (CR) de la Vienne. Mardi, en fin de matinée, la branche locale de ce syndicat agricole, connu pour ses positions parfois proches de l’extrême droite, a lancé un appel à «traquer» les militant·es anti-bassines le soir d’Halloween. Ces dernier·es s’opposent à la construction de retenues de substitution censées protéger les paysan·nes des sécheresses mais accusées d’accaparer la ressource en eau (notre décryptage).

Le rendez-vous de la CR a été fixé au vendredi 31 octobre, à 19h30 sur la place d’Armes, à Poitiers. Il est soutenu par les branches locales de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (les syndicats agricoles majoritaires en France), et par la Chambre d’agriculture de la Vienne. Or, c’est précisément l’endroit et l’heure d’un rassemblement de militant·es écologistes.

Un visuel de la Coordination rurale, diffusé sur Facebook, qui appelle les agriculteur·ices à «traquer» les militant·es anti-bassines. © Capture d’écran du compte Facebook de la Coordination rurale de la Vienne

La semaine dernière, le collectif Bassines Non Merci 86 avait invité ses sympathisant·es à «fêter», le 31 octobre au soir, «la mort» des 41 projets de megabassines du bassin du Clain – une rivière qui traverse plusieurs départements, dont la Vienne. Sur Instagram, il annonçait aussi «une grande chasse aux bassines d’Halloween».

Contrairement à ce que pourrait laisser croire le visuel qui accompagne cette publication – où l’on voit des zombies s’attaquer à une retenue d’eau géante –, il ne s’agissait pas d’un appel au sabotage des installations agricoles. Ce jeudi, le collectif a tenu à clarifier que le but du rassemblement était avant tout de réaffirmer son opposition à «de nouveaux projets [de bassines] tout aussi inacceptables», évoqués récemment par le préfet. Concrètement : des projets de réserves de stockage de petite et moyenne taille. «Le rassemblement du 31 octobre se tiendra d’ailleurs en centre-ville de Poitiers, où paysan·nes et riverain·es marcheront bien loin des fermes», précise le collectif.

Une affiche des militant·es écologistes, qui invite à un regroupement au soir d’Halloween pour «fêter la mort» des bassines. © Capture d’écran Facebook

Mais cette mise en scène militante n’a pas été du goût de la Coordination rurale de la Vienne. Elle a aussitôt appelé à une contre-manifestation pour «défendre la ruralit黫Ils veulent nous chasser, défendons nos exploitations !», peut-on lire sur la publication, illustrée par… un cercueil.

Interrogé par Vert, le président de la Coordination rurale de la Vienne, François Turpeau, confirme que ce contre-rassemblement aura bien lieu : «Nous viendrons à pied. On annonce au moins 200 personnes de notre côté. Il y aura des gars du Lot-et-Garonne, de Dordogne, de Haute-Vienne… Ce qui est sûr, c’est que ça risque d’être tendu. Et s’il doit y avoir des échanges musclés, il y aura des échanges musclés.»

«Un cap a été franchi dans la violence»

Le syndicaliste justifie ainsi l’appel à la «traque» : «Les anti-bassines sont responsables du bazar ambiant autour des enjeux liés à l’eau. On n’en peut plus de ces gens-là qui impunément continuent à menacer des agriculteurs, des exploitations. On ne peut pas se laisser marcher dessus. Alors, on prend le taureau par les cornes et on se mobilise.»

De son côté, Bassines Non Merci 86 a aussi promis maintenir son rassemblement. Le collectif dénonce une tentative d’intimidation : «Les syndicats agricoles dominants formulent des menaces explicites contre les personnes en invitant à “traquer les anti-bassines”.» Il souligne le contraste avec sa propre initiative, qui évoquait une «chasse» visant des infrastructures matérielles et non des individus. «Nous ne menaçons personne et nous ne sommes pas contre les agriculteurs», insistent les militant·es écologistes.

Des militant·es antibassines, le 6 novembre 2021, à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres). © Enzo Dubesset/Vert

Et d’ajouter : «C’est un scandale d’autant plus grand que les organisations agricoles [telles que la chambre d’agriculture de la Vienne, NDLR] s’associent à la démarche. Elles sont pourtant censées représenter tous les irrigants et tous les agriculteurs», quelles que soient leurs opinions. Depuis les dernières élections en mars 2025, la Coordination rurale contrôle la chambre d’agriculture de la Vienne.

Auprès de Vert, Hugo, porte-parole du collectif Bassines non merci 86 et éleveur de chèvres dans le département, confie : «Ces menaces ne nous surprennent pas : nous sommes habitués aux méthodes mafieuses de ces leaders d’organisations.» Selon lui, «un cap a été franchi dans la violence : c’est la première fois que ces syndicats nous menacent publiquement».

Des tensions plus anciennes

Depuis plusieurs années, la Vienne est le théâtre d’un bras de fer autour de la gestion de l’eau, symbole d’un affrontement plus large entre deux modèles agricoles : l’un, productiviste et soutenu par certains syndicats agricoles (FNSEA, Jeunes Agriculteurs et Coordination rurale). L’autre, orienté vers l’agroécologie et porté par des collectifs écologistes mobilisés pour une répartition plus égalitaire de la ressource en eau.

L’année 2025 a été particulièrement marquée par ces tensions. En juin, une quarantaine d’agriculteur·ices issu·es des trois syndicats ont bloqué les accès du parc d’attractions local Futuroscope, afin de protester contre la validation de l’étude dite HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages et Climat), qui redéfinit les volumes d’eau que l’on peut prélever pour l’irrigation. Les syndicats agricoles voulaient alerter sur une possible réduction de 90% des prélèvements estivaux dans certaines zones et dénonçaient une menace directe pour la viabilité de leurs exploitations – jusqu’à 27 millions d’euros de pertes, selon elles et eux.

À l’issue du blocage, la validation de cette étude, ainsi que ses recommandations, ont été suspendues, et le vote reporté… au 5 novembre. Résultat, la semaine dernière, la colère est encore montée d’un cran : une trentaine de tracteurs ont de nouveau convergé vers le parc d’attractions pour bloquer les routes. «À chaque nouvelle commission, les tensions ressurgissent, rapporte Hugo, de Bassines Non Merci 86. Chaque camp veut mettre la pression. Et, en attendant, on ne prend pas les décisions qui permettent de protéger la ressource.»

Contactée par Vert, la préfecture de la Vienne a annoncé ce jeudi après-midi que le rassemblement de vendredi organisé par Bassines Non Merci 86 «était interdit, n’ayant pas été déclaré». Le collectif sera tout de même présent. Le rassemblement agricole qui avait, lui, été déclaré, a bien été autorisé.

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