La conversation

Participer à la «Fresque du climat» fait-il changer nos comportements ?

Fresque parfait. La «Fresque du climat» est un atelier pédagogique de sensibilisation au changement climatique qui jouit d’un succès grandissant. Mais comment affecte-t-il ses participants ? Une étude inédite montre que trois mois après y avoir pris part, la grande majorité des personnes n’ont pas tellement changé leur mode de vie.
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Peut-être avez-vous déjà participé à un atelier de la «Fresque du climat», en tant que salarié·e, fonctionnaire, élu·e ou même simple citoyen·ne. Si c’est le cas, vous avez rejoint les rangs des près de deux millions de personnes revendiquées sur le site de l’association la Fresque du climat. Le principe en est le suivant : construire une fresque en mettant en lien des cartes intitulées, par exemple, «effet de serre» ou «acidification des océans» pour mieux comprendre le dérèglement climatique et son origine humaine. Les quatre dernières cartes qui clôturent la fresque décrivent les conséquences potentiellement dramatiques du dérèglement climatique : guerres, famines, maladies et déplacements de population.

Cet article est republié à partir de The Conversation, sous licence Creative Commons. Il a été rédigé par Hélène Jalin, doctorante en psychologie à l’Université de Nantes (Loire-Atlantique). Vous pouvez lire l’article original ici.

La deuxième partie de l’atelier permet d’échanger sur les enjeux abordés, en donnant à chaque personne présente des clés pour réduire son empreinte carbone. Cette sensibilisation à grande échelle est une bonne nouvelle pour la planète, mais quel est son impact réel ? Notre équipe, composée de psychologues et de psychologues sociaux, a cherché à répondre à cette question.

Une évolution des comportements à court terme seulement

Pour y répondre, nous avons suivi 460 participant·es à l’atelier de la Fresque du climat pendant trois mois et comparé l’évolution de leurs comportements à ceux d’un groupe qui n’y avait pas participé. Les ateliers étaient organisés en entreprises, en collectivités ou dans des grandes écoles.

Une fresque du climat organisée à l’école Polytechnique à Palaiseau (Essone) en septembre 2024. © Jérémy Barande/École polytechnique

Nos résultats montrent que 30% des participant·es à la fresque ont significativement modifié leurs habitudes un mois après, contre seulement 9% dans le groupe qui n’y avait pas participé. La sensibilisation apparaît donc efficace, mais uniquement pour une minorité de participant·es. Par ailleurs, les efforts étaient concentrés dans le mois qui suivait l’atelier et disparaissaient ensuite.

L’écoanxiété, moteur de l’action

Comment expliquer ces résultats ? Il existe probablement de nombreuses raisons qui influencent la motivation à agir, mais, en psychologie, on considère que les émotions sont les principaux moteurs à l’action. Par exemple, la colère pousse les individus à résoudre les injustices qui leur sont faites, la joie les amène à se rapprocher des autres et la peur à fuir le danger ou à le combattre.

Or, les animateur·ices de la Fresque du climat le savent bien : les mauvaises nouvelles annoncées dans le cadre de l’atelier peuvent générer des émotions difficiles et même, parfois, de véritables chocs psychologiques. Certaines personnes réalisent seulement à cette occasion à quel point la situation climatique est grave. D’ailleurs, les concepteur·ices de la fresque ont ajouté un temps de partage émotionnel à la version initiale de l’atelier pour permettre aux participant·es d’exprimer leurs ressentis et, ainsi, repartir moins perturbé·es.

Or, nos résultats sont formels : d’abord, les personnes les plus écoanxieuses étaient, avant même l’atelier, les plus engagées en faveur de l’environnement. Mais de surcroît, les participant·es qui ont ressenti un pic d’écoanxiété après l’atelier sont également celles et ceux qui ont consenti le plus d’efforts pour faire évoluer leurs habitudes de vie. L’écoanxiété, trop souvent réduite à un problème de santé mentale, joue donc avant tout un rôle de motivation à l’action en faveur de la transition environnementale.

L’importance du sentiment de contrôle de la situation

Mais tout n’est pas si simple. Nous avons aussi souhaité étudier l’impact de la tonalité émotionnelle de l’atelier sur son efficacité et, pour cela, nous avons testé trois modalités d’animation de la deuxième partie de l’atelier, celle qui consiste à échanger sur les implications et les solutions : la première, qualifiée de «stressante», insistant sur les risques ; la seconde insiste sur les réussites et les progrès déjà accomplis ; et la dernière, qualifiée de «mixte», insistent sur les risques, puis sur les progrès.

Il s’avère que la modalité d’animation la plus efficace pour faire évoluer les participant·es était celle qui adoptait une tonalité mixte. C’est-à-dire celle dans laquelle elles et ils étaient confronté·es aux mauvaises nouvelles, puis exposé·es à des informations plus positives : le stress, puis l’espoir. Quant aux efforts consentis par les participant·es aux ateliers dits «stressants», ils n’étaient pas significativement différents de ceux du groupe n’ayant pas participé à l’atelier.

Des recherches montrent ainsi que lorsque les gens ont le sentiment de perdre le contrôle d’une situation, elles et ils ont tendance à fuir le problème, voire à nier son existence. Désespérer des personnes, les confronter à leur impuissance sans leur donner le moindre espoir, ce n’est pas mobilisateur, ça pousse simplement au déni. Dans la modalité mixte, le fait de donner des bonnes nouvelles en fin d’atelier a permis aux participant·es de percevoir la situation comme moins incontrôlable et leur a probablement donné envie d’agir pour contribuer aux efforts collectifs.

Malheureusement, les efforts collectifs concédés à l’échelle du globe restant très insuffisants, plus d’un tiers des gens se réfugient dans le climatoscepticisme, et ce chiffre augmente à mesure que la crise climatique devient de plus en plus incontrôlable.

C’est donc un paradoxe dramatique : plus les humains percevront la situation comme désespérée, moins ils auront tendance à agir pour résoudre le problème. D’autres biais interviennent d’ailleurs pour faire de la crise climatique l’une des plus insolubles que l’humanité n’a jamais affrontées.

Pourquoi les efforts s’estompent-ils au bout d’un mois ?

Après l’atelier, les participant·es sont retourné·es à leurs routines habituelles, souvent sans cadre ou réseau pour soutenir leurs efforts. Or, la littérature en psychologie sociale montre que les changements durables sont plus probables lorsque les individus s’inscrivent dans une dynamique collective ou reçoivent un renforcement social (encouragements, reconnaissance).

Sans cet appui, les nouvelles résolutions perdent rapidement de leur attrait. Par ailleurs, la difficulté à percevoir un impact immédiat des efforts consentis peut entraîner du découragement et un abandon progressif de l’engagement. Suite à la Fresque du climat, la motivation initiale, «extrinsèque», car alimentée par l’effet de groupe, a donc eu tendance à s’affaiblir chez la plupart des participant·es, à défaut de transformation en une motivation intérieure plus profonde.

À l’heure actuelle, pour réduire efficacement son empreinte carbone, il faut accepter d’agir «sans trop y croire». La plupart des personnes qui s’engagent dans cette voie le font pour s’aligner sur des valeurs écologiques qui font sens pour elles. Dans ce cadre, les émotions restent le carburant principal de ce passage à l’action.

Les écoanxieux·ses ressentent souvent un mélange d’anxiété face à l’avenir, de colère associée à l’inaction, de tristesse face aux dommages causés au vivant et de culpabilité vis-à-vis des plus vulnérables et des générations futures. C’est cette «potion magique» émotionnelle qui les amène à consentir des efforts parfois très importants et, souvent, à devenir des sources d’inspiration pour beaucoup d’autres.

Comment renforcer l’impact des ateliers ?

Mais pour revenir à la Fresque du climat, les résultats de notre recherche soulignent la nécessité de repenser le suivi des participant·es après l’atelier. Des actions régulières, comme des ateliers de rappel, des objectifs collectifs ou des récompenses pour les progrès réalisés, pourraient consolider l’engagement en faveur de la transition écologique sur le long terme. Le fait de sentir qu’on n’est pas seul·e à agir et de pouvoir se challenger collectivement sur les efforts consentis pourrait sans doute permettre de prolonger l’impact de l’atelier.

Nous espérons l’avoir démontré : il est également important de remettre les émotions au cœur du dispositif de sensibilisation. C’est difficile, car notre culture fait tout pour les mettre à distance, mais c’est probablement l’enjeu principal de la transition écologique.

Dans le cadre de cette recherche, nous avions d’ailleurs initialement pensé à tester une méthode d’animation de l’atelier qui soit entièrement consacrée à l’accueil des émotions. Notre hypothèse était que cette modalité d’animation serait probablement la plus efficace pour pousser les participants au changement. Malheureusement, ça n’a pas été possible, mais au regard de l’influence de la Fresque du climat dans de nombreuses organisations, il semblerait intéressant de mener une nouvelle étude pour s’en assurer.

L’importance du cadre politique

Enfin, pour transformer cet élan en véritable moteur de changement, il reste essentiel de compléter les actions de sensibilisation locale par des politiques publiques ambitieuses et des dispositifs d’accompagnement à long terme.

Le fait de sentir que nos actions s’intègrent dans un objectif commun, que les efforts sont concédés à tous les niveaux et par tous, au sein d’un projet de société partagé et qui fasse sens, est primordial. Le poids de la norme sociale reste très puissant et si l’on sent que les autres agissent, il nous semblera logique d’agir également.

The Conversation

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