Décryptage

«Aller jusqu’au procès fait partie de la stratégie» : comment les militants d’Extinction rebellion s’adaptent à la pénalisation de l’activisme écolo

Sois rebelle et tais-toi. Ces dernières années, la répression judiciaire et policière contre les mobilisations environnementales s’est aggravée à une vitesse alarmante. En réaction, les activistes s’organisent pour transformer les garde-à-vue ou les procès en un outil militant supplémentaire. Explications avec des membres d’Extinction rebellion.
  • Par

Sur son avant-bras, le numéro d’un avocat inscrit au marqueur. Quand elle part en action ou en manifestation, Pistache*, 22 ans, connaît ses droits sur le bout des doigts. Déroulé d’une garde à vue, que dire – ou ne pas dire –, comment agir, à qui s’adresser… le droit n’est pas son métier, ni même sa passion, et pourtant elle peut anticiper tous les risques. «Il est très important pour moi de savoir exactement dans quoi je m’engage», raconte-t-elle.

Partout à travers l’Europe, les actions de militant·es écologistes sont de plus en plus sévèrement réprimées, voire criminalisées. Dernier exemple en date, en Italie, avec la «loi sécurité», en passe d’être adoptée (notre article). Celle-ci transforme le délit d’obstruction du trafic routier ou ferroviaire – des actions plébiscitées par les activistes écolos et jusqu’ici sanctionnées d’une simple amende administrative – en infraction pénale punie de six mois à deux ans d’emprisonnement.

La semaine dernière, en Angleterre, quatre militant·es écologistes du mouvement Just stop oil ont été condamné·es à 18 à 30 mois de prison ferme pour avoir seulement projeté de perturber l’aéroport de Manchester (Angleterre) en août 2024. Alors, en France, certains mouvements comme Extinction rebellion (XR) tentent de s’adapter à cette nouvelle donne.

À Paris, le 23 mai 2025. Des militant·es brandissent un drapeau d’Extinction rebellion. © Yann Castanier/Vert

Ainsi, avant d’aller bloquer une route, suspendre une banderole ou même manifester, rares sont les militant·es qui n’ont pas suivi au moins une formation juridique, dispensée par la plupart des collectifs : les Soulèvements de la Terre, Action justice climat, Bassine non merci… «Chez Extinction rebellion, explique Zak*, 31 ans, membre du mouvement à Paris depuis trois ans, nous souhaitons qu’un maximum de militants aient cette connaissance. Cela permet de dédramatiser, d’avoir un certain contrôle sur les événements.»

Car les risques ne sont pas négligeables. Depuis son arrivée dans le mouvement, Zak a constaté une forte augmentation de la répression : «De plus en plus de déferrements, des gardes à vue plus longues. Depuis 2023, une vingtaine de personnes ont été perquisitionnées à Paris, les opérations étant parfois menées par des unités anti-terroristes.»

Un phénomène également souligné par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, dans son rapport de février 2024. Selon Laura Monnier, avocate et ancienne responsable juridique à Greenpeace France, le tournant répressif date d’une dizaine d’années : «Les états d’urgence successifs, après les attentats en 2015, puis la crise sanitaire du Covid-19, ont mené à des mesures d’exception et des dérogations sur les libertés individuelles.»

La fin du «super-militant»

Alors, les militant·es s’organisent. À chaque action, de la plus petite à la plus grande, une base arrière juridique, ou legal team, est constituée pour suivre en temps réel les arrestations et rassurer les proches. Des avocat·es sont aussi mobilisé·es. «Les activistes nous envoient leurs garanties de représentations – un contrat de travail, un justificatif de domicile, pour que les avocats puissent leur éviter la détention provisoire», détaille Zak. Chaque rôle (le guet, le chant, la grimpe, la prise de parole…) est défini par l’intensité du risque juridique.

Alexis Vrignon, historien spécialiste des mouvements environnementaux, souligne cette montée en compétence, en rupture avec le militantisme des années 1970 : «Les risques et les compétences juridiques étaient déjà présents, mais endossés par un petit nombre de militants, souvent des hommes, qui répondaient aux critères assez virilistes dusuper-militant Des formations et des tracts étaient proposés à un nombre restreint de personnes.

Au contraire, XR «cherche à rendre le mouvement aussi horizontal que possible, en rendant l’information juridique accessible à tous et toutes», résume Zak. Quand le super-militant des années 1970 encaissait individuellement le risque juridique, Alexis Vrignon note que les activistes actuel·les œuvrent à «collectiviser les risques et les conséquences de leur lutte». Pour l’historien, cette nouvelle façon de prendre en charge les risques est en lien direct avec l’avènement du soin (du care) dans les luttes : «On le voit par exemple dans le fait d’aller chercher les camarades en sortie de garde à vue avec du réconfort et des gâteaux, de s’éduquer les uns les autres, de veiller au contact avec les familles et les proches.»

Au sein d’un mode d’action qui professionnalise le risque juridique, chacun reste libre de définir ses limites. Pistache, elle, ne souhaite ni casier judiciaire ni être fichée. Forte de sa connaissance, elle navigue entre les procédures. En décembre 2024, une manifestation contre le groupe Bolloré, nassée par les forces de l’ordre pendant plusieurs heures, a abouti à l’interpellation de dizaines de militant·es. «J’avais décidé de ne pas donner mon identité. Je suis contre le fichage des manifestants. J’ai été emmenée au poste et interrogée, mais je savais ce qu’il fallait dire – en l’occurrence absolument rien. J’ai été relâchée sous X. Mais, placée en garde à vue, j’aurais cédé. C’était la limite que je m’étais fixée vis-à-vis des risques.»

Gandhi, Mandela et Martin Luther King

Tribun à l’allure juvénile, Loïc Schneider, aussi surnommé «Le Moine» en raison de l’habit qu’il porte à chaque manifestation, a payé cher les conséquences de sa lutte. À presque 30 ans, le Nancéien est autant connu pour ses déboires judiciaires, qui ont abouti à des peines de prison ferme en Allemagne et en France, que pour ses tirades poétiques et politiques à la barre. «J’utilise les procès comme plateforme pour exprimer mes motivations profondes», revendique-t-il.

À travers la lecture de textes qui peuvent aller jusqu’à neuf pages, Loïc Schneider mobilise des références de la désobéissance civile comme Gandhi, Mandela ou Martin Luther King. Il explique vouloir proposer au public une contre narration, différente de celle du parquet, souvent basée sur les rapports de police : «Ma méthode est offensive. Je reconnais mes actes, je les assume – parfois, je plaide coupable –, et je prends le temps de les expliquer devant la justice et la société.»

«Aller jusqu’au procès fait partie de la stratégie de la désobéissance civile, rappelle Alexis Vrignon. Très pratiquée dans les luttes anti-nucléaires, ou celle du Lazarc, la désobéissance civile est revenue en force en France à l’arrivée d’Extinction rebellion en 2019. Ce mode d’action suppose une connaissance assez fine des enjeux judiciaires afin de déterminer jusqu’où l’action peut aller pour rester dans le cadre du risque accepté. Les procès n’ont rien d’accidentel.» Pour profiter de la plateforme médiatique offerte par les procès, XR a créé un groupe de travail dédié à l’organisation des audiences de ses activistes. «En plus de mobiliser des militants en soutien, nous sollicitons desgrands témoins” : chercheurs, membres du Giec, spécialistes de la désobéissance civile… Le but est de prouver l’état de nécessité», précise Zak.

Graal juridique pour les militants environnementaux, l’article 122 du Code pénal dispose que «n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent (…) accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.» Le but de la défense : faire reconnaître le changement climatique comme danger imminent.

«Souvent, poursuit l’activiste de XR, les débats avec les magistrats tournent autour de la proportionnalité de l’action. Pour une fois, on parle réellement de la cause.» Depuis deux ans, le Mouvement de soutien aux défenseur·es de l’environnement (MSDE) suit et documente les procès de militant·es environnementaux, afin de «sortir des tribunaux» les débats et leur donner un écho médiatique, notamment sur Instagram. Si, pour l’instant, chaque collectif organise généralement sa défense de son côté, Zak insiste : «Chaque victoire individuelle profite à tous les autres activistes.»

*Les personnes nommées sous pseudo ont souhaité rester anonymes