Décryptage

Les douze travaux écologiques du nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne

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La com­po­si­tion du nou­veau gou­verne­ment devrait être annon­cée ce ven­dre­di après-midi. Tour d’horizon — non exhaus­tif — des vastes chantiers qui se présen­teront au nou­v­el exé­cu­tif, à l’ouverture d’un quin­quen­nat décisif pour le cli­mat.

Remettre la France dans les clous climatiques

Lors du pre­mier quin­quen­nat d’Emmanuel Macron (son bilan cli­ma­tique), la France a été con­damnée (dans le cadre de l’affaire « du siè­cle ») pour n’avoir pas respec­té les objec­tifs con­tenus dans la Stratégie nationale bas-car­bone — la feuille de route cli­ma­tique de la France, qui prévoit d’atteindre une baisse de 40% des émis­sions de CO2 d’ici à 2030 (par rap­port à 1990). Pressé par le Con­seil d’État dans une sec­onde affaire (celle de Grande-Syn­the), le gou­verne­ment se devait aus­si d’expliquer quelles mesures il allait pren­dre pour attein­dre cette mar­que inter­mé­di­aire vers la neu­tral­ité car­bone (le point d’équilibre où les dernières émis­sions de CO2 sont inté­grale­ment com­pen­sées) en 2050. Hélas, il n’a ren­du qu’une pâle copie (Vert). Pire, l’Union européenne s’est fixé un nou­v­el objec­tif encore plus ambitieux : ‑55% d’émissions en 2030. La baisse con­statée depuis 1990 n’est que de 25% env­i­ron (selon les derniers chiffres du Citepa pour 2021).

Décarboner l’ensemble de l’économie (rien de moins)

Alors que ce nou­veau quin­quen­nat court jusqu’en 2027, le gou­verne­ment va devoir amorcer un change­ment bien plus rad­i­cal qu’au fil des cinq dernières années. Et pour cela, il va fal­loir mas­sive­ment tourn­er le dos aux éner­gies fos­siles. Si Emmanuel Macron a promis de met­tre en chantier de nou­veaux réac­teurs ; ceux-ci ne pro­duiront pas un kilo­wattheure avant une ving­taine d’année. Dans l’attente, la France devra rat­trap­er son retard sur le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables (alors qu’elle fait fig­ure de can­cre européen) et faire preuve de davan­tage de sobriété. Le vaste chantier de la réno­va­tion ther­mique des loge­ments (notre analyse) devra enfin être lancé ; l’industrie reste à décar­bon­er, tout comme les mobil­ités, l’agriculture… Bref, l’économie et la société tout entières.

Enrayer l’effondrement du vivant

Sor­tie du glyphosate remise aux cal­en­des grec­ques, retours des néon­i­coti­noïdes — ces pes­ti­cides inter­dits en rai­son de leur dan­gerosité pour le vivant -, arti­fi­cial­i­sa­tion tou­jours plus grande des ter­res, con­struc­tions d’autoroutes, cadeaux aux chas­seurs, pri­vati­sa­tion de la ges­tion forestière ; en matière de bio­di­ver­sité, le bilan du prési­dent sor­tant est lourd. Or, par­mi ses innom­brables bien­faits (dont celui de nous main­tenir en vie), c’est le vivant qui absorbe l’essentiel du CO2 émis par nos activ­ités, garde l’humidité, empêche les glisse­ments de ter­rain lors de fortes pluies, etc. Autant d’atouts dans un monde en sur­chauffe.

L’agriculture, par exem­ple, est inca­pable de se pass­er de l’action pollinisatrice des abeilles, qui décli­nent forte­ment à cause de la chaleur et des pes­ti­cides. À cet égard, les aides de la Poli­tique agri­cole com­mune devront servir à financer les exploita­tions les plus vertueuses, con­traire­ment à la direc­tion prise jusqu’à main­tenant (notre arti­cle). Le nou­veau gou­verne­ment devra urgem­ment trou­ver com­ment con­cili­er l’économie et la sauve­g­arde du vivant. Et s’employer à rem­plir son objec­tif de pro­tec­tion de 30% du ter­ri­toire ter­restre et marin de la France d’ici à 2030, alors que les moyens ne suiv­ent tou­jours pas, selon le Sénat.

Adapter le pays aux bouleversements climatiques

Après avoir bat­tu trois années de suite des records de sécher­esse agri­cole (2018, 2019, 2020), la France est à nou­veau men­acée cette année. Signe que le vaste chantier de l’adaptation aux boule­verse­ments cli­ma­tiques n’a pas été réelle­ment entamé, les con­flits se mul­ti­plient autour de l’accès à la ressource en eau — comme en témoignent les heurts qui accom­pa­g­nent le creuse­ment de « mégabassines » agri­coles. Com­ment (re)bâtir les villes ? De quelles essences peu­pler les forêts ? Com­ment mieux con­cevoir les loge­ments ? Quelle agri­cul­ture dans un cli­mat réchauf­fé de 2, 3 ou 4 °C, avec une mul­ti­pli­ca­tion d’épisodes météorologiques extrêmes ? Autant de ques­tions aux­quelles le gou­verne­ment d’Élisabeth Borne va devoir réfléchir rapi­de­ment.

Planifier

Tous ces chantiers néces­si­tent une pré­pa­ra­tion sur plusieurs années à laque­lle le temps poli­tique nous a déshabitué·es. C’est le sens de la « plan­i­fi­ca­tion écologique » appelée de ses vœux par le can­di­dat insoumis Jean-Luc Mélen­chon, reprise par Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours précé­dent sa réélec­tion. Deux min­istres, respec­tive­ment chargés de la « plan­i­fi­ca­tion énergé­tique » et de la « plan­i­fi­ca­tion écologique ter­ri­to­ri­ale », devraient être placé·es sous l’autorité de la pre­mière min­istre. L’an prochain, une vaste loi de pro­gram­ma­tion Énergie-cli­mat est atten­due, qui devra définir de nom­breuses ori­en­ta­tions en matière de tran­si­tion (énergie, loge­ment, pro­duc­tion, mobil­ités, etc.). Puis, en 2024, de nou­velles ver­sions des feuilles de route nationales sur l’énergie (la Pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie), le cli­mat (Stratégie nationale bas-car­bone) sont atten­dues. Si la plan­i­fi­ca­tion est essen­tielle, elle n’est pas un gage de bons choix. Élis­a­beth Borne aura la lourde tâche de met­tre la France sur de bons rails pen­dant de prochaines années cru­ciales pour le cli­mat et le vivant.